Ventura 2019 - 1 Quel plaisir fou de vous retrouver et surtout de trouver une suite à Ultima necat. Plus de 6 ans après sa sortie, on a envie de vous demander d'emblée, comment ça va ?
Philippe (guitare, chant) : Ça va très bien, merci !
Diego (basse) : On pète le feu, et très heureux que ce disque soit enfin sorti.

Ventura était vraiment en sommeil pendant tout ce temps ? Ou ça composait vraiment lentement ?
Philippe : Non, on n'était pas vraiment en sommeil, on avait besoin de temps, je pense.
Diego : Oui, on n'était pas endormi, on a pris notre temps et sans aucune attente. On se voyait toujours toutes les semaines pour jouer des trucs ensemble et dans un sens, on avançait comme ça.

Durant cette période, en terme musical, je sais au moins que Philippe a collaboré avec Louis Jucker, mais pour le reste. Ah si, il y a ce disque de B-sides, non ?
Philippe : J'ai effectivement fait un disque avec Louis, mais il n'y a aucun lien avec la longueur du délai. Quant au disque de B-sides, ce n'est pas à proprement parler un disque. C'est l'initiative de Diego de mettre en ligne ces trucs qui traînaient et dont on ne savait pas quoi faire. C'est pratique de les avoir à portée d'oreille.
Diego : Ces B-sides ont été balancées sur Soundcloud pour qu'elles soient écoutées. Tous ces morceaux sont des jams, des trucs enregistrés au local par Philippe et moi. Je considère pas que c'est un disque.

En janvier 2018, je vois que vous étiez en train de mixer cet album, en juillet 2018, vous annonciez l'album pour début 2019. Ça a vraiment été long à accoucher de cet album.
Philippe : Oui, tout a été assez compliqué... On a d'abord dû repousser le mix de quatre mois, et à partir de là tout a pris du temps. Le truc, c'est qu'on fait ça à côté de notre vie quotidienne, et comme on n'est pas plus ambitieux que ça, on a simplement pris notre temps.
Diego : L'accouchement a été long, en effet ! Plusieurs étapes de studio ont traîné, comme le mix. L'étape du mastering a aussi pris un peu de temps, on a fait plusieurs test pressing, et pour finir, le design et la fabrication de la pochette ont aussi pris du temps. Si tu combines tout ça au final, ça fait 2 ans.

Le dernier coup qu'on vous avait vu physiquement, c'était en 2014 à Lille. Je remarque que Mike (batterie) et Olivier (guitare) ne sont plus là aujourd'hui. Ils ont définitivement abandonné le navire ?
Philippe : Ah Lille, La Malterie !!! Non, Mike et Olivier ne font effectivement plus partie de l'aventure... Ce sont les aléas de la vie de groupe, dont nous tenons à préserver jalousement les mystères.
Diego : On se voit encore parfois, surtout lors de concerts. Mais, oui, aujourd'hui Ventura, c'est Greg (de Cortez), Philippe et moi.

On a associé longtemps Ventura au label Africantape, votre nouvel album sort chez Vitesse Records. Du coup, Africantape, ça existe toujours ? Vous avez trouvé une solution locale pour sortir votre disque, vous pouvez nous parler de ce deal et de ce label ?
Philippe : Pour autant que je sache, non, Africantape n'existe plus.
Diego : Ouais, Julien Fernandez a stoppé l'aventure. Actuellement, il gère avec un de ses amis un label qui s'appelle Aagoo Records. Le site web de ce label ressemble d'ailleurs beaucoup à celui d'Africantape, on retrouve bien Julien Fernandez et sa touche graphique bien à lui.
Philippe : Donc Vitesse Records, qui est un label lausannois qui sort des disques d'artistes de la région, comme La Gale ou Bombers, a accepté de sortir le nouveau. Mais ils étaient déjà partie prenante du précédent, qui était une co-production entre Africantape et Vitesse Records. Il n'y a pas de deal entre eux et nous, ils ont aimablement accepté de produire ce disque dont la pochette a coûté deux reins.
Diego : On connaît les gens derrière Vitesse Records depuis pas mal de temps, donc il était normal pour nous de répéter l'expérience avec eux. Aucun deal, juste une poignée de main a suffi.

Ventura - Ad Matres On connait votre goût prononcé pour les titres d'album en latin notamment, le nouvel album s'appelle Ad matres et non "Ad patres", un jeu de mot qui ne sonne pas très joyeux en fait. Il y a toujours eu une profonde tristesse/mélancolie chez Ventura et sur ce nouvel album, j'ai l'impression que c'est encore pire qu'avant. C'est le reflet du monde dans lequel on vit qui est de pire en pire ? Ou le mal-être intérieur des Ventura ?
Philippe : C'est surtout dû au fait que la mère de Diego est décédée pendant ce laps de temps, et que bien évidemment cela a marqué l'ambiance du groupe, tout comme d'autres malheurs dont je ne parlerai pas ici... Ceci couplé aux départs de Mike et Olivier, puis à l'éviction de notre local depuis presque vingt ans... Une période merdique, en somme.
Diego : Ce disque n'est pas joyeux et l'ambiance n'est pas très tropicale, en effet. Il y a eu quelques passages à vide durant cette période, comme le décès de ma mère, mais aussi comme Philippe le dit, les départs de Mike et Olivier. L'arrivée de Greg nous a fait beaucoup de bien, autant au niveau de la musique mais aussi en terme d'ambiance dans le groupe. On connaît Greg depuis longtemps, on rigole bien ensemble !

Je trouve que le son de Ad matres est beaucoup moins costaud que les précédents, que ça soit en profondeur ou en saturation, c'est une illusion de ma part ?
Diego : Tu as parfaitement raison et de bonnes oreilles, ce fut un choix de notre part. Là aussi on a pris notre temps, avec un Serge Morattel plus impliqué dans le processus que par le passé. Avant, on voulait que ça tabasse, avec une grosse batterie, des guitares larges et une basse qui chie. Cette fois, chaque morceau était étudié et décortiqué. La batterie sonne différemment sur chaque morceau par exemple. Pour moi, ce disque représente bien Ventura mais avec du velours.
Philippe : Nous avons demandé à Serge de lui donner une certaine couleur, et le résultat est celui de son approche. Nous avons décidé que ce disque devrait être différent des précédents, histoire aussi de marquer la rupture avec ce qu'on a sorti par le passé.

Surprenant aussi d'entendre un titre comme "The dots better", un tantinet pop scandinave un peu froide et chaude en même temps. J'ai l'impression que beaucoup de choses ont été tentées en termes de compositions pendant ces 6 ans. Il doit y avoir du matériel pour les prochains disques.
Diego : On a envoyé environ une vingtaine de morceaux à Serge avant d'aller en studio. Certains encore totalement à l'état d'ébauche mais d'autres structurés et prêts à être enregistrés. Notre enregistreur multi-pistes au local est blindé de trucs, soit enregistrés par Philippe tout seul, soit à deux. Il y a toujours eu du matériel mais pas forcément pour un disque. Concernant "The dots better", ce titre avait une toute autre gueule au départ, il a vraiment pris forme en studio, et au final, je pense que c'est mon préféré.
Philippe : À la base, ça devait être plus couillu, mais ça donnait pas grand chose toutes guitares saturées dehors, alors Serge a suggéré de l'aborder comme ça, ça nous a plu, et on l'a enregistré comme ça. J'écoute pas beaucoup de pop scandinave, donc je peux pas me prononcer...

Globalement, du moins aux premières écoutes, je crois que c'est l'album le plus éloigné des précédents, en termes de démarche artistique y compris dans la production. Quelle était le constat au moment de composer ce disque ? Y avait-il dès le départ cette volonté, par exemple, de faire un peu plus respirer les morceaux, rajouter plus de parties calmes, un peu plus post-rock, d'être moins dans une démarche d'envoyer la purée coûte que coûte. Quand on écoute "Acetone", "Johnny is sick", "To stand no has one" ou "I'm afraid", c'est frappant.
Philippe : C'est difficile de répondre à cette question... C'est probablement en partie lié au jeu de Grégoire, notre nouveau batteur. Et on avait aussi envie de nous éloigner de cette quête un peu vaine de la puissance à tout prix. On est allé en studio en étant délibérément pas prêts à 100%, ce qui est un immense luxe à notre échelle, et on voulait voir ce qui en sortirait, et voilà le résultat.
Diego : Pour être honnête, c'est seulement à la fin de l'enregistrement que je me suis vraiment rendu compte de la différence avec les albums précédents. Mike était, dans un sens, un batteur qui avait toujours la même intensité, alors que Greg est un batteur qui joue davantage avec des nuances. Donc il a clairement influencé ce disque. Les guitares sont presque aussi larges que sur les autres albums, ma basse est même plus présente aussi, c'est vraiment la batterie qui amène ce velours. La seule démarche dont je me rappelle est celle de ne pas avoir de long morceau, comme "Amputee" par exemple.

Sortir votre album le même jour que celui de Tool, c'était un hasard ou une petite blague ?
Philippe : Non, c'est un pur hasard...
Diego : ...qui nous a bien fait rire lorsqu'on s'en est rendu compte. J'ai posté un truc graphique débile, cela m'a pris 30 secondes à faire sur mon mobile, et je savais que cela allait se propager et être partagé rapidement. Merci à Tool.

Vous avez déjà eu le temps de présenter le nouvel album au public ? Une tournée est prévue ?
Philippe : Nous avons "verni" le disque début septembre à Lausanne, mais nous n'avons aucune date de prévue pour l'instant. Mais comme ça s'est très bien passé, il n'est pas exclu que ça ait lieu plus tard.
Diego : À voir, ouais !

Ventura 2019 - 2 Pour terminer, j'aimerais que vous me racontiez juste une anecdote ou ce qui vous sort par la tête concernant chacun des morceaux de ce Ad madres

Acetone :
Philippe : Le titre fait allusion au groupe de slowcore Acetone, dont le chanteur s'est suicidé faute de succès... Certains accords du morceau m'y font penser. Un des morceaux les plus compliqués à rejouer en live.
Diego : J'adore ma ligne de basse, y a plein de parties différentes, j'adore jouer ce morceau.

Void :
Philippe : Le plus vieux morceau du disque... Il doit avoir pas loin de dix ans.
Diego : J'allais dire la même chose que Philippe, donc je vais dire que c'est vraiment le morceau dans lequel on entend le niveau de jeu de batterie assez exceptionnel de Greg.

Faith, hope & charity :
Philippe : C'est une chanson qui parle d'aviation...
Diego : Et moi je dis que ça parle de 3 avions.

Johnny is sick :
Philippe : Il l'était, il l'a prouvé.
Diego : Pendant l'étape du mix, il aurait été plus juste de l'appeler "Johnny was sick".

Revenge :
Philippe : Ce morceau parle de ma mère.
Diego : Dans ma tête, ce morceau s'appellera pour toujours "Maïzena".

The dots better :
Philippe : Je ne sais pas quoi dire de ce morceau. À part peut-être que j'aime bien les paroles.
Diego : Voir Greg enregistrer ce morceau en live était super impressionnant. On ne dirait pas comme ça, mais la batterie a été enregistrée d'un coup, sans overdub de cymbales, il joue tout en live. La méga classe !

To stand, no one has :
Philippe : Référence à un livre inédit qu'un ami a écrit, et auquel il emprunte son titre.
Diego : On n'avait jamais joué ce morceau avec Greg avant d'aller en studio mais il faisait partie de la démo envoyée à Serge. Il a trouvé dommage de ne pas essayer de l'enregistrer. 3-4 heures plus tard, il était enregistré. Je répète.Greg n'avait jamais joué ce morceau avant. Encore à nouveau, la méga classe !

To suffer :
Philippe : Référence brillante à une chanteuse suédoise qui avait un morceau qui disait "It's all about the money"...
Diego : J'ai dû batailler avec Serge qui voulait que je modifie ma ligne de basse super simpliste, trop "vide" à son goût. Au final, j'ai gagné la bataille.

Pioneer :
Philippe : Hommage à notre pionnier intergalactique, Bertrand P. qui, s'il continue à ce rythme, va bientôt nous dégoter une planète B.
Diego : Quel connard ce Bertrand P.

I'm afraid :
Philippe : Autre hommage, à Glenn Medeiros cette fois. Ai-je besoin d'en dire plus ?
Diego : Malheureusement, et vraiment, je n'aime pas ce morceau. Même si le résultat est bon, cette mélodie me rend super glauque. Lorsque j'ai dit ça à Serge durant la session d'enregistrement, il m'a répondu : "Eh ben, raison de plus pour l'enregistrer !".