Les Way For Nothing ne sont pas bavards, du coup, non seulement ils délivrent un rock uniquement instrumental mais en plus on ne sait presque rien d'eux. Ils répètent à Odos près de Tarbes (et juste à côté de Juillan où j'embrasse les Ch'Tarbais), l'un des six membres (deux claviers, deux guitaristes, un bassiste, un batteur, selon les vidéos) est originaire des Hauts-de-France mais tous avancent régulièrement masqués parce que leur musique prime avant leur petite personne. Ils ont sorti une démo (elle va devenir collector mais la plupart des titres sont repris ici) avant ce premier album ironiquement intitulé Make your actions reflect your words, la belle blague car s'ils n'usent pas de mots, on devine aisément quelques-uns de leurs actes. Pas de chant, pas de texte mais des idées qui affleurent de par le choix des titres ("Life", "Hope", "Unconsciousness", "Tension" "Fear" et "Destruction" par exemple), le choix des images (masques à gaz, La grande vague de Kanagawa, celles des vidéos), le choix des matières (carton recyclé) et le choix des samples (les sirènes, le discours qui introduit "Destruction" n'a pas l'air très humaniste même si je ne parle pas allemand, tout l'inverse de celui qui forme l'ossature de "Consciousness" et colle les mots de Severn Cullis-Suzuki, la Greta Thunberg de 1992, sur la musique des Bigourdans qui ont choisi le titre de leur opus en référence à ce fameux discours).
La plage introductive donne le ton, elle sonne l'alerte, en réalité, il est déjà trop tard pour sauver la planète, mais pour s'installer sur scène lors d'un concert, c'est toujours pas mal, la batterie est machinale, le sampler lâche des bugs et les premières notes de guitare viennent apporter une douceur salvatrice, et s'il n'était pas trop tard ? Si on ne tentait pas tout ça pour rien ? Le post-rock éclairé de Way For Nothing est une lueur d'espoir au milieu du smog, un rai au cœur d'une économie déshumanisée, une fragrance printanière dans un monde qui pue l'huile de moteur et l'urine vespasienne. Ce sont surtout des notes claires qui illuminent une atmosphère qu'ils construisent parfois avec des graves et de la distorsion pour accentuer les contrastes et créer du relief, à ce titre, le mariage du clavier et de la guitare touche parfois au sublime ("Fear", "Hope"). D'un point de vue plus global (comment peut-il en être autrement ?), la musique se rapproche des grandes heures de Mogwai, d'Explosions in the Sky et (pour les amateurs de trouvailles) de Sweek. Un post-rock qui s'étale en couches successives mais qui ne s'éternise pas pour éviter de lasser, une musique qui joue avec les intentions, la dynamique, la progression, la bande-son d'une histoire avec ses temps forts et d'autres plus calmes.
Viscéral, organique et captivant, Make your actions reflect your words est un manifeste pour l'harmonie, le monde peut exister avec ses tempêtes et ses dépressions, la basse peut cohabiter avec les claviers, la guitare peut dialoguer avec la batterie, l'homme doit être capable de vivre et accepter son environnement sans le modifier. Entendre ce message, le comprendre, chercher à l'appliquer, voilà le précepte de Way For Nothing qui, espérons-le, ne fait pas cela pour rien. On avance vers le monde d'après, faisons en sorte qu'il nous survive.
Publié dans le Mag #46