Sinaïve est un quatuor de Strasbourg, devenu trio, composé d'Alicia Lovich (batterie/chant), Calvin Keller (guitares/chant) et de Séverin Hutt (basse), et qui a contribué, avec la sortie de son premier album Répétition, à la résurrection du label strasbourgeois Antimatière qui avait rendu l'âme en 2002, il y a donc plus de 20 ans. Dans les deux cas, c'est une très bonne nouvelle. Car les deux entités ont beaucoup à nous apporter, à commencer par ce jeune groupe qu'est Sinaïve, auteur auparavant d'un EP et d'un 45 tour. Le premier LP (*) est généralement une étape cruciale pour les artistes car il porte un marqueur artistique qui définit la manière dont on va les percevoir. Et ce premier disque peut vous coller à la peau (très) longtemps. Autant sur un EP, il est encore possible de se chercher, d'ajuster son style, voire son line-up. Dans le cas d'un premier long-format, il y a une unité, une direction et une cohérence à respecter tout le long de l'œuvre. Je n'ai délibérément pas voulu aller fouiller et écouter les anciens enregistrements de la formation strasbourgeoise pour avoir justement cette vision unique qui ne me permet pas de m'en détacher et de vouloir absolument chercher les différences entres avant et maintenant. Ce qui est fait est fait. Et comme le dit si bien le trio via son dernier titre : "Cela ne fait que commencer".
Enregistré chez la famille Burger (Simon, le fils, est aux manettes dans le studio de la Compagnie de son père, le très respecté Rodolphe Burger, fondateur de Kat Onoma), Répétition est un disque passionnant qui expose en sonorités diverses les démons hantant ses membres fondateurs restants (Alicia et Calvin, le bassiste Alaoui O ayant quitté le navire bien qu'il joue encore sur ce 6 titres). La musique représentée dans ce disque est plutôt congrue pour le coup. Cela peut s'exprimer par la langueur et une apparente tristesse non percussive ("Les diaboliques"), par la tension post-punk faussement hospitalière ("La Straßburg"), par un psychédélisme 70's enivrant et instinctivement accrocheur ("Métier de vivre", dont la ligne de basse rappelle d'ailleurs celle d'un morceau du dernier The Brian Jonestown Massacre) ou encore par le biais d'une motorique krautrock de 11 minutes sortie de derrière les fagots. Cette œuvre dérangée met en exergue le cocktail électrique des guitares qui ne s'appliquent pas seulement qu'à suivre la mesure, elles s'expriment terriblement bien, tant mélodiquement qu'en termes d'explosivité ou d'expressions s'échappant souvent aux confins de la noirceur. Ce voyage sonore hypnotise aussi par les voix majoritairement fragiles mais assurées d'Alicia et Calvin, on a comme la sensation de se plaire dans leur mélancolie, surtout quand elles se chevauchent ("Parasite", "Les diaboliques"). Répétition est un disque qui ne se répète pas, mais vous pouvez répéter à vos amis musiciens que le travail en répétition paye et que ça peut donner de très bons albums à écouter comme Répétition.
(*) L'équipe promo parle d'un EP (correspondant à 4 titres pour 10 à 15 minutes). Le disque faisant 36 minutes, il est considéré de facto comme un LP, au mieux dira-t-on que c'est un mini-album.
Publié dans le Mag #58