Weezer - Pinkerton Un album quasi-parfait constitué de tubes en puissance (le blue album), un clip drôlement sympa ("Buddy Holly" et son revival Happy Days) sur les CD d'installation de Windows 95 et surtout en heavy rotation sur la toute puissante MTV, ça a suffit à Weezer pour vendre son premier album par palettes entières et par la même occasion d'emmagasiner un capital confiance qui faisait sans doute défaut au groupe, surtout à son très introverti leader Rivers Cuomo. Deux après son fantastique Blue album, le quatuor revient avec un album plus ambitieux nommé Pinkerton, du nom d'un personnage issu de l'opéra Madame Butterfly. L'album ne traite pas à proprement parler de l'œuvre de Puccini, mais cette influence se traduit plutôt aux travers de nombreuses références (les thématiques abordées, dans les textes, les titres des morceaux ainsi que dans l'artwork) incrustées ici par le cerveau de Weezer.
Décomplexé, c'est le premier mot qui vient instantanément à l'esprit lorsque l'on écoute le premier morceau de l'album "Tired of sex" : Rivers met sa pudeur au placard et sa vie sentimentale à nu en nous parlant de ses multiples conquêtes lors des tournées avec son groupe, il ose des choses plus extrêmes en matière de chant, le ton général est plus mordant, la musique semble épurée pour gagner en urgence et enfin la production est beaucoup plus crue, moins enjoliveuse et léchée, presque garage. Elle donne un cachet quasi punk à un morceau qui permet de voir un Weezer sous des hospices très différentes mais carrément à leurs avantages. Les Californiens semblent vouloir s'émanciper de cette image trop collante de fan des Beach Boys qui auraient été élevés au hard-rock durant leur adolescence et ils vont continuer leur entreprise de déstabilisation de l'auditeur durant les 9 autres pistes de Pinkerton : "Getchoo" percute les tympans pour notre plaisir, "No other one" ralentit le rythme et se fait plus cajoleuse. Pour la première fois, Rivers Cuomo semble adopter le ton qu'il prendrait s'il parlait avec son meilleur ami : la proximité avec l'auditeur devient réellement palpable et demeure très touchante. "Why bother ?" accélère le rythme de nouveau et ré-adopte ce ton mordant alors qu'avec "Across the sea", cette proximité s'avère de nouveau présente puisqu'il s'adresse à une fan japonaise qu'il lui a écrite quelques années auparavant. Petit bijou power-pop, "The good life" concentre tous les éléments qui font une bonne chanson de Weezer : un riff simple, un refrain qui fait mouche et la voix douce-amère de Rivers. Avec son gargarisme introductif, "El Scorcho" semble être le morceau le plus léger de l'album et renoue avec le Weezer un peu futile et insouciant mais extrêmement rafraîchissant du premier album. Pinkerton est un album riche en nuances et diverse dans les émotions évoquées et il ne nous fera pas mentir sur sa conclusion. Si "Pink triangle" et "Falling for you" ne dépareillent pas dans l'univers de Weezer, c'est définitivement "Butterfly" et sa forme inédite qui (d)étonne : une guitare acoustique qui s'accouple avec la voix d'un Rivers Cuomo à fleur de peau, un morceau dénué d'artifices à la nudité tellement impudique que l'auditeur en viendrait presque à se boucher les oreilles : curieux sentiment lorsque l'on écoute de la musique.
Pinkerton est un album extrêmement attachant de par ses aspérités mais aussi de par un vocaliste/songwriter qui nous apparaît dans une dimension beaucoup plus humaine qu'a l'accoutumée. Rétrospectivement, le Blue album nous apparaît un peu impersonnel à coté de ce Pinkerton qui suinte la personnalité de son auteur. Cet album est aujourd'hui renié par son géniteur, le qualifiant d'album "hideux" et d'"erreur douloureuse s'étant produite devant des centaines de milliers de personnes". Bien heureusement, peu de personnes sont d'accord avec lui : Pinkerton est probablement l'un des meilleurs albums de Weezer à ce jour et incontestablement un petit chef d'œuvre à mettre à l'actif de Rivers Cuomo.