À bien des égards, Ad matres est un album à part dans la discographie de Ventura. Et ce n'est pas seulement parce le trio historique a changé de batteur (Grégoire, quartier de Cortez, a remplacé Mike) et s'est séparé de leur éphémère guitariste Olivier. Ou parce qu'il a anecdotiquement pété son record de délai entre deux albums, soit 6 ans après le somptueux Ultima necat. Ironie du sort, ce quatrième album est sorti le même jour que Fear inoculum de Tool, formation réputée pour mettre un temps fou à sortir des albums (13 ans pour le dernier, soit l'époque de Pa capona !). Ventura n'en est pas encore là, mais à chaque album son histoire. Bref, revenons-en à nos moutons. Si Ad matres est un album à part, c'est parce qu'au-delà de la magie des émotions que ce groupe est toujours capable de produire avec aisance, il se révèle être désormais beaucoup moins attiré par les saturations à la fois compactes et amples, par les vibrations capitonnées de basses rondouillettes et étouffantes et par des rythmiques lourdes et mécaniques auxquelles on pouvait facilement l'identifier notamment après les sorties de We recruit et d'Ultima necat.
Ce Ventura cuvée 2019 laisse une place prépondérante aux mélodies, à la respiration donnée à ses morceaux, aux différents mouvements des styles qu'il offre (indie-rock, post-rock, slowcore, dream-pop, noise-rock...), à cette voix pleine d'émoi qu'on discerne un peu plus qu'avant du reste, à une basse beaucoup plus présente et moins sourde. En somme, la grande nouveauté de ce nouvel effort est la direction choisie concernant notamment la production, et est, selon les intéressés, due au jeu de batterie tout en nuance de Greg. Dès l'introductive et voluptueuse "Acetone", on est d'emblée frappé par cette évolution. Et même s'il est difficile de chasser le naturel, il revient toujours au galop à un moment donné, à l'image de l'énergique "Void" et son riffing conquérant, ou la sublime et frissonnante "Faith, hope & charity" réalisée en partie avec une guitare acoustique. À l'instar de ces derniers cités, "Revenge" et "To stand no has one" sont aussi des morceaux qui auraient pu avoir facilement leur place sur les précédentes sorties.
Malgré la profonde tristesse et le mal-être qui jonche ce disque, Ventura arrive toujours à nous faire sourire par moments, comme ce langoureux "Johnny is sick" qui doit probablement parler de notre Johnny national, à l'époque où il n'était pas encore mort, et qui m'a rappelé le running-gag de cette fameuse page Facebook sur son état de santé quotidien. D'autres morceaux surprennent et nous détournent des habitudes du trio par le biais par exemple d'une pop céleste qui monte progressivement dans les décibels ("The dots better") ou par l'errance d'esprits indéfinissables ("I'm afraid", "To suffer"). Bouleversé par la perte d'une mère (celle de Diego en l'occurrence) - d'où ce nom choisi pour ce disque - les Ventura savent aussi trouver la lumière ("Pionner") à travers ses dix titres pour lesquels il est difficile d'y trouver des points faibles. Les Suisses font partie de ces quelques formations qui ne nous ont jamais déçus, et même si ces dernières années nous ont laissé un petit doute sur leurs ambitions de poursuivre cette belle aventure, on se dit sans hésitation que l'attente en valait la peine car Ad matres est un petit bijou.
Publié dans le Mag #39