The Somnambulist - Hypermnesiac L'avantage de suivre une formation musicale dès ses débuts, c'est d'avoir cette chance insoupçonnable au départ de percevoir son aura et son évolution (mutation ?) de manière plus intense qu'une personne qui la découvre tardivement sans avoir vécu ça "en direct", avec le contexte temporel qui va avec. Car nous aussi, en tant que passionnés, on grandit et évoluons en parallèle avec des formations de quelque type que ce soit. Et c'est qui est drôle en disant ça, c'est que l'on donne l'impression de parler d'un vieux groupe alors que le premier album de The Somnambulist n'a "que" dix ans. Il y a une décennie, ils débarquaient avec Moda borderline, huit titres qui m'avaient mis une belle baffe, une inventivité, une grâce, une élégance qu'on ne retrouvait plus systématiquement dans ce monde électrique. Une audace que le trio berlinois n'a jamais vraiment perdue, j'ai envie de dire que c'est presque une chance de les voir encore là en 2020, à sortir un quatrième album après des années de galères (financières, de label, de line-up, d'enregistrements...), à essayer tant bien que mal de continuer à faire vivre depuis la capitale allemande un mouvement artistique quasi ignoré des médias, quand beaucoup de portes se ferment et que l'époque n'est pas (toujours) propice au développement d'un bon projet musical.

Trois ans après une tentative ambitieuse et plutôt gagnante de sortir un double album nommé Quantum porn (et ce n'était pas gagné vu son caractère panaché), The Somnambulist lâche au public son nouveau-né, Hypermnesiac. Afin de maîtriser la chaîne et de ne plus avoir de mauvaises surprises, comme sur l'opus précédent (voir l'interview donnée à l'époque dans notre n°32), le trio a produit ses propres chansons en studio par le biais de son guitariste et chanteur Marco Biancardi (fondateur et seul rescapé de l'aventure, autant dire le chef d'orchestre de la bande) et de son batteur Leon Griese, crédité en tant qu'ingé-son, et qui inaugure là son premier enregistrement avec la formation. Évidemment, en plus de toucher sa bille en production, le jeu de batterie subtil et plein de finesse technique de ce dernier est remarquable en tout point. Il sert le propos de ces nouveaux titres tout en gardant globalement un style épuré qui n'étouffe pas le travail des guitares de Marco et les lignes de la basse toujours pleines de justesses de Thomas qui, depuis la sortie du disque, a été remplacé par Isabel. D'une durée avoisinant les 40 minutes, cet Hypermnesiac condense la formule, à l'image de ses premiers albums, et distille un rock habité de sept atmosphères bigarrées dans lesquelles l'expressivité domine largement les débats. Ainsi, chaque morceau est une aventure sonore à vivre, une trépidation électrique, une leçon apprise, qui sait ?

D'un "Film" déployant ses ondes mélancoliques à la plage rock jazzy très étirée de "Ten thousand miles longer", en passant par l'hypnotique "Doubleflower" déployant pour l'occasion son arsenal de cuivres, ou les tourbillons de la dérangeante et électronique "At least one point at which it is unfathomable", Hypermnesiac nous ballade allègrement dans le terrain de jeu trépidant des Berlinois ô combien jouissif. Et si Marco n'a pas perdu son âme de créateur émérite de paysages sonores, il en arrive aussi à un stade où sa voix n'a jamais été aussi bien maîtrisée. Et si ce nouvel album n'était au final que la plus belle des synthèses de tout ce que The Somnambulist a pu faire durant sa décennie ?