Ulver - Perdition City Monstre à plusieurs têtes de la musique norvégienne, Ulver (mot signifiant "Loups" dans leur langue) a été tout au long de sa carrière une formation aux inspirations intarissables et définitivement insaisissable. Rares sont ceux d'ailleurs qui se sont laissés emballer par la totalité d'une riche discographie débutée en 1995 et qui court toujours à l'heure où ces lignes sont écrites puisqu'un album est sorti pas plus tard que le 29 novembre (Liminal animals). Connu comme un groupe de black metal et de folk nordique au milieu des années 90, Ulver change radicalement de trajectoire peu avant le nouveau millénaire en épousant la musique électronique, d'abord partiellement avec Themes from William Blake's the marriage of heaven and hell (1998), puis de manière plus appuyée en 1999 sur un EP au titre évocateur : Metamorphosis. En mars 2000, les Norvégiens enchaînent avec un chef d'œuvre, Perdition city (sous-titré "Music to an interior film"), un cinquième album studio qui marquera leur discographie et les fera entrer durablement dans une nouvelle ère dans laquelle le metal ne sera plus qu'un lointain souvenir. Même leur logo se refera faire une beauté à cette occasion.

Au cours de cette métamorphose, Kristoffer Rygg, le chanteur et fondateur d'Ulver, commence déjà par recruter de nouveaux musiciens dont le programmateur et claviériste Tore Ylwizaker (malheureusement décédé l'été dernier) pour façonner ce nouvel univers sombre fait de sonorités trip-hop, electronica, jazzy, ambiant, electro post-industriel, le tout mêlé d'expérimentations, de field recordings, de spoken words et tout un tas de choses qu'on casera volontiers dans l'avant-gardisme. C'est d'ailleurs ce duo qui mettra un point d'honneur à composer et produire Perdition city, entouré d'invités pour nourrir l'œuvre d'instruments adéquats prévus sur les portées de ses neuf titres, on pense au saxophoniste de jazz et classique, Rolf Erik Nystrøm (Bergen Philharmonic Orchestra, à Faust (ex-batteur d'Emperor), et à Oystein Moe, bassiste du groupe de metal progressif Tritonus. L'idée étant de préparer son public et de prolonger l'expérience des deux disques précédents pour en faire une bande son abstraite représentant l'atmosphère d'une ville perdue, déserte et nocturne. Ainsi, on a souvent apparenté la musique de Perdition city à celle d'une BO d'un film noir, voire de science-fiction. Elle aurait très bien pu s'accommoder également à un film de David Lynch, réalisateur connu pour ses loufoqueries et son cinéma impalpable et truffé de mystères. Notons à ce titre que les Norvégiens sortiront quelques années après deux bandes originales pour le court métrage suédois "Lyckantropen" et le court métrage norvégien "Svidd neger", puis, une décennie plus tard, travailleront sur le "Riverhead" de Justin Oakey.

Si Perdition city nourrit ses idées en partie dans le catalogue de Warp Records (Autechre, Boards of Canada), de Ninja Tunes (Amon Tobin, Coldcut), voire dans les textures sombres de groupes tels que Bowery Electric, Coil ou The Future Sound of London, il a aussi assurément inspiré pas mal d'artistes, à commencer par leurs concitoyens de Röyksopp sur leur célèbre Melody A.M., mais également Kayo Dot, Bohren & Der Club of Gore ou encore The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble. Et il a de quoi, tant la richesse mélodique, l'obscurité impénétrable et le côté lunatique et angoissant de cette fiction sonore bouleversent nos émotions. Un peu comme cette ville, elle nous désoriente puis nous mène progressivement à la perdition. Ce qui est moins le cas de nos jours concernant ses géniteurs qui ont l'air de se plaire dans un registre plutôt orienté pop/new wave. Je vous le disais au début, ils sont insaisissables.