Le choix du "disque oublié" pour chaque numéro du W-Fenec peut être à la fois facile et compliqué à trouver. Cette fois-ci, il s'est fait de manière assez évidente et quasi spontanée. Mais on revient de loin. Je vous explique ça rapidement : ces derniers mois, j'avais un air qui me trottait dans la tête, le genre de mélodie qui ne veut plus vous quitter pendant plusieurs jours, si ce n'est plusieurs semaines. On a tous connu ça, sauf que dans mon cas, je ne connaissais précisément ni le titre de la chanson, ni l'artiste. J'ai un peu le syndrome du passionné de musique qui découvre une dizaine d'album de tout âge par jour (merci les ami(e)s !) et parfois oublie de retenir les infos qui vont avec, à commencer par la plus évidente : le nom du groupe. C'est ballot...
Et plus le temps avançait, plus je sentais la frustration monter. Il fallait que je trouve absolument cette chanson et son ou ses auteurs. J'avais deux certitudes et demi en tête : que le groupe était plutôt récent, qu'il entrait dans la case "post-punk" et que, potentiellement, j'avais écouté ce titre chez mon frangin ou l'un de ses potes. Alors, me voilà investi d'un (en)quête afin de parvenir à mettre la main dessus. Après avoir épluché un nombre incalculable de pistes et d'œuvres répondant aux critères susmentionnés sur une plateforme de streaming bien connue, je tombe enfin sur ce morceau : "Snow day" de Shame. Purée, il s'agissait en effet du gimmick de la guitare de l'intro de cette chanson - l'une des plus saisissantes de Drunk tank pink, deuxième album des Anglais sorti en 2021 chez Dead Oceans - dans laquelle on se plaît à savourer ce mélange de batterie syncopée avec un chant parlé et scandé et des guitares instables.
Quitte à faire, au point où j'en étais, j'ai donc redécouvert cet album, que mon frère m'avait effectivement fait écouter lors d'une visite durant une période de fêtes. Et j'ai, de suite, accroché à la variété des ambiances de ce disque. En matière de revival récent du post-punk anglais, je suis assez difficile en plus. Même si Idles, Wet Leg et Fontaines D.C. semblent être ceux qui ont le plus de suffrages auprès du public, ma préférence se situe plutôt vers des formations comme Squid, Dry Cleaning et Shame. Dans ce Drunk tank pink, enregistré en banlieue parisienne dans les studios La Frette, il n'a pas vraiment de tubes évidents ou inoubliables sortant du lot. Le tube, c'est peut-être l'album en lui-même, devrais-je dire, qui reste à ce jour le meilleur des 3 LPs proposés par le quintette londonien depuis sa formation en 2014. Ses titres sont à la fois hargneux, dansants, groovy, mystérieux, étonnants, alambiqués, sombres, reposants, frénétiques, d'humeur joviale...
En gros, ce deuxième album est plein de contradictions, et c'est précisément pour cette raison qu'il attire. Même son titre, qui est le nom d'une couleur au ton rose dont les études ont démontré qu'elle réduisait temporairement les comportements hostiles et agressifs, peut prêter à interrogation. À se demander si sa fonction n'est pas de canaliser notre violence. En tout cas, si comme moi tu as été séduit par Drunk tank pink, tu pourras profiter sur les plateformes de streaming d'une version deluxe agrémentée des démos de toutes ses chansons que tu pourras comparer avec les versions finales de James Ford, afin d'évaluer l'excellent boulot du producteur des Arctic Monkeys, de Foals ou de Gorillaz, qui a su retranscrire parfaitement l'essence brute du combo.
Publié dans le Mag #61