S'il y a bien un groupe qui bénéficie d'un capital sympathie à la hauteur du patrimoine financier de Bernard Arnault ou d'Elon Musk, ce sont les Vulgaires Machins. À la différence près qu'eux se sont faits tout seuls. Et leur richesse se compte en larges sourires qu'arborent les gens qui les voient en concert, ou posent un de leurs disques sur une platine, et non en dollars amassés cupidement, transitant par des montages financiers frauduleux et autres paradis fiscaux, détruisant des vies au passage. Large sourire, baume au cœur, c'est aussi ce qu'on éprouve en se plongeant dans leur histoire (toujours en cours d'écriture, le groupe étant de nouveau en activité après une pause au mitan des années 2010), racontée par le journaliste québécois Félix B. Desfossés, qui suit le band depuis le début et a recueilli pendant deux ans leurs témoignages ainsi que ceux d'autres proches.
De la formation à Granby en 1995 en mode amateur après l'explosion de la scène punk-rock californienne, jusqu'aux velléités de professionnalisation, tout du moins le souhait de réussir à survivre de leur musique, en s'en donnant les moyens, apprenant sur le tas (le fameux DIY) et s'y consacrant à fond (en habitant par exemple tous dans le même loft à Montréal), on assiste au développement chronologique des Vulgaires. On les appelle ainsi quand on est cools (et parce qu'ils sont cools). Étape après étape, album après album, on constate l'évolution de leurs rapports avec le public, avec le monde de la musique, avec les sponsors, et aussi entre eux. Ils ont la particularité d'être un groupe constitué autour de deux noyaux solides : le couple que forment Marie-Eve (guitare/chant) et Guillaume (guitare/chant), et la fratrie de ce dernier avec Maxime (basse), plusieurs batteurs s'étant succédés au fil des années. Il est bien sûr aussi question de leurs liens privilégiés avec la France : la distribution des premiers albums via Dialektik Records puis Guerilla Asso, les tournées avec Tagada Jones, Burning Heads (ils partageront un split CD ensemble en 2003), La Ruda...
Si le groupe n'avait pas forcément vocation à être trop sérieux au début (réflexion faite, ils se seraient appelés différemment), on suit le cheminement et la conscientisation de Guillaume, dont l'écriture devient de plus en plus politique et caractéristique, mêlant l'humanité d'Albert Jacquard et l'ironie acerbe de Charles Bukowski avec une certaine finesse. Nous enregistrons une baisse du Q.I. général, et lire ce livre est un moindre mal pour enrayer la machine. Les Vulgaires méritent toute l'attention que l'on ne porte qu'aux plus pertinents, et si l'on était déjà presque comblé par cette bio, on l'est complètement en lançant le CD best-of qui l'accompagne, notamment les titres extraits de la pièce maîtresse qu'est Compter les corps. À noter pour finir que malgré l'adaptation française via Kicking, le choix a été fait de garder le vocabulaire original, authentique, avec donc le patois québécois qui peut parfois interpeler. Si l'on n'en est pas coutumier, la lecture nécessitant quelques allers-retours vers le lexique en fin d'ouvrage sera peut-être moins fluide, mais pas moins l'fun. En parlant de fun, ces gens de l'Occident en auront à revendre avec quelques dates fin mai dans l'Hexagone, il ne faudra surtout pas rater ça, et il y a intérêt à ce que ce soit (presque) complet !
Publié dans le Mag #64