Truckks - Autophage Hormis la région parisienne, l'Est de la France doit être probablement le plus gros réservoir de groupes de rock de notre pays. À Vesoul, petite ville paisible de Franche-Comté située non loin de Besançon, et grâce au soutien de l'association Aim'Rock et de son local, on y compte déjà un paquet de formations actives dont Membrane, La Bite et le Couteau, Rilenté & The Original Sound Hound, Primitif, et j'en passe. Au beau milieu de tout ça se trouve une espèce d'OVNI, un phénomène, un truc qui n'arrive pas tous les 4 matins : 4 adolescents de 14 ans montent début 2015 un groupe de punk noise-rock chanté en français. Ils nomment ça tRuckks (en rapport avec le nom donné aux essieux d'un skateboard) et commencent progressivement à faire parler d'eux grâce à des performances remarquées sur les scènes et festivals locaux (les PDZ, La Guerre du Son, Impetus Festival, Eurockéennes de Belfort), nationaux (le Trianon, Le Printemps de Bourges, l'Iboat, le Noumatrouff) et européens (Lauréat du tremplin Imagine à Maastricht). En quelques années, Lény (chant-basse), Cyprien (batterie), Hugo (guitare) et Martin (guitare) parviennent à jouer avec leurs idoles Metz, se font repérer par hasard par les Lysistrata, lors d'un show explosif au festival Détonation en 2017, avec lesquels ils deviennent bons copains (idem avec les Pogo Car Crash Control ou Johnny Mafia), se font signer sur leur label Grabuge Records, et lancent deux EPs dont le dernier Autophage est paru au début de l'année 2019.

Autophage se trouve à la limite entre l'EP et le LP, il s'agit plutôt d'un mini album de 6 titres et 2 interludes d'une durée de 25 minutes produit par Peter Deimel du célèbre Black Box Studio (Chokebore, dEUS, The Kills, Shellac). Autrement dit, un gros son garanti pour exprimer de la plus belle des manières cette boucherie noise-rock tortueuse et ténébreuse qui a laissé en chemin une partie de ses penchants pour le punk brut découvert sur un premier EP sorti deux ans auparavant et différent à bien des égards. Les membres de tRuckks étant encore très jeunes (18 ans au moment de l'enregistrement), il n'est d'ailleurs pas dément de penser au passage que leur style évoluera plus vite qu'on ne le pense. Leur façon de digérer leurs influences et de se les approprier sur Autophage est assez incroyable : Metz, on l'a dit, pour le côté matraquage de fûts et univers cradingue (ô basse saturée) ; Slint pour le travail sur les ambiances fantasques des guitares ; le groupe partage aussi avec les Melvins sa passion du riffing et de la saccade ; on y décèle des éléments de Shellac ou d'Unsane sur certains passages. Finalement, seul le chant capricieux et agacé de Lény, empli de folie constante, ne trouve d'équivalence à nos yeux car il n'est pas commun pour un groupe de "psychenoisehardcore" - terme utilisé par le quatuor pour se définir - de chanter de cette manière-là dans la langue de Molière. C'est à coup sûr ce qui fait de tRuckks un cas unique en France, même si des formations comme Pogo Car Crash Control ou Lofofora excellent dans le rock énervé chanté en français. Bordée d'univers donnant souvent le tournis, la musique de tRuckks est à la hauteur de la malice de ses membres. À (re)découvrir d'urgence !