têtes raides : fragile Il est des signes qui ne trompent pas :
1 - pour la sortie de leur neuvième album studio, les Têtes Raides ont quitté leur maison de disque pour revenir à l'autoproduction de leurs débuts, avec Not dead but bien raides, philosophie de comptoir de toute une génération fortement alcoolisée;
2 - les luxueux dijipaks, qui depuis des années ont fait de moi une collectionneuse maladive de toute la production des Têtes Raides, ont été laissés de côté, pour une présentation plus sobre;
3 - Christian Olivier qui chante en anglais avec son accent frenchy si attachant, on n'y peut rien, mais il faut avouer que ça nous rappelle encore et toujours les mélodies rock de Not dead but bien raides;
4- si les Chats Pelés sont toujours de la partie quand il s'agit de croquer l'univers du groupe, ils ont abandonné la couleur pour une bichromie rouge-noir, dans l'esprit des affiches des Avis de KO social;
5 - et puis il y a cette tête de mort sur la galette, qu'on ne peut pas s'empêcher de comparer à celles qui ornaient Not dead but bien raides, une tête de mort elle aussi toujours en rouge et noir, couleurs du sang, de la violence, et de la révolution.
Tout ceci ne pouvait pas qu'être une coïncidence.
Dès les premières mesures de Fragile, le doute n'est plus possible : l'électricité des guitares et la puissance de la batterie nous renvoient près de vingt ans en arrière. La culture punk des origines n'est pas loin. Suit une reprise aux accents reggae du "Je voudrais pas crever (avant d'avoir goûté la saveur de la mort)" de Boris Vian sous forme de manifeste. Vingt ans plus tard, les Red Ted refont surface et nous appelent à lever le poing bien haut. Comme pour enfoncer le clou, les Têtes Raides s'entourent d'artistes bien connus pour leurs engagements militants (Mouss et Hakim, les Wampas, Rachid Taha, etc) pour une comptine loin d'être enfantine et anodine "Latuvu", appelant au réveil citoyen.
Aux manettes, on retrouve Denis Barthe, batteur de Noir Désir, avec lequel les Têtes Raides avaient déjà enregistré "L'iditenté", chanson bien sentie sur la question des sans-papiers. Comme quoi, rien n'est jamais vraiment du au hasard. Aujourd'hui producteur le temps d'un disque, Denis Barthe distille de fortes doses d'adrénaline dans cette production. L'accordéon, marque de fabrique depuis des années du rock réaliste des Têtes Raides, a disparu, au profit de mélodies plus électriques.
Le groupe s'offre aussi un hommage parodique au rock sixties de Chuck Berry "qui doit sonner comme Ike et Tina Turner" dixit le groupe dans le DVD sur les coulisses de l'enregistrement qui accompagne le CD, choeurs féminins et riffs d'époque à l'appui, montrant une autre facette plus légère de ce Fragile. Une légèreté qu'on retrouve aussi sur "L'Oraison" avec son quatuor de cordes joliment mis en résonance par Romain Humeau (d'Eiffel).
Et ce rouge et noir alors ? Allons z'enfants de la patrie/le jour de gloire est périmé/un sang impur et noir/en nous va s'écouler, lance Christian Olivier en écho dans "Constipé", avant de terminer l'album sur un duo avec les incontournables The Ex, étendards du punk néerlandais. Preuve, s'il était besoin de s'en persuader, que les Têtes Raides n'ont en rien perdu leur puissance créatrice et revendicatrice. En ces temps de troubles politico-médiatiques, on ne demandait pas mieux.