Lorsque la punk vieillit, que le poids des années se fait sentir et que monter sur scène se fait de plus en plus difficile -voire impossible à cause d'opportuns confinements-, quand le punk en a marre d'être expulsé de squat en squat, elle et il se posent pour livrer leurs témoignages à cœur ouvert, sans retenue. Voilà, peu ou prou, le dispositif que nous proposent Margaux Capelier et Nicolas Bonanni avec Grenoble calling dont la référence explicite aux Clash impose un cadre à son propos : celui de la scène punk grenobloise, un temps que (la plupart) "des moins de 20 ans" n'a pas connue, selon la formule consacrée.
Ce bien bel objet double -un livre auquel est joint un CD- ne stimule pas que la vue (à travers son contenu, qu'il soit rédactionnel ou iconographique) et l'ouïe (avec la compilation associée), mais aussi le toucher grâce à la sérigraphie qui occupe sa couverture. Procédé qui, en plus d'offrir une méthode de fabrication conviviale, accorde une sensation plus chatoyante que de frôler un papier glacé plus banal. Et, quitte à évoquer un autre aspect technique de l'ouvrage, on peut aussi souligner l'originalité de la pagination, placée près de la reliure.
Paru il y a environ un an, Grenoble calling est un recueil d'entretiens collectés auprès de différents activistes de la contre-culture punk de la bonne ville de Grenoble -"Gre", pour les initiés- et patiemment assemblés pour donner corps à un ensemble cohérent, que ceux-ci soient membres de groupes de musique (Chicken's Call, Daily O.D., Plaine Crasse, Taulard, ...) et organisatrices de concerts, bien entendu ; tenanciers de boutiques et créateurs de labels, immanquablement ; animateurs d'émissions de radio et rédacteurs de fanzines, obligatoirement ; mais aussi militantes politisées, habitants en squats (de Monge Strasse au Great-A en passant par le Pyralène, Tapavu, Crocoléus, Poulet Rôti, ou le Mandrak) ou simples "bon public". Tout au long des 272 pages (sans compter l'appendice dédié au fanzinat !) du livre, il est forcément question de musique punk (et crust, et métal, ...), de do it yourself (qui n'est pas ici utilisé comme un slogan publicitaire mais vécu comme authentique acte d'engagement), de féminisme, de véganisme tout en accordant une place de choix aux souvenirs (qu'ils soient bons en terme de concerts, fêtes et tournées ou mauvais en cas de galère, de bagarre et d'expulsion) ou des réflexions plus personnelles et introspectives, souvent touchantes.
Pour accompagner honorablement cette odyssée de 40 ans à travers le mouvement punk grenoblois (et d'ailleurs !) de "1980 à 2020", comme l'évoque le sous-titre, les éditions du Monde à l'Envers ont mis les petits plats (de gratin dauphinois) dans les grands en offrant une compil' sur CD que tous les lecteurs de fichiers numériques au monde ne sauront jamais lire. Le disque est l'occasion de (re)découvrir 15 groupes représentatifs de la diversité de cette scène foisonnante. Sans être exhaustif, qui voudra baigner dans une ambiance de pogo plongera dans Alarm et Paralitik Woodktr, qui aura des penchants surf sera attiré par Les Profs de Skids, tandis que les amateurs de la tendance noise/math-rock seront emballés par Owun, à moins qu'on ne préfère se laisser conquérir par les délires de Ze Revengers et Lovataraxx, succomber à l'aspect clairement soul de Tijuana Kids ou, plus mélancoliquement, charmer par Taulard.
Ces dernières années, les ouvrages consacrés à des groupes de punk-rock n'ont pas manqué : OTH, Thugs, Sheriff et Bad Religion chez Kicking Records, les Thugs -encore eux- aux Éditions du Boulon, Camera Silens chez Castor Astral ou Burning Heads via Metro Beach, outre quelques parutions chez Camion Blanc ou Le Mot et le Reste. Le Monde à l'Envers, avec les 62 chapitres qui composent Grenoble calling, apporte incontestablement une pierre de plus à l'édifice tant dans la pertinence et la vivacité des propos tenus qu'avec la qualité avec lesquels ils sont rapportés.
Publié dans le Mag #50