On avait plus ou moins perdu la trace des Berlinois de The Somnambulist depuis la sortie de leur deuxième album, Sophia Verloren, et un concert au Klub à Paris en septembre 2013 en compagnie de Besoin Dead et d'Ulan Bator à l'époque où le trio était encore signé sur le label d'Amaury Cambuzat, Acid Cobra Records. 100% indépendante depuis, avec la création de son propre label Slowing Records, la formation a passé plusieurs années à bûcher sur la mise en boîte d'un ambitieux troisième LP, puisque Quantum porn fait tout de même son 70 minutes avec 16 titres à la clé. Tout ça n'ayant pas été aussi simple que prévu, la faute principale à une erreur de casting de producteur et puis (moins grave mais à noter) à un double changement de batteur qui ont entraîné un retard considérable à l'élaboration d'une œuvre qui demandait beaucoup à une équipe dont les affaires tournent aujourd'hui encore difficilement financièrement parlant (comme la majeure partie des groupes actuels). Bref, The Somnambulist a voulu garder son intégrité mais aussi celles des aspirations portées à ce Quantum porn qui après plusieurs écoutes sérieuses nous paraît comme une réussite, même si l'on reconnaît presque naturellement qu'il ne se range pas dans la catégorie des disques à "écouter/jeter". De toute façon, on ne se débarrasse jamais vraiment d'un disque de The Somnambulist, tant l'univers du trio a la capacité de séduire assez naturellement depuis Moda borderline.
Ceci étant dit, quand une sortie aussi riche de 70 minutes de musique conceptualisée par des personnes hautement passionnées par l'art (dont la musique classique) et paraissant perfectionnistes - voire un tantinet élitistes - t'arrive dans les oreilles, ton cerveau ne prend pas vraiment de repos. Ça a beau être de la pop, du rock indé - ajouté de quelques velléités jazz ou expérimentales - ou n'importe quels styles "accessibles" que tu peux déceler assez aisément en découvrant ce troisième disque des Berlinois, il n'empêche que ce Quantum porn demande une certaine assiduité à l'écoute pour y trouver son bonheur. Marco Biancardi (voix, guitare, sampler), compositeur en chef de la troupe, le reconnaît volontiers et ne nous facilite pas la tâche. L'homme à la voix rauque qui la laisse aisément s'emporter par moments, à commencer par l'inaugurale et excellente "Transverberate", garde comme socle l'inévitable guitare-basse-batterie pour diffuser à la masse la quintessence de ses idées. Même si des invités comme l'habituel Raphaël Bord (ex-Les Hurlements d'Léo) au violon, Olivier Bernet au synthé, Mareike Hube à la trompette et au trombone ou Mickael Weilacher au marimba et à la tabla, ajoutent différentes couleurs à des morceaux répartis sur les quatre parties (Pi, epsilon, phi et upsilon) de l'œuvre, il n'en demeure pas moins que tout le travail en trio amène déjà, à quelques exceptions près, l'ambiance générale et l'humeur très versatile du disque : vibrante ("Transverberate"), groovy ("A ten thousand miles long suicide note"), calme ("The grand anthem of the unnoble nation of."), dérangée ("The science of hidden purpose"), labyrinthique ("Goddamnland"), inquiétante ("Sundrum Ln"), mélancolique ("Green ice"), enjouée ("Resume where God has stopped"), nerveuse ("Scurf")... nous te laisserons compléter cette liste d'adjectifs, une fois que tu auras bien consciencieusement digéré l'ensemble.
L'empreinte musicale de The Somnambulist demeure intacte au travers de ce Quantum porn qui livre une facette peut-être plus aventureuse du groupe, bien qu'elle soit déjà présente sur ses précédentes réalisations, un ressenti naturellement aidé par sa longueur. Avec du recul, cette dernière n'est pas un problème tant les titres sont globalement bien répartis, alternant de manière intelligente les différents caractères des pistes qui se distinguent par un refus catégorique à toute forme de stagnation artistique. On se laisse prendre au jeu de ce nouvel album, même mieux : on devient progressivement accroc à l'ivresse de ses ondes.
Publié dans le Mag #32