Débuté comme une aventure solo, Syd Kult s'est étoffé avec les venues de Frédéric (batterie) et Julien (basse), c'est en trio qu'ils ont composé Weltschmerz (en 2018 mais la promo nous a oubliés et c'est passé sous nos radars) et c'est toujours à trois qu'ils ont travaillé sur les morceaux de Damnatio memoriae, aidés par Gaëlle pour les parties au violon ou à l'alto. Les teintes folk des débuts se sont électrisées pour donner un goût plus grungy à l'ensemble, comme le chant n'est toujours pas parfait, ça colle assez bien à l'image du rock pluvieux un peu punk "rien à foutre" originaire de Seattle. On peut y ajouter un peu de noise et du stoner, voire des parties garage ou alors, c'est le son brut de la prod' qui m'induit en erreur, ça me rappelle les enregistrements estampillés Reciprocal Recording et toute une époque... A cette rudesse des sonorités, Syd Kult oppose une forme de douce mélancolie dans des mélodies moins saturées ("Invisible walls", "Bittersweet") et même des titres instrumentaux portés par l'électronique ("Alpha orionis supernova"). En apportant beaucoup de contrastes et de nombreuses idées, on pouvait craindre que le groupe ne se perde dans les méandres de ces propositions mais au final, il s'en sort toujours bien, gardant sa ligne de conduite et nous gardant auprès d'elle grâce à sa signature, ce couple chant/guitare assez identifiable.
Et non, tu ne vas pas y couper ! Si tu es un lecteur fidèle et attentif, tu sais mon attrait pour l'histoire et les locutions latines, voici donc un petit topo sur le titre de cet album : Damnatio memoriae. C'est une décision officielle des romains qui permet d'effacer des tablettes un nom. L'idée, c'est qu'on ne se souvienne plus de toi, on écrase ta face sur les pièces, on te raye des monuments, on casse les statues, bref, l'administration s'arrange pour te faire "disparaître" et que tu ne puisses rester dans la mémoire de quiconque. L'expression n'est pas contemporaine de l'Antiquité mais elle est assez imagée. Petite revanche de l'histoire, cette pratique radicale n'a pas forcément porté ses fruits car parmi ceux frappés de cette "condamnation mémorielle" on trouve quelques grands noms du début de notre ère comme Marc-Antoine (fallait pas se taper Cléopâtre), Néron (fallait pas faire de la poésie) ou Messaline (fallait pas essayer de baiser son empereur de mari). A la fin de l'album, la plage "Damnatio memoriae" est une longue plainte déstructurée assez tordue qui restera moins dans les mémoires que le reste de l'album éponyme.
Publié dans le Mag #47