Ventura sait jumper En 2003, au moment de créer Ventura, vous en étiez où musicalement ?
Philippe (guitare, chant) : En ce qui me concerne, je jouais dans un quartet de post-rock assez classique qui s'appelait Illford, du Mogwai en un peu moins massif, on va dire. On s'est séparé naturellement, moi je voulais faire une musique dans le genre de Ventura depuis longtemps. Nicolas, quant à lui, a démarré une carrière sous le nom de Fauve, avant qu'un groupe français malveillant lui vole son nom. En ce qui concerne Mike, lui était batteur dans Iscariote, un excellent groupe de hardcore et de post-hardcore d'Yverdon qui, je crois, a arrêté peu de temps après la création de Ventura.
Mike (batterie) : Ouais, c'est ça... et Diego a été le premier bassiste de Shovel
Philippe : Oui et puis Olivier, avant d'intégrer Ventura, faisait des claquettes... et qui est dans un groupe Lausannois en stand-by qui se nomme Brutus. On ose espérer qu'ils rejoueront un jour, ils ont sorti un album il y a 5 ou 6 ans chez Saïko Records.
Olivier (guitare) : Ouais, pour 12 ou 15 euros tu peux même choper le disque.

Ventura, c'est une histoire de copains de longue date qui se retrouvent dans un groupe juste pour le plaisir de jouer ou un projet ambitieux déjà pris très au sérieux dès le départ ?
Mike : Au début, c'était surtout le plaisir de jouer cette musique-là. On a tous fait d'autres choses séparément avant. Diego et Philippe ont choisi de s'impliquer musicalement dans un style un peu plus massif avec de la mélodie. Avant que je les rejoigne dans le groupe, ils avaient essayé avec un batteur mais ça n'a pas été concluant.

Vous étiez plutôt fan d'Ace, Ray ou de Lino Ventura ?
Philippe : Lino ! Le nom Ventura vient de Lino Ventura.
Olivier : Ah ouais ? Moi, je pensais que ca venait de "l'aventura" de Stone et Charden.

C'était important pour vous de commencer votre discographie avec 2 splits plutôt qu'un premier LP ?
Mike : En fait, on a commencé avec des splits parce qu'on avait des morceaux épars au début. Rapidement, des groupes avec lesquels on avait des connections nous ont demandé de faire des splits avec eux. Et puis, vers 2005, on a aussi participé à la BO d'un film pour laquelle on a donné quelques morceaux. Le premier album est venu finalement juste après.

Vous êtes les seuls à avoir participé à la BO du film dont tu parles (NDR : "Rollow" d'Emmanuelle Antille) ?
Mike : Non, il y a d'autres morceaux d'artistes suisses comme Honey For Petzi ou l'ancien groupe de Philippe, Illford. Emmanuelle Antille avait pris des parties de morceaux de nos démos, des trucs que Philippe avait fait tout seul et puis elle les a plaqués sur certaines scènes du film. Ensuite, elle nous a demandé de les rejouer dans le bon timing, donc on est parti en studio avec les extraits du film correspondants. Ce n'était pas évident à faire.

Si on vous proposait d'autres BO, vous le referiez ?
Mike : Comme ça, c'est pas évident. On n'a pas vraiment eu le choix avec "Rollow", la réalisatrice a choisi les morceaux puis on a dû appliquer ce qu'elle nous a demandé. Je pense que l'exercice serait plus intéressant si on prenait nous-mêmes les images pour y composer la musique qui correspondrait le mieux à celles-ci. C'est d'ailleurs ce que Philippe a fait récemment avec un ciné-concert au Bourg à Lausanne.
Philippe : Oui, moi je l'ai fait dans le cadre des 100 ans du Bourg, c'est l'endroit où je travaille. On a enregistré une bande son originale avec mon ami Nicolas (ex-Illford et Fauve lausannois) d'un film qui s'appelle "Traffic in souls". Une super expérience assez particulière car c'est un film de 1913 donc du son d'aujourd'hui sur de vieilles images. Et puis j'ai joué en live pour la même occasion avec Grégory Poncet (Digitaline, Gregorythme) une BO pour le film "Le mystère des roches de Kador". Moi, j'adorerais refaire de la musique de film mais je me sens limité dans ce que je pourrais apporter, je ne sais jouer correctement que de la guitare.

Revenons à votre premier album. Pa capona est assez influencé par Shellac, Slint ou Fugazi, saviez-vous exactement quelle direction vous souhaitiez lui donner ? Vous étiez influencé par qui à l'époque ?
Philippe : Le premier album, c'était pour nous une façon de passer à autre chose. On avait un certain nombre de morceaux à enregistrer. Ce n'était pas pensé comme un album, c'était plus une façon de tourner une page. Pour les influences, c'est un peu les groupes que tu as cités mais elles s'effacent et sont moins flagrantes avec le temps qui passe. Je n'ai pas la prétention de faire une musique aussi punk que Fugazi. Non, avec Pa capona on est plus proche de Superchunk, The Smashing Pumpkins ou Shellac que de Fugazi. Même si c'est un groupe que j'ai adoré, je ne pense pas que Fugazi fasse partie de mes influences.
Mike : Les noms que t'as cités, ce sont ceux qui sont sur la bio du groupe. C'est après avoir fait nos morceaux qu'on a pensé que ça pouvait ressembler à ci ou à ça mais, au final, on ne fait pas notre musique en pensant à un style ou à un genre particulier. On aime bien le contraste entre des choses un peu plus calmes et beaucoup de distos avec des changements dynamiques assez importants, et puis une voix mélodique par dessus.

Ventura en mode domino Vos titres d'album sont souvent en langues étrangères peu ou plus usitées dans le monde. Pa capona c'est du patois saviésan, Ultima Necat c'est du latin. Vous êtes passionné de langues mortes ?
Olivier : De langues qui bougent plutôt...
Philippe : (rires) Tu peux quitter la pièce s'il te plait ?
Pa capona est une allusion à mon grand-père qui est décédé quelques années avant sa sortie. Ca veut dire "il ne faut jamais baisser les bras". C'est un très bon slogan en fait, et puis je trouve que ça sonne bien comme titre d'album. Pour moi, ça illustrait le fait que c'était la première fois que j'allais enregistrer un disque qui représentait vraiment ce que je voulais faire, même si j'en avais fait un avant Ventura. Ca représentait bien l'effort qu'on a fourni pour en arriver là, on a eu pas mal de groupes avant, on a pas mal bossé en fait. On n'est pas forcément passionné de langues mortes, c'est juste que j'aime bien l'idée que tous nos disques soient nommés par deux mots, à chaque fois c'est un peu un gag. Le premier Pa capona, le deuxième We recruit, la suite entre les deux est marrante, ça veut rien dire en plus. Et pis j'ai toujours aimé la maxime "Vulnerant omnes, ultimat necat" (qui signifie "Chaque heure nous meurtrit, la dernière tue"), ça allait bien avec ce troisième disque parce que peu avant d'aller l'enregistrer, j'ai eu de très graves soucis de santé qui ont failli me couter la vie. Bon, j'ai toujours été passablement obsédé par l'idée de la mort mais a fortiori après cette expérience à l'hosto, je trouvais que c'était un bon titre de disque.

Vous avez signé chez Africantape pour la sortie de votre deuxième album. Qu'est-ce que ça a changé par rapport par Get A Life Records ? Pouvez-vous nous en dire plus sur cette aventure Africantape ?
Philippe : En terme d'exposition, on a bénéficié de la réputation que Julien Fernandez, le fondateur d'Africantape, s'est faite avec son label. La rencontre avec lui vient de Bill de Next Clues, un webzine qui est devenu un peu moribond. Il avait beaucoup aimé notre premier album et au moment de sortir We recruit, je lui avais expliqué qu'on allait pas le sortir sur Get A Life Records parce que le label capotait du fait que le mec qui s'en occupait quittait la Suisse à ce moment-là. Du coup, Bill a fait suivre l'info, il en a parlé à Julien qui a trouvé l'album super et nous a proposé de le sortir.
Mike : La grande différence entre les deux labels, c'est qu'on était passablement impliqué dans Get A Life Records et puis c'est quand même beaucoup plus confortable d'avoir quelqu'un qui s'occupe des contacts, de la distribution, etc... Et puis avec l'ouverture que Julien a, on en a bien bénéficié.

Comment on ressort d'une aventure de 15 jours avec David Yow ? Pouvez-vous revenir sur cette expérience qui a débouchée sur un 2-titres en 2010 ?
Philippe : C'était irréel ! En fait, je suis rentré très tard dans Jesus Lizard. La première fois que je me suis penché vraiment sur ce groupe, c'était à l'occasion du split qu'ils ont fait avec Nirvana et je ne trouvais pas ça bien, je ne comprenais pas ce qu'on trouvait de bien à ce groupe. Pour revenir sur la rencontre, ça s'est fait grâce à E La Nave Va, une association lausannoise qui a beaucoup milité pour la réouverture d'une salle de rock à Lausanne et qui chaque année organise le Lôzane's Burning, un évènement dans lequel des groupes lausannois jouent trois reprises pendant un quart d'heure selon un thème prédéfini. Une année, ils ont voulu pousser l'idée un peu plus loin en proposant à un groupe lausannois de collaborer avec un artiste international. On a donc fait notre liste mais David Yow n'en faisait pas parti, mais quelqu'un dans l'asso l'a suggéré. On s'est dit : "Si seulement... mais il ne sera jamais d'accord !". Ils l'ont contacté et il a accepté, il n'avait rien de prévu à ce moment-là et il est venu en Suisse.
Alors, c'est difficile de parler de cette histoire sans préciser le fait qu'il est resté quinze jours avec nous sans boire une goutte d'alcool. Faut rappeler que de son propre aveu, c'est un alcoolique notoire et comme il était sous antibiotique, il devait rester sobre. Donc, c'était deux semaines pas marrantes pour lui. En plus, ça ne devait pas être évident de se retrouver avec trois types qu'il ne connaissait pas. Il y a mis beaucoup du sien mais n'était pas forcément toujours très à l'aise car il devait se sentir assez seul. Pour nous, ce fut une monstre pression, on a eu très peu de temps pour se préparer, genre cinq jours, même pas, pour répéter les morceaux. Ceux auquel on avait pensé jouer avec lui, il n'en voulait pas donc il a fallu mettre sur pied un set tant bien que mal, c'était très difficile. Et puis les concerts eux-mêmes l'étaient tout autant parce que soit les gens venaient voir David Yow car c'était le chanteur de Jesus Lizard, soit ils venaient pour nous mais ne voulaient pas voir David. C'était assez particulier mais en dehors de ça c'est un type absolument adorable et plein d'esprit. Moi, j'avais peur qu'il ne soit pas cool. Encore aujourd'hui, ça reste un truc un peu irréel, j'ai de la peine à croire qu'on l'a fait. Pis c'est clair que le jour où on lui a dit au revoir, c'était très difficile, on s'est évidemment beaucoup attaché à lui. Mais je pense qu'il n'était pas mécontent de s'en aller. Ce qui est certain, c'est que musicalement parlant, l'expérience a été tout à fait concluante, surtout avec le temps qu'on a eu en fait. Je crois qu'il a travaillé sur les morceaux dans l'avion et il a enregistré ses voix en une après-midi à Lausanne dans un petit local de répèt pourri. C'était aussi irréel que la collaboration elle-même. C'est un truc totalement à part dans notre discographie, on en garde un très bon souvenir surtout que c'était improbable comme truc.

Vous avez gardé contact avec lui ?
Philippe : Moi pas, mais je crois que Diego a des interactions avec lui via Facebook. Mais cela dit, j'aimerais bien le revoir.

J'imagine que ca vous a donné l'envie de reproduire un jour ce genre d'expérience ?
Mike : Là, on a Olivier qui est arrivé dans le groupe donc ça fait aussi un changement. C'est un autre artiste et il faut s'adapter, c'est pas évident. Dans le cadre du Lôzane's Burning, on a fait une autre collaboration avec un groupe suisse qui s'appelle Disco Doom. C'était assez génial parce qu'on avait quatre guitares sur scène et un gros mur de son. Ce sont des projets intéressants mais en même temps il faut garder le focus sur ce qu'on fait et de continuer à avancer avec le groupe.

L'année dernière, vous sortiez votre 3ème album, Ultima Necat. Un album qui, pour certains, se démarque de We recruit par sa noirceur et sa mélancolie. Quelle différence faites vous entre ces deux albums ?
Mike : Je fais assez peu de différences entre les deux. J'ai l'impression qu'Ultima Necat est un peu plus abouti, ses morceaux sont peut-être mieux faits. C'est pas facile d'avoir du recul, je passe peu de temps à réécouter nos disques à part pour préparer les concerts. J'ai de la peine à dire pourquoi mais je préfère Ultima Necat.
Philippe : Je ne sais pas trop quoi dire là-dessus. Je pense que certains morceaux d'Ultima Necat sont meilleurs que ceux de We recruit. Pour moi, par exemple, "Body language" est une des meilleures chansons qu'on ait écrite, et c'est probablement ça qui différencie les deux disques. Ultima Necat a été pensé comme un album de chansons. Et toi, Olivier, qu'est-ce t'en penses ? Tu dors ?
Olivier : Euh... alors moi, j'ai pas du tout participé à l'enregistrement de ce disque. Mais je me suis approprié plus facilement les morceaux d'Ultima Necat, surtout deux-trois comme "Little wolf", car je les trouve très bien écrits. Il y un côté plus "adolescent" dans We recruit, le suivant c'est un peu l'album de la maturité... (rires)

Ventura_Ananasses L'année dernière, vous avez sorti un 2 titres Ananasses avec un titre et un artwork franchement drôle. D'ailleurs tout est marrant dans ce disque, c'est un peu à l'opposé de votre démarche habituelle, pourquoi ce disque ?
Philippe : Par opposition à Ultima Necat justement ! On a écrit ce morceau en un quart d'heure avant d'aller en studio. Tout ce truc est une blague mais, en même temps, les gens l'aiment bien, ils ont d'ailleurs manifesté autant d'enthousiasme avec Ananasses qu'Ultima Necat. Au départ, il avait été question de l'inclure dans l'album en morceau caché, pis au final je trouvais que ça le faisait pas de mettre ce machin rigolo et sautillant qui parle de tirer de la coke sur le cul d'une pute après la charge que représentait Ultima Necat. Donc on a suggéré à Julien de faire un 45 tours avec ça, il a trouvé l'idée super. On a demandé à Yvan, un ami graphiste, ce que lui inspirait le titre et il en a fait ce magnifique dessin que j'adore et dont j'ai reçu l'original l'autre jour dans un joli cadre.

Vous êtes même allé encore plus loin avec ce clip assez drôle. C'est qui ce batteur chevelu qui n'arrive même pas à tenir le rythme ? D'où vous est venue l'idée ?
Philippe : Alors, l'idée du clip et de la mise en scène vient de Barbara Lehnoff, la chanteuse de Peter Kernel et de Camilla Sparksss. Et le mec qui joue dedans, c'est le premier batteur de Krokus, c'est elle qui l'a contacté.

L'année dernière, vous devenez un quatuor avec l'arrivée d'Olivier à la gratte, il y a une raison ? Comment s'est passée son intégration ?
Philippe : Je le voyais dans mon quartier, il était SDF, il me faisait de la peine (rires). Plus sérieusement, je l'ai connu par l'intermédiaire de mon projet solo qui s'appelle The Sinaï Divers. J'ai vu en jouant avec lui tout son élan, c'est quelqu'un d'extrêmement passionné qui met beaucoup de cœur dans ce qu'il fait. Et puis on a toujours voulu un deuxième guitariste dans Ventura, on l'a fait un temps en jouant avec Sam de Cortez mais il a quitté la Suisse. J'ai donc demandé à Olivier de nous rejoindre et il a manifesté de l'intérêt et ça se passe super bien. (Se tournant vers l'intéressé) Toi, qu'est-ce t'as à dire là dessus ? Pourquoi t'es venu dans Ventura au fait ?
Olivier : C'est vrai que j'étais à la rue, ils m'ont sorti de ma grotte. Moi, je ne faisais plus de rock n' roll du tout, et la vie sans rock n' roll est beaucoup plus triste. Ca faisait longtemps que je ne jouais plus de guitare, c'était un gros challenge. Mais je pense que le premier argument, quand Philippe m'a demandé de rejoindre le groupe, c'était l'impression que m'avait fait le disque en pré-master, il m'a troué le cul. L'idée de le défendre était une aubaine.

En quoi Serge Morattel a-t-il changé votre son ? J'ai l'impression que c'est le pape du gros son en Suisse, pouvez-vous nous parler de sa manière de travailler et comment vous avez été amené à enregistrer avec lui ?
Mike : Serge n'a pas changé notre son, il a su le mettre en valeur. En réécoutant les démos enregistrées avant d'aller chez lui, je me suis rendu compte qu'il a compris le groupe, compris aussi ce qui fallait faire de nos morceaux et il a su le faire parfaitement sans rajouter des trucs qui n'avaient pas lieu d'être là. Mine de rien, ça c'est déjà énorme. On est venu travailler avec lui car la Suisse est un petit pays et en discutant avec des amis qui sont allés enregistrer chez lui, ils nous ont dit que c'était un type en or. On ne le connaissait pas avant ça et avec lui ce qui est bien, c'est qu'il n'y a jamais de problème, il y a toujours une solution. Avec Serge, tout est facile, il prend les choses à la légère tout en faisant un boulot très pro. On a eu l'impression directe d'être avec un ami de longue date avec qui on peut vraiment se confier et à qui confier notre musique sans souci.

Vous avez joué sur le plongeoir de la piscine de Martigny pendant que les gens nageaient tranquillement. Je n'avais jamais vu ça auparavant. Comment êtes vous arrivé à faire un truc pareil ?
Mike : Nous non plus, on a jamais vu ça ! On a fait ça dans le cadre du Palp Festival, leur but est de mettre en place des concerts dans des lieux insolites et ils nous ont contacté pour nous demander de jouer sur ce plongeoir. Au début, on s'est posé des questions, ils nous ont envoyés des photos du plongeoir. Leur but c'était qu'on joue chacun sur un plongeoir de hauteur différente. Olivier était à 10 mètres de haut, on ne le voyait pas et de manière générale on ne se voyait guère. Le challenge c'était surtout au niveau du son et je trouve qu'ils ont bien géré le truc, ils avaient les moyens pour qu'on s'entende très bien. C'était vraiment excellent, on est assez friands de ce genre de choses mais il faut que les gens nous le proposent. On a joué aussi dans une maison de poupée grandeur nature dans le cadre d'une exposition d'art contemporain en plein air. C'était marrant aussi.

J'ai vu que vous aimiez bien des reprises en live. Est-ce que ce petit plaisir pourra un jour être entendu sur galette ?
Mike : Pour documenter ça, cela aurait été bien de les enregistrer. On en a fait beaucoup au Lôzane's Burning étant donné que ça fait dix ans qu'on y participe. Il y a des morceaux qu'on reprend quelques fois mais on les oublie. Enregistrer toutes les reprises qu'on a faite, ce ne serait pas possible. A moins de les réinterpréter mais bon, autant se concentrer sur nos propres morceaux je pense.
Philippe : Moi je pense surtout qu'enregistrer des reprises, cela a du sens que si elles sont fondamentalement différentes de ce que sont les morceaux à la base. A la limite, les enregistrer en répèt pour voir ce que ça donne ou pour se fendre la gueule, pourquoi pas ? Mais les enregistrer pour les sortir, c'est con... ou alors pour faire un truc vraiment obscur. Par exemple, pour la dernière édition du Lôzane's Burning, on avait envisager de reprendre un morceau extraordinaire, dont j'ai oublié le titre, de Distorted Pony, un groupe californien qui a sorti deux albums notamment sur le label Trance Syndicate. C'est tellement obscur que ça pourrait avoir un sens de l'enregistrer mais sinon ça n'a pas d'intérêt.

On parlait de cinéma tout à l'heure, aimeriez-vous impliquer Ventura dans d'autres arts comme le théâtre, la danse ou je ne sais quoi ?
Philippe: Je ne serais pas contre mais je ne le ferais pas juste pour le faire, il faut que ça me parle. J'aurais de la peine à dire oui juste parce que j'aurais l'air cool en disant que je fais de la musique pour de la danse ou du théâtre. Je ne m'identifie pas naturellement à ces formes d'art, il faudrait une bonne raison de le faire. Une jolie danseuse, par exemple...

On a rencontré Franz des Young Gods il y a quelques mois qui nous parlait de la reconnaissance par les autorités d'une culture indépendante Suisse dans les années 80. C'est notamment grâce à ces mouvements de revendications qu'il y a eu tous ces clubs dans lequel des groupes comme le votre puisse se produire. Y-a t'il encore du chemin à faire en Suisse ou pas de ce point de vue-là ?
Philippe : Non, je pense que le chemin a été fait par eux justement. Malheureusement, les gens ont tendance à penser que c'est acquis et tout cela pourrait très facilement redisparaître. A Lausanne, au début des années 80, le mouvement de revendications sociales "Lôzane bouge" a donné naissance au centre autonome Cabaret Orwell puis à la Dolce Vita. C'est la conséquence direct de ce que parlait Franz. Et puis pour des questions de mauvaises gestions, la Dolce Vita a disparu. Cette salle mythique a accueilli des groupes mondialement connus comme les Red Hot Chili Peppers ou Sonic Youth. Personnellement, j'adorais cet endroit et c'est quand même triste qu'il ait dû fermer donc, voilà, tout ça peut redisparaître. Mais en l'occurrence, pour l'instant, il n'y a plus de militantisme en Suisse. Je vois à Lausanne, par exemple, les jeunes ont une offre culturelle tellement large qu'ils vont là où ça les intéresse, que ça soit un concert de rock ou pour danser sur de la tech. Au fond, ils s'en foutent un peu de tout ça je pense...

Vous jouez à la Malterie aujourd'hui, une maison d'artistes pluri-disciplinaire. C'est répandu en Suisse ce genre de lieu ?
Philippe : J'aurais envie de dire non. En Suisse, une salle de concert, c'est une salle de concert. La grosse différence entre la Suisse et la France c'est qu'on a pas l'esprit associatif en Suisse. Enfin, il me semble.
Mike : Il y a déjà une grosse différence entre la Suisse Romande et la Suisse Alémanique. En Suisse Alémanique, il y a des grands lieux où tu trouves au même endroit des locaux de répétitions, une salle de concert, de danse et de théâtre, avec un esprit un peu plus politique comme à Berne ou à Zurich avec la Rote Fabrik par exemple. Ce qu'on n'a pas vraiment du côté francophone. A Genève, il y a l'Usine qui est une grande salle où pas mal de choses se passent mais ça s'est passablement réduit, c'est surtout une salle de concert maintenant.

Vous connaissez bien notre pays, l'ayant parcouru dans tous les sens. Y-a t-il une différence entre la Suisse et la France tant au niveau de l'organisation, de l'accueil des groupes, des cachets... ?
Philippe : Il y a une différence de mentalité qui est évidente, une différence culturelle j'ai envie de dire. Ce qui me frappe quand je viens en France, c'est que tout à l'air beaucoup plus ardu que chez nous et on sent bien que pour un concert, tu as plein de gens qui travaillent bénévolement autour. Et ça c'est quelque chose qui ne serait pas possible en Suisse ! Une municipalité qui te donne 100 000 Francs Suisses (un peu plus de 80.000 Euros) par an pour une salle de concert, c'est tout à fait normal chez nous. Sans vouloir flatter les français, il y a un engagement qui est clairement différent et puis c'est ici qu'on est le mieux accueilli et que Ventura a généré le plus d'enthousiasme. Évidemment, c'est très plaisant. On a été beaucoup chroniqué sur les webzines français, on a reçu une bonne chronique dans le magazine Noise, c'est sûr que ça aide.

Mais ce n'est pas dû au fait que le gérant de votre label soit français ?
Philippe : Non, le label est un atout de crédibilité mais je ne pense pas que ça suffise à asseoir la réputation d'un groupe. Et puis, il y a d'autres artistes sur Africantape qui n'ont pas eu l'écho que nos deux derniers albums ont eu.
Mike : Oui et puis le label n'est pas vraiment français en plus ! Il est basé en Italie et les artistes viennent de partout. Au final, il n'y a pas tant de groupes français que ça chez Africantape. Pour moi, c'est un label international. Olivier dort encore...
Pour en revenir à ta question de départ sur les différences entre les deux pays, je dirais que tout a l'air plus compliqué dans les salles de concerts suisse au niveau organisation. En ce qui concerne l'administratif, tout est très étatisé, ça peut s'apparenter au fonctionnement d'une SMAC. En Suisse, les subventions sont importantes et nos cachets sont bien plus élevés. Ca peut vite devenir difficile de s'en sortir si on ne tourne qu'en France avec les frais de déplacements et tout. La Suisse c'est un petit pays, les villes sont plus rapprochées donc si tu joues là bas tu fais vite le tour, tu dois vite refaire un disque pour pouvoir rejouer dans les mêmes villes.

Dernière question : Où en êtes-vous sur la composition du prochain album ?
Mike : En général, c'est Philippe qui compose mais je ne sais pas s'il a des idées en tête. On a eu sur les précédents albums, des morceaux qui étaient déjà formés et qu'on jouait en concert avant de les mettre sur disque. On a décidé qu'à la fin mai on arrêtait les concerts pour s'atteler à la composition. Ce qui n'est pas évident parce que je suis peu disponible pour le groupe, on ne se voit que quand il faut répéter pour les concerts donc ça coupe la possibilité de se focaliser uniquement sur le travail de composition.
Philippe : En ce qui me concerne, j'aimerais bien me remettre à travailler de nouveaux trucs. J'ai quelques idées mais je ne peux pas te dire que je suis étouffé par l'inspiration. J'aime bien le groupe dans son fonctionnement actuel. Sans prétendre qu'on est un bon groupe de live, je trouve qu'on n'a jamais été aussi bon dans ce domaine que maintenant. Tout ça me contente mais je suis curieux de voir ce qui va se passer le jour où faudra qu'on aborde la suite de Ventura à quatre. J'aimerais me renouveler et de faire quelque chose qui m'inspire moi-même. Il est hors de question d'enregistrer un disque pour enregistrer un disque. Il y a une réelle différence entre nos trois albums et il faut que cela soit le cas avec le quatrième. Enfin, s'il y en a un parce que si je ne le sens pas, je ne suis pas pour continuer le groupe coûte que coûte.