Pas de respect du plan quinquennal chez le Soviet Suprem, un comble ! Mais du fait de leurs différentes activités (La Caravane Passe, musique de spectacle, musique de film pour Toma aka John Lénine, projet solo pour R.Wan aka Sylvester Staline), il a fallu attendre un peu plus pour découvrir la suite de Marx attack. Si on était un plus sérieux dans nos questions, on aurait pu leur demander pourquoi aller encore plus à l'Est, mais on a préféré jouer comme eux, avec les mots, bref, on ne sait pourquoi (question de politique plus à l'extrême droite qu'à gauche en Russie ?), mais le centre de gravité de ce nouvel album a quitté les rives de la Moskova pour l'Empire du Milieu. Direction l'Asie avec Made in China, un titre qui permet à la fois de rester en terres communistes et d'évoquer nos liens étroits avec ce pays qui semble si loin.
Même s'il est originaire de la tradition nippone, le maneki-neko est devenu un des symboles de l'Asie, la plupart porte bonheur, certains vous invitent à aller vous faire foutre. Bienvenue dans un monde où tout est propice à surprise et parfois sens dessus dessous. Le premier titre est celui qui donne son nom à l'opus, c'est un des meilleurs tant pour son rythme et son flow qui nous chopent à la gorge et son écriture qui est juste dingue du fait de la densité de références ("génération qui buvait du Wu Tang" !) et de jeux de mots à la ligne ("J'ai délivré les livreurs des livres rouges / Libéré l'quartier rouge du libre-échange / J'viens retourner les dames chinoises / On va mettre le Huawei dans la case"). Le ton est donné, d'autres morceaux arrivent à ce niveau, mêlant esprit festif et textes ciselés notamment "Woke wok", "Ping pong" et "Coco", tous placés sur la "première face" du skeud. Au milieu de cet empire d'essences de Soviet, on découvre une des autres facettes de ces grands mabouls : la chanson française décalée. Le très beau "Qui complote" pourrait être un titre écrit par Bobby Lapointe et chanté par Lenine Renaud, les mots s'entrechoquent sur un délicat oreiller instrumental. Dans la même veine pleine de douceur, on fait "La course aux armements" où est ciblé tout ce qui tue... Les autres tracks sont moins mélodiques et plus influencés par le hip-hop avec un renfort soit de samples orientaux, soit de musiques minimalistes ("Du coup", "La face"), ou un vrai sens de vouloir faire la fête et de ramener un folklore dansant dans des thèmes assez marqués ("Same same", "Mao"). Et quand le shaker reste branché et qu'on mixe un peu le tout, on se retrouve avec un big "Tattoo" qui honore l'autre Carlos (pas Ilich Ramírez Sánchez !). Comme la plupart se trouvent en face B, ça laisse le choix de l'ambiance aux possesseurs du vinyle.
Personnellement, je ne choisis pas, Guangzhou écoute Soviet Suprem, c'est pour cette communauté d'influences, ce melting Pol Pot d'idées, cet amalgame de sonorités et d'exquis mots qui font voyager et cultivent les esprits curieux.
Publié dans le Mag #62