C'est même pas l'été 2015 qui commence, qu'à l'époque, on se prend une bonne rasade de pinte fraiche dans la tronche, envoyée par deux excités en provenance de la campagne anglaise, même pas londonienne, un bled paumé, dans le Kent, le truc dont le nom fait penser à une marque de marmelade rosbif, le Royal Tunbridge Wells. Les deux gugusses qui t'ont jeté leur mousse, assis sur un banc d'un énième parc anglais, avec la dégaine de la petite frappe anglaise, entre posture de hooligans désœuvrés ou des skinheads version originelle, à la redskins, prolos et apolitiques, un peu branleurs et un peu provocateurs, c'est Isaac Holman et Laurie Vincent, tout simplement punks. Isaac chante et joue de la batterie debout, parce que c'est plus pratique pour lui. Les autres batteurs jouent assis, et alors ? Laurie est à la guitare, parfois la basse, et fait un peu les chœurs, surtout en concert. Deux je-m'en-foutistes qui te sortent leur premier album avec un artwork ouvertement complètement absurde, le bon non-sens anglais, deux bichons frisés sur un fond rose avec un typo dégueulasse. Mais les gars, c'est quoi cette pochette ? C'est votre premier album, personne ne vous connait, et personne ne va vouloir vous écouter avec une photo pareille ?! What ?! Screw you funkin' froggy !!
Et il ne faut vraiment pas s'arrêter à la pochette ou au nom du duo, bien au contraire. Ça va être punk, ça va être rock, ça va gueuler, ça va chanter avec un accent bien du cru. L'album commence avec "The hunter", un riff de guitare tout simple, un chant gueulard et rapide, tout en amplitude quand la batterie débarque. Simple et superbement efficace. S'ensuit "Cheers up London", au clip barré et humoristique, qui commence par un rire gras pour partir sur un refrain particulier qui tu t'empresseras de reprendre (You're dead, already, dead, dead, already-ready Dead). Toujours aussi efficace. S'ensuit un "Sockets" en mode punk UK old school. Puis deux autres tracks bien épais dont un "Do something" au tempo que les fûts autant que la guitare, écrasent, au refrain toujours aussi basique et fédérateur. Voilà 5 tracks de passés, ultra punchy, déconnants et qui font mouche. On reprend son souffle sur un intermède acoustique et on repart pour 7 autres titres. Des fois plus rock ou plus punk, même punk dark wave sur "Ninety nine", Slaves sait toujours y mettre l'énergie qui dépote. Et sur le chant, pour chaque titre, Isaac y met sa hargne, son désespoir. Car on y parlera de révolte, de solitude, de dépression, de classe sociale, comme si les potes de Renton de Trainspotting s'étaient mis à la musique. Bref, sous couvert d'une attitude provocatrice et faussement désinvolte, Slaves n'est pas qu'un duo de branleur. Le tout dernier titre, "Sugar coated bitter truth", soudainement moins agressif mais tout aussi intense, semble leur faire craquer l'armure. Un premier album en acte fondateur, une première pièce jouissive.
S'ensuivront 2 autres LP, Take control et Acts of fear and love, respectivement en 2017 et 2018. Puis le groupe stoppera toute activité, en raison d'un drame personnel vécu par Laurie qui voulait arrêter définitivement la musique. Mais fin 2022, Slaves revient, même line-up, mais sous un nouveau nom : Soft Play. Welcome back !
Publié dans le Mag #56