Singe Des Rues - Plus le temps Leur univers est fait de "monkey", comprenant des "guenons" (les femmes), des "macaques" (les hommes) et des "rhésus" (les potes). Et cela fait trois ans que leur album a investi les distros et stands appropriés, ceci alors qu'il a mis près d'une décennie à être confectionné avant de voir le jour. Un temps long qui a permis à Singe Des Rues de mettre au monde un album mâture et infaillible. A placer très haut dans la gamme des autoproductions que le rap indé et politiquement explicite diffuse depuis une quinzaine d'années. Comparaison n'est pas raison mais si on se met à compter en Calavera, il n'est pas impossible de penser qu'un Plus le temps n'est pas loin d'équivaloir à un A travers spleen & mascarades, aux décalages temporel (2007-2013) et géographique (Saint-Etienne vs Noisy-le-Sec) près. Rien que ça. Et pas étonnant qu'eux et une vingtaine d'autres MC's (parmi lesquels Nergal, E.One de Première Ligne ou le Kyma) doivent se retrouver sur un titre-brûlot à paraître prochainement, "18'05 pour dire que ça sert pas à rien".

Influencés par "NTM, Django et les Bérus" ("Authentique produit de l'époque #1"), Singe Des Rues "fait du rap à la punk, no future et no fun" ("Peu de choses à perdre"). On aura vite compris qu'on a à faire à du très bon et qu'ici, ça ne triche pas. Ca transpire l'urbain, ça suinte le malaise ambiant, ça décalque du flow impétueux et vomit la période qui nous est offerte comme incontournable. Le duo de vocalistes, qui invite Sid Nomiak le temps d'une "Dernière danse" macabre, aborde nombre de thématiques contemporaines, provoquant à la fois malaise et incitations à la réflexion ou à la révolte même si la couleur générale est, à l'instar de la pochette, d'une profonde noirceur. Tant qu'il y a du noir, il y a de l'espoir.

La mort rôde souvent (On danse au bord du gouffre quitte à pas le faire au bout d'une corde) tout le long de textes percutants (L'adversaire est dans les viscères dans chaque putain de minute de ta vie absurde), parfois impitoyables (Pour une enflure qui s'auto-supprime à Wall Street dis-moi, combien des nôtres qui s'accrochent à la poutre sans se rater ?), toujours incisifs (Compte pas sur moi pour être de ceux que le temps modère, le contrôle est sournois l'ennemi c'est tout ce qui obtempère). Et lorsque la vie ou ses lambeaux qui nous sont accordés ici ou là est scandée par APE 1 et APE 2, elle est faite de flics (Des bâtards de la canine à la gare) et de psychiatrie (Si la folie existe alors j'habite à sa lisière), de chômage (A pole emploi ça contrôle la déprime et la trouille) et de travail pourri (Merci patron pour la pause clope), de rapports de force (En guerre contre la Terre entière pas encore trouvé la faille) et de trahisons (Y'en a combien qui baisent leurs potes de peur de passer en cellule ?), de prison (Pour quasi-rien tu prends du ferme, des sadiques collent des 10 ans avec un smile vissé aux lèvres) et de rêves évanouis (T'étonnes pas si on s'en tape de percer, on est baisés depuis le berceau), de précarité (Aux apparts' insalubres aux ascenseurs en panne, aux galères de tunes insolubles à ceux qu'on dit à la traîne) et d'addictions (Rappelle-toi que tu dois mourir bah ouais, je veux bien choisir les toxines qui feront la une à l'autopsie), de crises de nerfs (Que la révolte coule dans mes veines par litres que je fais des rêves de requiem) et d'armes (Je finirai bien par tirer dans le tas dans un sursaut de lucidité), aussi. Sans compter que SDR sait envoyer avec véhémence des critiques d'une quotidienneté ennuyante (C'est la B.O. du quotidien, des défaites ordinaires) et des déclarations de guerre aux systèmes de dominations (Je verrais bien les taules par terre, l'appareil d'Etat en pâture et les patrons au lampadaire). L'ambiance, dark à souhait, d'où s'échappe une certaine urgence ("Plus le temps") d'en découdre laisse aussi place à des instrus futuristes, plus entraînantes ("Moins de barreaux"). S'ajoutent sur quelques titres, les scratchs de DJ Staz parfaisant à planter un décor orwellien, oppressant, en contact complet avec un réel trop peu dépeint par d'autres formes d'expressions ou d'autres groupes, même de hip-hop.

Un style direct (Le mental dans les Reebok un matin sur deux) et sans concession (Une chaîne de chéfaillons d'esclaves où chaque maillon dit : "c'est pas moi"), ni grande illusion (Viens pas nous parler d'espérance, de révo ou de coran, moi j'ai des rêves ils sont trop grands), le duo de Noisy-le-Sec s'annonce être "ni bourreau ni martyr et tout l'inverse d'un artiste" et "kiffe l'acoustique des squats et les micros qui saturent". Peut-être que sans bande-son, les aphorismes pré-cités ont du mal à te parler mais dès que Plus le temps aura effectué quelques rotations chez toi, à commencer par "L'adversaire", tu auras du mal à décoller de son écoute et te sentiras certainement aussi Singe Des Rues à chaque réveil.