"Voilà, c'est fini...", comme dirait un célèbre chanteur de variété ayant fait un peu de rock n' roll dans les années 70 et 80. tRuckks laisse un premier et dernier album avant de quitter la scène et de boucler huit années d'une très belle aventure musicale jalonnées de concerts plus ou moins prestigieux, de deux EPs et d'un album donc. Un dernier témoignage de son existence, et quel témoignage ! Partir au sommet de son art, n'est-il point-là le meilleur choix à faire pour un musicien ? Avant que le mal ne soit fait... Car tRuckks était ce qui se faisait de plus passionnant sur la scène noise-rock française actuelle depuis plusieurs années et plus précisément dès la sortie de leur EP Autophage en 2019. Cette façon de lâcher les chevaux en langue française, de larguer cette hargne à la face des gens, de matraquer les fûts façon étudiant en Arts du Bois et fan d'outillages Facom, de jouer sur cette tension qui fout en vrille le signal sinusoïdal.... Tout cela va nous manquer, bien évidemment. Les Vésuliens ont bien grandi depuis, emmagasiné une vraie expérience de groupe jusqu'à prendre de l'assurance à tel point que ce Funambule carnage fut réalisé en total autarcie dans une grange perdue au fin fond de la campagne franc-comtoise. Hormis le mixage finalement réalisé par Fred Lefranc du Studio Bruit d'Avril, tout dans cet album autoproduit et non pressé/gravé a été fait maison.
Livré à lui-même, le quatuor a eu le temps de peaufiner, d'expérimenter, de bâtir et démolir ses idées par envie ou dépit. Le dépit, puisqu'on en parle, a vu naître par exemple un morceau-interlude instrumental à la guitare complètement barré comme "Crépuscule". Comme quoi, tout peut amener à quelque chose d'intéressant. Le fruit de cette expérience en huis-clos se retrouve donc dans 10 titres qui gardent à la fois une unité et une diversité étonnante. Quand la lourdeur et la brutalité à la KEN Mode de "Brûler" ou bien "Banzai" nous assomment spontanément, la musicalité de "Ne plus croire aux arbres" ou de "Delirium" permet de respirer et d'y voir un interstice de belle lumière dans cette noirceur pensante. Quand l'ironie de "Magnifique journée" nous arrache un rictus, "Mystère" fait flipper par la théâtralité vocale s'apparentant à un monologue de fou sortant de l'asile ou s'apprêtant au contraire à y retourner. C'est en cela que tRuckks était à part dans le paysage musicale français, ce groupe nous montre qu'il est capable de tout. Même de pondre à la dernière minute un morceau punk expéditif d'un peu plus d'une minute nommé "Poli" pour combler une tracklist qui visiblement n'était pas encore assez fournie. C'est bien simple, tout est bon dans ce Funambule carnage à l'esprit quelque peu Deleuzien (un extrait d'un discours du philosophe, lors d'une conférence sur l'œuvre d'art et le cinéma en 1987, clôt le disque). Réglé comme du papier à musique, chaque détail à son importance, et si nous devions vous conseiller quelques titres à écouter une urgence, à défaut de vous dire "tous", on pencherait pour "Brûler", "Encore la même", et, allez, l'épique et quasi-instrumentale "Delirium" et ses 7 minutes qui résument bien l'émotion intense que procure ce merveilleux et furieux album.
Publié dans le Mag #55