Water From Your Eyes, duo indie-pop electro de Brooklyn formé par Nate Amos et Rachel Brown, enchaîne les sorties de disques depuis 2016. En 2023, ils nous font même l'honneur d'en délivrer deux. En effet, en mai dernier, Everyone's crushed, leur cinquième album inaugurant leur signature chez Matador, venait déboussoler les oreilles des fans de musique indé, tandis qu'à la mi-novembre c'est Crushed by everyone, une version remixée de ce dernier, qui pointait le bout de son nez, notamment sur les plateformes de streaming. Ces successions d'œuvres montrent à quel point le duo ne peut se reposer sur ses lauriers et a de brillantes intentions qu'on vous invite à découvrir avec la plus grande force.
On ne va pas se mentir, Everyone's crushed est un album déroutant et passionnant. Son aspect brut, abstrait, défricheur et singulier, absurde même, tout en étant attirant et désinvolte, nous a séduits quasi d'emblée. Un peu comme dans un album de Deerhoof, auquel le bruissement des guitares tranchantes (mais pas que) nous fait penser tout particulièrement, on ne maîtrise pas toujours ce qui va suivre. Water From Your Eyes compose une musique errante, aventureuse (certains lâcheront le terme "expérimental"), tout en gardant un format pop relativement accessible grâce à un pouvoir de séduction basé majoritairement sur des mélodies accrocheuses. Hormis "14", où le duo tente de prendre une posture neurasthénique dans laquelle la voix déchirante de Rachel se pose sur une boucle orchestrale un peu trop longue, Water From Your Eyes cherche souvent à surprendre grâce à des titres qui paraissent complètement désynchronisés par les éléments qui les composent, comme l'excellente chanson éponyme, qui reste l'une des plus grandes réussites de cet album.
Toujours en mouvement, la musique des Américains ne faiblit jamais car l'équilibre réfléchi entre les différentes ambiances des morceaux permet de ne jamais s'ennuyer. Le duo est capable de balancer des compos aux rythmiques méga efficaces et entrainantes ("Barley", "True life", "Buy my product"), voire hypnotisantes ("Out there"), et nous plonger dans des abysses bourdonnantes ("Open") ou dans une mélancolie polluée par des sonorités hétérogènes et dissonantes ("Remember not my name"). À l'image de nos sociétés, Everyone's crushed est troublé et hétérogène, a l'air de vouloir se rendre unique tout en n'étant pas vraiment sérieux et quelque peu bordélique. En tout cas, à défaut de pouvoir plaire à toute une clique de fans d'indie-pop/pop-électro, cette musique savante et parfois étrange interpelle, nous brûle et nous noie à la fois. Tout ça n'a évidemment pas laissé le W-Fenec indifférent.
Publié dans le Mag #58