Circulez, y'a plus rien à voir !! Effervescence Records, qui fête ses 18 ans, n'est (presque) plus. Et du coup, une rencontre avec Fab, le boss du label, s'imposait pour faire un bilan de ces presque deux décennies vouées au punk-rock.
Salut Fab et merci de prendre du temps pour répondre à nos questions. On va commencer par la fin si tu le veux bien. Effervescence Records va fêter ses 18 ans le 31 mars prochain et tu arrêtes les activités du label à cette date symbolique. Pour quelle(s) raison(s) ? Ras le bol, impression d'avoir fait le tour de la question, envie de faire autre chose ? Ca fait longtemps que tu y penses ?
Hello Gui ! Oui je t'avoue que ça doit faire 2 / 3 ans que je pensais à l'arrêt du label. Mais je n'avais aucune idée de quand et comment. Il y a quelques années, j'ai eu quelques déceptions quand au rapport de respect / confiance que j'avais pu avoir avec des personnes dans le milieu musical avec qui je bossais depuis longtemps. J'ai commencé à ralentir les productions, et, j'ai pris la décision d'arrêter le label au début de l'année 2021. Ajouté à ça les frais de port qui deviennent de plus en plus honteux pour un service toujours plus dégueulasse, une nouvelle loi internationale concernant les douanes qui assassinent tout le monde. Je n'avais plus envie que le mec au Canada (par exemple) paie 40 euros pour un vinyle, qui va en plus, peut-être, se perdre ou arriver endommagé.
En y réfléchissant je me suis rendu compte que le 31 mars 2022 serait la date du 18ème anniversaire d'Effervescence, je me suis alors dit que cela serait la date parfaite. 18 ans, l'âge de la majorité, il est temps de lui rendre sa liberté !
Pour ceux qui ne connaissent pas la genèse du label, peux-tu faire fonctionner la boîte à souvenirs et nous la rappeler ? Avais-tu dès le départ une idée d'où cela te mènerait ?
L'idée de créer le label m'avait traversé l'esprit en 2002 sans y penser plus que ça. Puis vers la fin 2003, nous nous apprêtions à sortir notre premier album avec No Perfect. Nous étions à ce moment-là en contact avec quelques labels, puis un jour je me suis dit "mais finalement pourquoi signer sur un label et ne pas avoir la main mise sur tout notre projet ? Et puis faire la promo, distribuer notre musique, trouver des concerts, je peux tenter de le faire ! Certes à ma ridicule échelle, mais je peux essayer !"
Et voilà, c'était parti ! J'avais déjà le nom, nous l'avions trouvé avec le batteur et le bassiste de No Perfect lors d'une de nos nombreuses discussions / déconnades ! Je n'avais aucune idée de ce que ce projet deviendrait. Allait-il durer un an ? Deux ans ? Cinq ans ? Qu'est-ce que j'allais en faire ? Allais-je réussir ? Et puis finalement il a duré 18 ans. Et il s'arrête non pas parce qu'il ne marche plus, au contraire. Et si tu savais comme je remercie toutes les personnes qui ont suivi et qui ont soutenu le label durant cette presque-double-décennie !
Quelles ont été les étapes clés de ta structure ?
C'est une très bonne question car l'évolution du label est effectivement passée par différentes étapes clés.
En 2004, pour commencer : la sortie de A day like another l'album de No Perfect. La presse nationale (comme Punk Rawk, Kickass Mag et d'autres) a commencé à parler de l'album et par la même occasion d'Effervescence. Grâce à tout ça, le nom du label a commencé à tourner.
En 2007, mon ami Manux (de WeCare Booking) me parle d'un groupe qui vient de se former sur les cendres de Belvedere, avec le chanteur guitariste et le batteur. Celui-ci s'appelle This Is A Standoff. Nous rentrons en contact avec eux, et, avons l'honneur de sortir leur premier album Be excited. A partir de ce moment-là, les portes de l'international se sont réellement ouvertes. J'ai commencé à recevoir des propositions de groupes internationaux et avec une certaine renommée. Ce qui en 2009 m'a amené à signer Red Lights Flash (auparavant chez AF Records, le label d'Anti-Flag) et Antillectual.
2010 fut l'une des années les plus importantes d'Effervescence, puisque ce fut l'année ou Effervescence a commencé à bosser avec Fat Wreck.
Quelques mois plus tard j'avais l'honneur de rentrer en contact avec les frères Stern (les boss du label BYO Records ainsi que du Punk Rock Bowling et également musiciens de Youth Brigade) et de trouver également un accord de distribution. C'était juste fou ! Impensable !
La dernière étape clé fut de commencer à bosser en direct avec Epitaph / Hellcat / Burning Heart et de pouvoir commencer à leur proposer des rachats de licences.
Pour finir, l'apogée fut certainement l'opportunité de racheter la licence de Keep out des Satanic Surfers. Satanic Surfers est tout simplement mon groupe préféré, celui que j'ai certainement le plus écouté (avec Green Day). Je me rappelle avoir acheté Keep out en 1996 (2 ans après sa sortie) sur un coup de chance chez un disquaire. Mon premier disque des Satanic. 25 ans plus tard, le fait d'en racheter la licence et de le sortir pour la première fois en vinyle. Imagine l'excitation que cela fut pour moi !
Effervescence, c'est notamment (mais pas que) le distributeur des prods de Fat Wreck. Avais tu un deal particulier avec le label (exclusivité, nombre minimum de disques à écouler, cahier des charges sur les prix de revente...) ? Fat fonctionne-t-il réellement comme un indé ?
Le début de l'histoire avec Fat Wreck s'est passé tellement naturellement et simplement que j'adore toujours autant en parler ! Un jour de 2010 je décide d'envoyer un mail à Fat Wreck Chords, sans réellement espérer grand-chose. Quelques semaines plus tard, je reçois une réponse me disant "C'est OK Fab, voici nos conditions et notre catalogue". J'ai compris plus tard qu'ils s'étaient bien renseignés sur ce que je faisais et le sérieux du label... Là, je me suis dit "C'est pas possible ? Où est la caméra cachée ?". Mais non je ne rêvais pas et quelques semaines plus tard je recevais les premiers disques ! Effervescence allait distribuer les disques de NOFX, Mad Caddies, No Use For A Name, Lagwagon et tant d'autres ! Incroyable !
Non je n'ai jamais été soumis à quoi que ce soit en termes de quantité, de charges sur les prix de revente ni quoi que ce soit. Nous avons un deal qui a été convenu dès le début, j'ai accès à l'intégralité du catalogue Fat et je commande et achète ce que je veux. Tout s'est toujours parfaitement passé avec Fat, sincèrement. Cela fait 12 ans que nous bossons ensemble maintenant, et je pense qu'au fur et à mesure des années une solide confiance s'est instaurée, ce qui fait, que, par exemple, j'ai l'opportunité de vendre certains disques que seul Fat a et pas même le distributeur au Japon ou en Australie. Également, j'ai eu l'occasion de bosser à plusieurs reprises sur la promo des groupes Fat.
Donc pour répondre à ta dernière question, je pense que Fat fonctionne bel et bien comme un label indé, et bien plus que certains autres labels soi-disant "indé" avec une notoriété bien plus petite.
A côté du côté distributeur, Effervescence était donc un label avec de belles références françaises : UMFM, Forus, Straightaway et internationales : A Wilhelm Scream, Not On Tour, Belvedere. Quels étaient les critères pour être signés chez Effervescence ? Quels sont, parmi tes sorties, tes disques préférés ou ceux qui t'ont marqué ?
Merci beaucoup pour tes gentils mots ! Il n'y avait pas vraiment de critères pour signer chez Effervescence. En effet, pour moi le plus important était que la musique du groupe me parle et me plaise, ainsi que le coté humain. On m'aurait proposé le meilleur album de tous les temps composé par un groupe de connards, j'aurais refusé (rires) ! Également, des groupes de grosses renommées m'ont contacté à plusieurs reprises, mais je n'étais pas fan de leur musique, alors j'ai refusé. Tu me diras que c'est complétement con, car avec des groupes comme ça, j'aurais pu faire de l'argent. Mais ce n'était pas ma façon de voir les choses.
Comme je l'avais dit il y a très très longtemps dans une interview "si un jour je signe un groupe pour ne faire que de l'argent, c'est qu'il sera temps d'arrêter, c'est que la passion ne sera plus vraiment là". Ce que j'ai toujours voulu et ce que j'ai essayé de faire tant que j'ai pu, c'est qu'Effervescence soit une famille. Qu'il y ait toujours un réel échange entre le groupe et le label, essayer de faire avancer les choses, réfléchir à de nouvelles idées, essayer de les aider quand une tournée était compliquée à booker.
Concernant mes disques préférés, whouaou, ça c'est une question pas évidente ! Comme je te le disais précédemment, si je sortais un album c'est que celui-ci, son concept, ce qu'il en dégageait me plaisait vraiment. Mais allez lançons-nous, si je devais en choisir 5 ... et je ne mets pas dedans les rachats de licence comme Burning Heads, Satanic Surfers..., je te dirais, sans ordre particulier, Adrenalized avec Tales from the last generation, Implants avec From chaos to order, Mute avec Thunderblast, This Is A Standoff avec Be disappointed et Not On Tour avec All this time.
Une question me taraude l'esprit : comment diable as-tu réussi à represser les disques des Burning Heads période Epitaph alors que le groupe n'a pas eu lui-même l'occasion de le faire ?
En fait, comme je te disais précédemment, j'ai commencé à bosser avec Epitaph il y a quelques années, puis j'ai eu l'opportunité d'acheter une première licence à Epitaph, Sound City Burning, le fabuleux album de Undeclinable. Tout s'était extrêmement bien passé, et Epitaph avait beaucoup aimé la qualité et le soin apportés à la version vinyle qu'Effervescence avait sorti. Du coup quelques mois plus tard, quand je leur ai proposé d'acheter les licences de ces 2 magnifiques albums que sont Be one with the flames et Escape, ils ont accepté de suite.
As-tu quelques chiffres-clé à nous communiquer comme le nombre de références, pressage moyen de tes prod, les meilleures ventes...
Alors concernant le nombre de références, tu me croiras ou pas, mais je ne sais pas exactement (rires) ! On pourrait se dire connement qu'il suffit de regarder le numéro de la dernière prod (The Lockdown - Waiting for better days) qui est EF045, mais comme au début les premières productions n'avaient pas de numéro de catalogue. On va dire que ça doit être entre 50 et 52.
Concernant les pressages moyens, on va dire que c'est 1 000 CD et 500 vinyles. Des fois plus, des fois moins, mais je pense que la moyenne doit être par là.
Du coup concernant les meilleures ventes, je pense que ça doit être Mute avec le splendide album Thunderblast et Uncommonmenfrommars avec Easy cure.
Quelle était ta journée type consacrée au label ?
Alors ma journée commence toujours un peu après midi, je regarde les premiers mails, et j'essaie de répondre aux plus urgents dans la foulée. Ensuite je vais jeter un œil sur les commandes qui sont arrivées depuis la veille. J'essaie d'en préparer quelques-unes avant de m'occuper des expéditions de celles prêtes depuis la veille, puis je vais faire toute la "bureaucratie" uniquement faisable en journée. En revenant je confirme toutes les commandes parties auprès des clients, réponds aux mails / messages, réseaux sociaux etc.
A partir de 22h / 22h30, c'est là que commence une nouvelle "journée" sur un rythme bien différent. J'ai toujours préféré travailler la nuit, beaucoup moins de perte de temps par rapport à diverses choses, du coup je trouve que la nuit, je suis bien plus productif. C'est à ce moment que je communique avec les US, avec Fat Wreck et autres, en même temps je mets à jour le site / les stocks etc. Puis je retourne faire des commandes en alternance avec la communication US à nouveau jusqu'à très tard, ou tôt, dans la nuit.
Tu as créé le label en pleine crise du disque et juste avant le développement massif des mp3 et avant l'ère du très haut débit et du tout numérique. Timing parfait !! Sauf que les amateurs de punk rock privilégient l'objet, n'est-ce pas ? Est-ce une donnée que tu avais prise en compte en démarrant et en développant ton activité ? Es-tu toi-même très attaché au format physique, es-tu collectionneur ?
Haha c'est exact ! Mais tu sais, rien n'était calculé ni prémédité. Le label s'est créé sur l'envie d'un gamin d'une vingtaine d'années qui a voulu tenter une expérience qui lui parlait. Je pense que le timing parfait pour un label était avant les années 2000/2001. Comme tu l'as dit le développement du format numérique commençait à se développer et à partir de ce moment-là, les ventes de disques (que ce soit sur les majors ou en indé) ont commencé à chuter.
Du coup j'ai envie de te dire que dans le punk-rock, comme dans tous les styles (je pense notamment au métal ou au reggae), tu as des fans de l'objet, ceux pour qui avoir le CD ou le vinyle avec sa belle pochette et son livret / insert à toute son importance. Et tu as aussi ceux pour qui le support physique n'a pas vraiment d'importance et qui seront bien plus intéressés par l'achat de T-shirt ou autres merchandisings.
Personnellement oui je suis attaché au format physique que ce soit CD ou vinyle. Je serai incapable de te dire combien j'en ai d'ailleurs !
Quelles sont tes meilleurs souvenirs durant cette aventure ? Et les plus mauvais ?
T'es vraiment sûr que tu veux que je réponde à cette question ? Non parce que ça risque d'être long (rires) !
Concernant les meilleurs souvenirs, il y en a tellement... et dont j'ai certainement déjà parlé dans l'interview, que je vais vraiment en faire une sélection. Les meilleurs souvenirs, ce sont toutes les rencontres faites durant toutes ces années dans les concerts, les festivals ; que ce soit les groupes, les activistes, les fans, les clients etc.
Également je suis obligé de te parler de la sortie de Keep out de Satanic Surfers. Le seul petit regret par rapport aux Satanic, c'est de n'avoir pu racheter la licence de Going nowhere fast qui est mon album favori, et ça s'est joué vraiment à très peu. Très très peu. Dommage ! Pour finir je te dirai que le fait d'avoir pu bosser avec les mythiques labels US que sont Fat Wreck, BYO et Epitaph seront pour toujours de supers souvenirs !
Les plus mauvais souvenirs ? On peut déjà commencer par parler du "fabuleux" site marchand appelé Interpunk qui a entubé tellement de groupes et de labels. Je pourrais aussi te parler de la prise de conscience que tu prends, quand, du jour au lendemain, un mec friqué venu des US, qui ne comprend rien, qui ne respecte rien, arrive avec son pognon pour racheter tous les groupes qu'il peut, et qui y arrive. C'est à ce moment-là que j'ai compris que la notion de "famille" que j'avais toujours voulu construire et défendre était bien fragile face à quelques billets. Durant cette période j'ai été très déçu à plusieurs reprises et j'étais d'ailleurs à deux doigts d'arrêter Effervescence ... on était en 2017 à peu près. Puis quelque chose m'a dit que ce n'était pas encore le moment de raccrocher les gants, qu'il y avait encore de belles choses à faire. Et j'ai eu raison je crois !
Tu as dû faire de belles rencontres tout au long de l'existence du label, n'est-ce pas ? Quelles ont été les plus marquantes ?
C'est vrai, j'ai pu rencontrer et même bosser avec les mecs dont j'étais fan depuis l'adolescence. La première rencontre avec Fat Mike (NOFX, Fat Wreck) fut assez incroyable. NOFX jouait à Nancy, moi j'y étais avec le stand Effervescence et donc, avec également la distrib' Fat Wreck, Mike est venu me voir et m'a remercié de ce que je faisais pour NOFX et Fat Wreck. Il avait également halluciné de voir les prods BYO sur le stand en me disant "whouaou Fab, il y a des disques ici qu'on a du mal à trouver aux US !" (rires).
Les rencontres avec Joey Cape (Lagwagon) sont toujours super cool ! Ce mec est tellement gentil et généreux, vraiment. Sinon bien évidemment je vais te parler de Rodrigo de Satanic Surfers ... comment ne pas le mentionner.
A l'échelle française, je te parlerai bien évidemment de nos Burning et Unco que j'ai rencontré pour la première fois il y a bien longtemps. Cela devait être en 2003 ou 2004, avec No Perfect nous avions joué à plusieurs reprises avec les 2 groupes. Tout ça c'était bien longtemps avant que l'on bosse ensemble !
Cette interview est réalisée dans le cadre du numéro 50 de la version mag du W-Fenec. Lis-tu beaucoup de fanzines ? Consultes-tu beaucoup de médias musicaux sur la toile ? Finalement, Effervescence et W-Fenec, c'est une histoire de passion ?
Ho oui ! Et ce, depuis toujours ! Je me rappelle très bien en 2001 / 2002 (au début ou j'ai commencé à être équipé d'une connexion internet "correcte"), quand je lisais Metalorgie partie Punk, à l'époque à l'accueil du site, tu avais 2 sections Punk ou Métal, Keep out (RIP) ou le Fenec ! Puis par la suite d'autres zines sont arrivés comme Punkfiction, Kaspunkskate (RIP) et tant d'autres.
Comme tu viens si bien de le dire, W-Fenec et Effervescence c'est une histoire de passion. Une histoire de passionné(e)s de musique. Je pense que clairement, si tu n'es pas passionné par ce que tu fais (que ce soit dans la musique ou pour tout autre chose d'ailleurs) tu ne dures pas bien longtemps.
Une fois que tout sera terminé, j'imagine que cela va créer un sacré vide dans ta vie. Sais-tu déjà comment tu vas palier tout ça ?
Je t'avoue que j'ai encore du mal à l'imaginer. Et pourtant ça approche. J'ai déjà énormément d'idées en tête, mais ce que je vais commencer à faire c'est prendre un peu de temps pour moi, pour faire d'autres choses, pour voyager aussi ... si ce "nouveau monde" le permet, et, bien évidemment. Continuer à faire de la musique ! Je ne sais pas encore comment cela évoluera, mais une chose est certaine, je ne vois pas ma vie sans musique.
Tribune libre pour terminer : un truc à rajouter ?
Je ne vais pas être très original pour le coup, mais je voudrais remercier toutes les personnes qui, depuis 18 ans, ont de près ou de loin participées à l'aventure Effervescence. Comme je le disais, j'ai démarré ce label avec strictement aucune idée de ce que j'allais en faire ni ce qu'il allait devenir. Il a finalement duré 18 ans, il m'a permis de vivre tellement de choses, d'expériences, de partages, de fou-rires, de coup de nerfs et de stress aussi, mais je te certifie que si c'était à refaire, je le referai !
Merci également à vous chez le W-Fenec qui avez suivi et soutenu Effervescence depuis tellement longtemps et je vous souhaite encore de bien belles années !
Publié dans le Mag #50