The Somnambulist 2018-1 La dernière fois qu'on s'est parlé Marco, c'était à Paris, il y a plus de 4 ans. Peux-tu me raconter dans les grandes lignes ce qu'a fait The Somnambulist depuis ?
Je vais te la faire courte : pendant deux ans, nous avons écrit de nouvelles chansons et sommes partis en tournée autant que nous pouvions pendant la période hivernale, tandis que tous les étés, je faisais la plonge dans un restaurant pour payer la production du nouvel album qui a été enregistré en 2015. Ce dernier est sorti en mai 2017.

Ce nouvel album nommé Quantum porn a pris beaucoup de temps à être réalisé. Pour quelles raisons ? Peux-tu m'expliquer son processus de création ?
Il y a deux raisons expliquant cette longue durée. La première c'est qu'après deux albums écrits et arrangés à travers un très lent processus de travail monacal, nous voulions expérimenter une nouvelle approche différente. Cela consiste à accumuler une somme très importante d'idées en les enregistrant pendant des heures de jam sessions, les réécouter, prendre du recul et éliminer les choses inutiles ou peu intéressantes, en les réduisant jusqu'à l'os pour développer ce qui reste. Tout ça nous a pris deux ans et demi de notre temps pour être prêts à entrer en studio. La deuxième raison, c'est que juste avant d'enregistrer, nous nous sommes aperçus que nous avions fait le mauvais choix de producteur qui n'a malheureusement pas respecté les accords que nous avions passés ensemble. Il a été viré juste avant que le mixage soit terminé. Notre plan A était de sortir l'album début 2016 avec le premier single "Transverberate" (NDLR : seul le single est sorti à ce moment-là), et le plan B, c'était de prendre une année et demie supplémentaire pour économiser de l'argent qui n'était pas prévu pour remixer toutes les chansons de A à Z et de le sortir au final sur notre propre label pour définitivement le libérer au public. C'est ce dernier choix que nous avons fait.

Oui, donc justement j'ai vu que tu avais créé ton propre label, Slowing Records, suite à l'arrêt de votre collaboration avec Acid Cobra Records. Gérer un label est un travail différent et qui prend pas mal de temps, n'as-tu pas préféré laisser ça à des personnes dont c'est le métier pour te concentrer sur la musique ? Ou ce sont les mauvaises expériences avec les labels qui t'ont fait prendre conscience d'être indépendant à 100% ?
Tu sais, quand t'envoies pendant trois ans des centaines de démos de nouvelles chansons partout dans le monde, et que tu n'obtiens aucun résultat, tu te dis que ce serait pas si stupide comme idée de garder ton énergie, ton argent, et ton temps en gérant directement un label toi-même au lieu d'en chercher un constamment. Le contrôle total de ton œuvre est sûrement quelque chose de très excitant, et c'est une bonne chose en somme, mais je reste toutefois un très mauvais gestionnaire. C'est un job que je déteste faire, et parfois le stress engendré par le management, la promotion, le webmastering, le booking, l'administratif, plus la vie d'artiste avec la production des disques, les concerts à donner et essayer de survivre dans le même temps pour assurer le mois suivant, ça compromet directement le travail créatif qui nécessite beaucoup de temps, de silence et de concentration. C'est une chose que je tolère difficilement parce que le travail sur ma musique est la seule et unique chose importante à mes yeux, tout le reste c'est de la merde qui doit être faite pour rester vivant et en bonne santé afin de continuer de faire ce que j'aime. La porte reste toujours ouverte à n'importe quel professionnel qui souhaite nous aider à gagner plus d'argent avec notre groupe, mais nous en avons fini avec cette humiliation subie en envoyant des démos sans réponses et d'être jugé en quelques minutes par je ne sais quel nouveau découvreur de talents. Nous sommes conscients du fait que nous allons très probablement continuer à jouer juste quelques concerts par an devant pas grand monde, mais c'est un bon prix à payer pour garder cette authentique liberté de jouer exactement ce qu'on veut et essayer du mieux qu'on peut de sonner comme aucun autre groupe.

OK, revenons à l'album Quantum porn, quel est très exactement le concept derrière ce nom ?
Il n'y a pas de concept spécifique derrière. Ou mieux que ça, il pourrait y avoir autant de concepts différents que tu le souhaites. J'ai personnellement trouvé au moins cinq significations différentes derrière ce titre d'album et toutes ont un sens, d'une certaine manière. On est impatients de faire rêver ou de faire réfléchir les auditeurs et de les émerveiller grâce à notre musique, l'objectif de cet album n'est surtout pas de leur laisser une idée ou un message explicite.

Vu la densité et la longueur de ce disque (1h10 !), j'imagine que tu as eu un fil conducteur, un concept, une histoire qui défile au fur et à mesure des chansons ?
Nous avons fait de notre mieux pour trouver la bonne liste de chansons qui nous permette de diviser le tout en deux albums, deux parties différentes, mais nous n'avons trouvé aucune solution, sans perdre ce sentiment très particulier presque écrasant, pour que l'auditeur puisse l'écouter jusqu'au bout sans arrêt. D'une certaine manière, c'est quelque chose de plus grand que juste la somme de deux parties. Je dirais que Quantum porn est très similaire à un voyage vers nulle part, ou bien à une histoire écrite avec une encre invisible.

The Somnambulist - Quantum porn Avec Quantum porn, vous poussez encore plus l'exploration sonore, on peut y entendre plein d'influences, de styles, et des titres assez farfelus comme "Goddamnland" qui est très surprenant par son côté 80's et n'incarne pas du tout votre personnalité. Puisqu'on en parle, comment est né "Goddamnland" ?
Je ne sais pas de quelle personnalité tu parles, moi-même je n'en ai pas la moindre idée. Je ne sais même pas comment nommer le style qu'on joue. Tout ce que je peux te dire c'est que c'est bien évidemment de l'expression à travers la musique, mais je ne suis pas le seul à penser qu'il y a des aspects subliminaux, que ma musique ne vient pas d'une langue, d'une culture ou d'un genre spécifique ou de ce que tu veux. Ça peut être très changeant, flou parfois, même nous, par moments, ne savons pas quoi penser de certaines idées qui sortent brusquement comme ça et qui nous échappent. Il y a beaucoup d'idées qui se développent chez The Somnambulist, un peu comme celle de la rivière qui se sépare et qui dévie son cours jusqu'à la mer, et à la fin ça devient une chanson entièrement composée. "Goddamnland" est une de ces chansons dans laquelle tu sembles essayer de t'échapper d'un labyrinthe en essayant toutes les voies et directions possibles et en jetant des tonnes de mauvaises solutions, et dans le cas spécifique de ce titre, nous avons dû passer par un discoclub afrocore plein de gens moroses et grincheux afin de trouver la sortie.

Un 2-titres Monday morning carnage est sorti à Noël, est-ce que ces chansons ont été enregistrées pour l'occasion ? Ou c'était des chutes des enregistrements de Quantum porn ?
Les deux titres ont été enregistrés en août dernier, spécifiquement autour de l'idée d'un single de Noël "live en studio". Après la sortie d'un album aussi lourd, en terme de son et de format, nous avions le besoin de freiner la pression sonore en réduisant le groupe à une forme semi-acoustique. On avait sorti une version différente de "Monday morning carnage" avec Albertine Sarges sur l'album Sophia Verloren mais jamais avec ma propre voix, on s'est dit que ce serait drôle de la retravailler dans un contexte de fête de Noël et voir si ça pouvait provoquer un court-circuit dans le sapin !

The Somnambulist - Monday Morning Carnage L'autre titre qui accompagne ce single est une adaptation d'une scène du semi-opéra "King Arthur" composé par Henry Purcell, d'où t'es venu cette idée et comment tu t'y es pris pour arriver à tes fins ? Ta voix part même dans les aigus, limite falsetto, c'est plutôt rare !
Cet air est simplement l'un des plus beaux et profonds jamais écrit dans l'histoire de l'humanité. Nous n'avons jamais eu l'occasion d'en parler beaucoup mais nous sommes tous des passionnés de musique classique dans le groupe. Des compositeurs comme Stravinski ou Mahler ont eu plus d'influence dans l'évolution de notre style que beaucoup de groupes de rock. Pour la face B de ce single, nous voulions faire quelque chose que nous n'avions jamais encore fait, comme reprendre la musique d'un autre artiste. On s'est dit : "Alors, pourquoi ne pas reprendre une création vieille de plusieurs siècles ?". Pour moi, qui suis chanteur autodidacte, c'était un vrai challenge, j'ai dû bosser beaucoup, ce qui m'a permis de développer encore plus mes capacités vocales et repousser mes limites.

Vous avez fêté en fin d'année dernière les dix ans du premier disque, l'EP d'Hotel Ambiente, qui était les prémices de The Somnambulist? C'est un repressage du master ou ça a été remixé/remasterisé ?
Oui, c'est un repressage du master car comme je te le disais on a dû pas mal économiser pour l'enregistrement du nouvel album et n'étions pas en mesure financièrement d'y effectuer un nouveau mastering, mais je trouve que l'EP d'origine sonne encore pas trop mal dix ans après pour qu'il puisse subir un quelconque remastering.

Quel regard portes-tu sur ce disque 10 ans après ?
Je pense que les chansons ne sont pas mauvaises, j'ai même été surpris par certaines d'entre elles en les réécoutant, il y a des atmosphères et des humeurs que je n'avais jamais réexploitées depuis cet EP et je me suis inspiré de certaines d'entre elles pour écrire de nouvelles compositions. Ce disque représente ma première réelle expérience de chanteur et compositeur dans un groupe de rock, après avoir été pendant des années batteur et guitariste dans plusieurs formations (NDRL : Elton Junk et Caboto). Sa re-sortie m'a permis de me réveiller un peu et de voir tout ce qui a été accompli pendant une décennie, de voir comment les choses se sont passées pour moi et les différentes vies que j'ai vécues durant tout ce temps. Ça a été bien sûr magnifique de revoir beaucoup d'amis présents à la release party et de se souvenir des paroles, et bien évidemment un pur plaisir de rejouer après autant de temps avec mes camarades qui composaient le line-up originel d'Hotel Ambiente.

En parlant de line-up, revenons à celui de The Somnambulist. Tu me disais il y a quatre ans qu'avec Manuel et Thomas, tu avais retrouvé un vrai groupe. Je constate que Manuel est parti depuis, remplacé par Luca, qui lui aussi a quitté le navire après l'enregistrement de Quantum porn. Sur le disque, le batteur est Valentin, c'est toujours aussi compliqué de stabiliser un line-up à Berlin ?
Il me semble que c'est assez compliqué de garder exactement le même line-up pour n'importe quel genre de groupe, que ce soit d'une part, pour celui qui va avoir besoin d'un temps de vie assez long pour pouvoir se développer et être compris ou, d'autre part, celui qui se forme autour d'une initiative personnelle avec un tout petit budget voire avec que dalle en poche. Sans déconner, de nos jours, combien d'albums en moyenne un groupe indé sort avant de disparaître de la circulation ? Deux ? Trois, peut-être ? À un moment donné, tu dois être assez chanceux pour choper un bon deal avec une structure pour être en mesure d'enregistrer des albums comme il se doit, sinon ça voudrait dire que tous les membres doivent être déjà assez riches pour se manager eux-mêmes et ce pendant des années avec le même line-up. La vérité, c'est que les bonnes choses prennent du temps, la vie est un système chaotique et les gens sont tous différents les uns des autres. La contribution de Manuel et Luca a été fondamentale pour amener Quantum porn à la vie, mais durant son processus, ils ont dû abandonner car leurs priorités ont changé entre temps. Il s'est passé la même chose pour Valentin d'ailleurs, qui a été remplacé par Leon Griese, car il a finalement obtenu un certain succès avec ses deux formations que sont PeroPero et Edi Nulz, il n'avait plus assez de temps pour poursuivre l'aventure avec nous. Garder le line-up flexible est la seule façon de soutenir ce projet sur la durée, malgré le manque d'argent, de "likes" et de "followers". Quand il s'agit de s'engager dans un projet artistique pour l'amour de l'art, le mieux que tu puisses faire est tout simplement de le faire jusqu'à ce que tu puisses le faire.

Est-ce qu'une tournée est prévue en 2018 ? Pourquoi ne venez-vous pas assez en France ?
On est constamment en train de rechercher des dates pour jouer, parfois aidés par des potes ici et là, mais la plupart des clubs et des tourneurs ne trouvent pas notre groupe assez intéressant à leurs goûts. C'est le cas en France, mais aussi en Allemagne et d'autres pays. Mais ce qui est certain, c'est que les tourneurs ne sont pas intéressés pour nous programmer et qu'on ne sait pas se vendre. C'est pourquoi on joue rarement dans des salles de concerts qui ont les moyens de payer un peu plus. La conséquence, c'est que ça prend beaucoup de temps pour obtenir suffisamment d'offres afin de couvrir les frais de la tournée. Aujourd'hui, nous avons quelques concerts de prévus à Bayonne et Bordeaux pour la mi-avril et nous ne pouvons qu'espérer avoir mieux pour la suite.

Qu'est-ce qui tourne sur ta platine actuellement ?
Actuellement, j'essaye doucement de me remettre à jour sur ce qui s'est passé dans le monde de la musique ces dernières années. Vivre dans une ville comme Berlin t'aide à être exposé à la musique de beaucoup de groupes venant du monde entier, que je trouve pour ainsi dire, pour la plupart d'entre eux, métaphoriquement inutiles vis à vis de l'histoire de la musique. Ces dernières années, je me suis isolé pour me concentrer exclusivement sur la réalisation de notre dernier album qui contient bien sûr, entre autres, ma réaction créative à la frustration causée par les dix dernières années de rock, indie ou ce qui s'y apparente. Après la sortie de Quantum porn, j'ai ressenti le besoin d'écouter de nouvelles choses, et je peux dire que maintenant je trouve plus intéressant et stimulant des styles qui ont peu ou rien à voir avec le rock, comme Kendrick Lamar, Lorde, King Krule ou le dubstep. Toutes ces choses-là que je viens de te citer sont déjà en train d'influencer les nouveaux titres sur lesquels on est train de bosser. Malheureusement, notre musique continue souvent à être incomprise et comparée à du post-grunge ou du prog-rock, car la plupart des gens n'ont pas ou n'auront pas le temps de creuser plus profondément dedans pour la saisir. C'est la raison pour laquelle j'ai hâte d'appliquer nos idées et notre façon de penser sur des planètes musicales où nous ne sommes jamais allés, comme le hip-hop ou la dance music alternative. Comme pour montrer plus clairement que nos chansons viennent toutes de quelque part, d'un existant musical, elles peuvent être appliquées à différents genres autres que le rock tout en gardant la même saveur et la personnalité de The Somnambulist. Ce que je dis peut paraître paradoxal car, en théorie, être indépendant pour un groupe devrait signifier une totale liberté de création, mais en réalité, c'est sacrément difficile de nos jours d'avoir une originalité reconnue et appréciée si tu n'es pas déjà un artiste établi. Tu n'as pas idée du nombre de personnes qui essayent de nous convaincre de jouer des choses plus "normales" et qui soient plus "en phase" avec le marché de la musique, même après trois albums et plus de deux heures et demi de chansons écrites ! Comme si dans le petit monde de la musique dans lequel on survit, quelque chose qu'on appelle "le marché de la musique" n'existait pas.

The Somnambulist 2018-2 Pour terminer, l'habituelle question : L'avenir ?
Nous avons prévu d'enregistrer en mars la bande son du ciné-concert Die sinfonie der großstadt pour une sortie de DVD avant la fin de l'année en collaboration avec le Cineforum de Bozen. Et avant cela, Leon et moi voulons prendre du temps pour finir l'enregistrement de démo de quelques nouvelles chansons que nous venons d'écrire et que nous essayons de mettre en œuvre pour le live en ce moment. On peut dire que nous avons déjà une idée de base de ce à quoi le quatrième album de The Somnambulist pourrait ressembler et qu'il donnera une vision rafraîchissante totale à la musique du groupe, quelque chose qui pourrait aussi montrer sous une lumière différente nos albums précédents. Et il sera bien plus court que Quantum porn ! Plus qu'un haïku, comparé à ce grand poème épique. Tout ça est en train de se passer actuellement, il reste encore beaucoup de travail à faire et on a tous hâte d'enregistrer ça cet été et de le sortir au début de l'année prochaine.