The Somnambulist_04 Salut Marco, j'aurais aimé que tu reviennes un peu sur la genèse de The Somnambulist : Comment-vous êtes vous retrouvé à former ce trio au style assez singulier?
Tout a commencé en 2007. A l'époque, je vivais encore en Italie, je jouais de la guitare dans un groupe qui s'appelait Caboto et de la batterie dans Elton Junk. Giulio Burroni, un viel ami à moi qui est devenu par la suite booker pour The Somnambulist en Italie, était l'une des quelques personnes à avoir en sa possession une démo solo que j'avais réalisé en 2001. Un jour il me dit : "Hey, ta démo est géniale, pourquoi ne te mettrais-tu pas à réécrire et chanter tes propres chansons ?". C'est donc ce que j'ai fait en montant avec Hotel Ambiente avec Giulio à la basse et Lorenzo Marzocchi à la batterie. On a sorti un EP de 4 titres avant que je ne déménage à Berlin. Ensuite, on a fait une petite tournée en Europe mais comme nous étions loin géographiquement, on a tout simplement décidé d'arrêter. Pendant ce temps-là, moi j'étais en train d'écrire les chansons de Moda borderline qui devaient être au départ le premier album d'Hotel Ambiente. Au moment de monter le nouveau line-up pour enregistrer l'album en 2009, j'ai changé le nom en The Somnambulist.

Est-ce que votre nom de groupe a un rapport avec le livre du photographe Ralph Gibson publié en 1970 ?
Non, pas du tout. J'ai connu l'existence de ce livre après avoir nommé le groupe ainsi. En fait, l'inspiration m'est venue après avoir regardé "Le cabinet du Dr. Caligari". En regardant les sous-titres, je trouvais que le nom sonnait super bien. Mais j'aime l'idée que The Somnambulist puisse se référer à beaucoup de choses : les troubles du sommeil, l'Expressionisme allemand, l'opéra de Bellini, Ralph Gibson, etc. Je trouve qu'il représente à merveille le côté "multicouche" de nos compositions et, dans le premier sens du terme, la façon dont les chansons sont à la fois un rêve et une action.

La chose improbable quand on regarde votre biographie, ce sont les différentes nationalités des membres qui composent votre groupe. C'est une pure coïncidence ? Car ce n'est pas très commun (je ne connais que les Bad Seeds dans le même cas), chacun doit apporter un peu de sa culture dans le groupe.
Quand tu montes un groupe dans une ville comme Berlin, c'est commun d'avoir en son sein des musiciens de nationalités différentes. Ce n'est peut-être pas un hasard si un groupe comme The Bad Seeds s'est relocalisé à Berlin au milieu des années 80. Pour notre projet, qui d'une certaine manière, je dirais, est basé sur l'idée de faire de la musique suivant plusieurs perspectives au même moment, c'est presque nécessaire d'être basé à Berlin. Des personnes qui jouent ensemble et dont chacun des membres a une culture musicale et une nationalité différente peuvent créer un large éventail de possibilités musicales.

Parle-moi un peu de Berlin, carrefour des cultures et du cosmopolisme. Ca fait longtemps que tu y habites ?
Ca fait déjà presque six ans que j'y suis maintenant. Je suis venu là parce que j'ai eu la chance d'y aller une première fois vers 2001 mais à cette période je pensais encore que l'Italie était, disons, un pays "normal". Je me suis dit que c'était mieux de rester dans mon pays natal pour continuer à bosser avec mes groupes plutôt que tout laisser tomber pour débuter une nouvelle vie dans un nouveau lieu. Le problème c'est que l'Italie n'est pas un pays "normal". Année après année, je me suis rendu compte que j'avais pris la mauvaise direction dans ma vie et que je pouvais arrêter ça en bougeant à Berlin. Berlin est une ville frontalière où on peut se cacher. Et, à cette période, cette ville est le seul endroit en Europe où, si tu te sens prêt à vivre à la limite de la pauvreté et de gérer tout seul tous les différents aspects du métier d'artiste, tu peux trouver tout un tas de musiciens du monde entier et consacrer tout ton temps à faire de la musique tout en payant tes factures ou remplir tes déclaration de revenus comme n'importe quel travailleur.

Tu es multi-instrumentiste, est-ce que le choix de ton instrument s'est fait naturellement au sein de The Somnambulist ?
Cela a été plus une question de nécessite que de choix. J'ai écrit les chansons de Moda borderline durant ma première année à Berlin où j'enchainais plusieurs petits jobs en même temps pour pouvoir survivre et jouer en solo des concerts en guitare acoustique. J'avais juste ma guitare sur moi, aucune salle de répétition, donc j'écrivais sur papier les partitions de batterie, de basse et de guitares. Ensuite, j'ai fait la connaissance de Rafael qui m'a accompagné au violon sur des dates. Je ressentais tellement de frustration, après dix années à faire de la musique en Italie qui m'ont mené à rien, d'attendre 3 ou 4 ans de plus pour trouver les bonnes personnes, faire un nouveau groupe, commencer les répèts, composer les premières chansons, faire des shows non payés pendant un bout de temps pour se lancer, puis si tout se passe bien, enregistrer un premier album. Donc, j'ai collecté tout l'argent que j'avais économisé et enregistré l'album tout seul. Raf est venu enregistrer les parties de violon qu'il jouait lors de nos représentations et j'ai demandé à Marcello Busato, qui a rejoint le groupe juste après, de venir improviser des rythmes free-jazz par dessus.

The Somnambulist_02 Que réponds-tu aux personnes qui te demandent quel est le style musical de The Somnambulist ?
Que je n'en ai pas la moindre idée !

Le violon prend une place assez importante dans votre groupe. Est-ce que c'est difficile de composer avec un instrument qui n'est pas habitué à se retrouver dans une formation rock ?
Non, c'est pas vraiment difficile si on veut essayer de trouver de nouvelles perspectives au rock n' roll.

Quand j'ai écouté Moda borderline la première fois, la première chose qui m'a frappé, c'est ta voix. J'ai pensé direct à Tom Waits. C'est quelqu'un que t'apprécies et que t'écoutes ?
Tom Waits est immense. Et Captain Beefheart avant lui, et Howlin' Wolf encore avant eux. Si tu regardes bien, c'est juste du blues. Ils sont comme une ligne rouge dans le temps qui provient des anciennes racines du blues. C'est quelque chose à faire avec l'idée du corps de la voix, comme si ta bouche était possédée par ce corps. Un peu voodoo, si tu veux. C'est assez difficile à décrire et en même temps tellement significatif.

Ça se travaille une voix comme la tienne qui est assez particulière ? Ou c'est quelque chose de naturel ?
Il y a 6 ans, je ne savais pas du tout chanter. Ma voix m'est apparue comme ça, d'une manière tellement incontrôlée que je me suis demandé si c'était vraiment moi qui chantait. Cette fascination pour ce mécanisme, qu'un manque de sens de l'identité puisse produire une voix qui ne m'appartienne pas et l'inverse, a été le point de départ du travail des voix. C'est beaucoup de boulot, surtout parce que d'une manière ou d'une autre, j'ai l'impression de ne pas savoir encore chanter et que je peux faire de la merde si je prépare pas les détails de ce qui doit se passer dans ma bouche et mon ventre.

Sophia Verloren est sorti à la fin de l'année dernière, vous avez pour l'occasion fait un appel aux dons pour financer sa production. Quel a été le bilan de cette opération ?
Une perte de temps. Nous avons collecté à peu près 30 euros, autrement dit, rien. Nous n'avions pas du tout trouvé de label qui pouvait investir de l'argent. Financièrement parlant, Sophia Verloren a été un désastre complet qui a eu de sérieuses répercussions sur nos vies quotidiennes. Mais la seule alternative possible était de ne pas le sortir. (NDLR : Le disque est finalement sorti plus d'un an après sur Acid Cobra Records en France et Solaris Empire dans le reste de l'Europe.)

Quelles différences fais-tu entre votre premier et votre deuxième album ? J'ai l'impression que Moda borderline avait une dominante rock-noise alors que Sophia Verloren est peut-être plus aventureux, plus subtil. Partages-tu cet avis ?
Absolument ! Je trouve qu'avec ce nouvel album, nous avons franchi un cap par rapport à Moda borderline surtout en ce qui concerne la manière d'écrire. Ses chansons creusent dans des sphères plus profondes. Au sujet du son, la principale différence réside dans le fait que le premier album représentait plus une sorte d'album solo initialement écrit sur feuille de papier puis traduit en sonorités enregistrées. Sophia Verloren, quant à lui, est né dans une salle de répétition et incarne une photographie de ce que Rafael, Marcello et moi avions fait en live de 2010 à 2011. Ce que vous entendez sur le CD, c'est du live-studio en fait.

J'aime beaucoup le contraste de Sophia Verloren avec, entre autres, l'apport vocal d'Albertine Sarges sur "A daisy field" et "Monday morning carnage". Parle-moi de cette superbe collaboration. C'était une volonté de votre part dès le départ de la faire participer ou cela s'est présenté comme une occasion soudaine?
Un peu les deux en fait. On avait prévu dès le départ d'inclure un duo vocal pour "A daisy field" mais pas pour "Monday morning carnage". Pour la petite histoire, nous voulions jouer cette chanson dans le studio comme les autres, mais à vrai dire, je n'étais pas content de ma performance du tout, que ça soit à la guitare et au chant. Manque de bol, nous devions absolument quitter les lieux du studio. Le manque d'argent a fait que nous ne pouvions pas la refaire mais la chanson était tellement bonne qu'il était impossible de l'abandonner, je me suis dit que si le problème venait de moi, la solution devait venir de quelqu'un d'autre. Donc, on a effacé mes prises de chant et demandé à Albertine de chanter à ma place et à Chris Abrahams, le pianiste de The Necks qui avait déjà joué avec nous sur Live in Berlin, de jouer par dessus ce qu'il lui semblait bon. Nous avons donc annulé les parties de guitare également pour ne laisser que les enregistrements de violons et de batterie faites au studio. Le résultat était si surprenant et différent que nous avons décidé de mettre ce titre à la fin du disque juste après la dernière chanson rock, à la manière d'une musique de générique de fin d'un film. Personnellement, j'adore la façon dont je me suis effacé sur ce morceau, comme un fantôme invisible dont la seule présence se trouve à l'intérieur de l'écriture.

The Somnambulist-Sophia Verloren Venons-en à votre actualité. Vous avez annoncé le mois dernier l'arrivée de deux nouveaux membres dans le groupe, Manuel Kailuweit et Thomas Kolarczyk. Peux-tu nous les présenter et quel rôle vont-ils tenir au sein de la formation ?
Je considère que l'arrivée de Manuel à la batterie et Thomas à la basse comme la création d'un nouveau groupe. C'était l'unique voie à emprunter pour sortir The Somnambulist de cette longue crise et le sauver par la même occasion. Au début de l'année 2012, un an après l'enregistrement de Sophia Verloren - le mixage n'était pas encore réalisé car nous étions en attente d'une solution pour le sortir - Rafael a quitté Berlin pour retourner en France et Marcello est parti du groupe. A partir de ce moment là, Rafael et moi avons joué quelques concerts avec Alessandro Baris, batteur de L'Altra et Comfort And Collisions, sans véritables répétitions suivies. J'ai ressenti le besoin d'avoir à mes côtés des personnes capables de jouer régulièrement. J'ai bien fait quelques essais avec des musiciens de sessions mais c'était très difficile d'écrire de nouvelles choses avec eux car ça veut dire travailler plus vite et beaucoup plus avec le stress qui va avec. Et puis, comme j'avais un peu le rôle de directeur d'orchestre, ce qui est quand même pas une mince affaire, je ne pouvais pas les payer suffisamment pour qu'ils reproduisent exactement ce qui a été enregistré. Maintenant, The Somnambulist est finalement un vrai groupe qui travaille ensemble tous les jours à fond des idées accumulées depuis ces 3 dernières années. Nous aimerions enregistrer 16 nouvelles chansons au printemps prochain et les sortir sur un album dont le titre est tout trouvé : "Use Your Illusion III" !

Vous avez repris votre tournée ciné-concert en faisant la bande son de "Berlin-die sinfonie der großstadt" de Walter Ruttman. J'ai vu la version de cette bande son par We Insist !, un groupe français de math-rock. Comment est celle de The Somnambulist ? Très mouvementée?
Oui, c'est plutôt agressif. Par moment, quand c'est bien punk et abrasif, c'est marrant de voir à l'intérieur du théâtre où l'on joue certaines personnes se sentir vraiment mal à l'aise sur leur siège. Je pense que c'est le genre de bande-son jouée en live qui essaie définitivement de combler la distance entre les images sur l'écran plat de cinéma et le corps des personnes le regardant. Le spectacle, c'est une heure de musique instrumentale avec un son similaire à Sophia Verloren. Nous allons faire une tournée avec cette bande-son live qui va passer à Briançon, Grenoble, Vevey et Bourg-en-Bresse en décembre prochain. J'aurai Rafael et Alessandro avec moi vu que Manuel et Thomas n'ont pas eu assez de temps jusqu'à maintenant pour bosser dessus. Enfin, nous pensons l'enregistrer en quintet et espérons sortir un album avec, si possible, un DVD à la clé.

Vous jouez bientôt avec Ulan Bator au Klub à l'occasion de L'Étrange Festival. Connais-tu ce festival qui propose des films plutôt originaux et underground ?
Je ne connaissais pas ce festival jusqu'à ce qu'on soit invité à y jouer, donc je suis terriblement curieux de voir ça.

The Somnambulist_03 Es-tu un grand cinéphile ? Quels sont tes genres préférés ?
Je pense que je suis définitivement ce que tu appelles un cinéphile. Un livre comme "Qu'est-ce que le cinéma?" ou l'art de Kubrick, Fellini ou bien Fassbinder, pour ne citer qu'eux, ont beaucoup plus d'influences sur les idées d'un groupe comme The Somnambulist que les genres musicaux que tu peux entendre dans nos albums.

Avez-vous des projets de bande-son de films avec The Somnambulist ?
On pourrait refaire des bandes-son live pour des films muets, nous essayons de trouver un film qui n'a jamais fait l'objet de ça. Mais l'idée de base est de faire un long-métrage sur le rock, un genre de science-fiction sur la scène musicale actuelle berlinoise. Pas comme elle l'est actuellement mais comme elle pourrait l'être dans un monde parallèle. J'ai déjà écrit des idées de scénarios mais ce serait un boulot énorme de le faire et puis honnêtement je n'ai aucune idée de comment obtenir de l'argent pour ça. En dehors des clips du groupe, j'ai réalisé un film intitulé "Liebe macht frei".

Dernière question que j'adore poser : Quels sont tes derniers coups de cœur musicaux, tes dernières découvertes musicales ?
Mon dernier coup de cœur est la musique africaine. Ça a complètement changé dans ma tête l'ordre des pièces du puzzle musical. Et en même temps, ça a tiré au clair pas mal d'idées que j'avais. Ça donne également de nouvelles perspectives pour le futur de notre musique. Dans la musique contemporaine, pour répondre à ta question, dernièrement j'ai été impressionné par le nouveau disque d'Anna Calvi qui sortira le mois prochain. J'ai eu l'opportunité de faire une interview avec elle et d'écouter son album. J'ai vraiment été surpris d'entendre des similitudes avec la tournure que prennent certaines chansons de The Somnambulist.