Mercredi 30 avril 2014. Quand je pénètre dans la Rodia, salle des musiques actuelles de Besançon, je suis à quelques heures de réaliser un vieux rêve qui a parfois traversé mon esprit depuis plus de dix piges : revoir Second Rate sur les planches. Ni plus ni moins. Quand, il y a quelques mois, la rumeur vieille de quelques années s'est enfin concrétisée, j'ai noirci de plusieurs couches de stylo mon agenda. En sélectionnant tout d'abord la date "à domicile" organisée par lasso Migthy Worms, puis les suivantes de ce "réunion tour", ne pouvant malheureusement pas faire le voyage jusqu'à La Rochelle pour la der des der (bis). Quatre sur cinq, c'est pas mal, non ? Me voici donc à Besançon, avant de rejoindre Chalon-sur-Saône, Lyon et enfin Montreuil pour une date qui s'annonçait déjà exceptionnelle. En compagnie des Flying Donuts qui jouaient également sur ces quatre premières dates, j'ai profité de ce petit périple pour partager le quotidien du "meilleur groupe du monde" le temps d'un week-end et ainsi profiter d'un plateau magique entre un groupe réuni de façon éphémère et un acteur majeur de la scène indé punk rock dans la place depuis 18 ans !! Et tu penses bien que j'ai saisi l'opportunité de ce bon moment pour faire marcher la boîte à souvenirs des gaziers et interroger nos bonhommes sur le passé, le présent et l'avenir. Magnéto !
En arrivant vers 16 heures dans ce labyrinthe fait d'ascenseurs, d'escaliers cachés et autres multiples accès de la Rodia, je me retrouve directement à l'arrière de la scène, profitant ainsi de la fin de la balance des Rate. Le groupe, qui a profité d'une résidence pendant deux jours dans les lieux, affine son son qui s'avèrera monstrueux (comme tout au long de ce "reunion tour"). J'ai plus ou moins régulièrement revu, à diverses occasions, tous ces gars sur la route depuis dix ans et la fin du groupe, mais jamais tous ensemble, jamais SUR UNE MEME SCENE ! Mais avant le début des réjouissances, j'ai voulu savoir le pourquoi du comment de ce retour éphémère :
Sam : Comme on le dit à chaque fois qu'on pose cette question, cela fait quelques années qu'on avait essayé de le faire, et que tout le monde était occupé tant au niveau musical qu'au niveau personnel. Moi, ce qui m'intéressait, c'était de rééditer les disques car c'est dommage d'enregistrer des disques qui ont eu une petite vie, qui ont trouvé leur public, et qu'ils ne soient plus disponibles. C'est de l'archivage, c'est important, surtout maintenant, en 2014, où la musique a été complètement dématérialisée. Cette mini tournée, c'était un bon catalyseur, on avait le label intéressé par tout ce trip, il n'y avait plus qu'à trouver une période où tout le monde était disponible pour se remettre les mains dans le cambouis.
Sylvain : C'est pour répondre à une demande qui est existante depuis la fin de Second Rate. Quand on joue quelque part avec nos autres groupes, il y a toujours quelqu'un qui nous reconnaît au stand de merch de nos bands, et qui nous demande "t'as pas un vieux skeud ou un tish de Second Rate à nous vendre ?"
Sam : On n'aurait pas joué sans la réédition de la discographie, c'est sûr et certain. Je n'aurais pas vu l'intérêt de faire ça, jouer à vide. Et l'inverse, c'est-à-dire rééditer les disques sans qu'il y ait de concerts, ça aurait été dommage aussi, pour le label qui sort des disques, déjà, et puis pour nous. Bref, c'était l'occasion rêvée, c'était le seul et unique moyen de le faire, je suis content qu'on ait pu concilier cette réédition et quelques concerts pour marquer le coup. Cela a du sens.
Car oui, ce retour sur les planches pour cinq dates et le prétexte de "défendre" la sortie de la discographie de Second Rate en vinyle. Du beau matos, à savoir les rééditions des albums Grinding to dust two years somewhat insane et Last days of glory et un double vinyle compilant les titres du premier MCD NiceLineLife et des titres présents sur les splits avec Scuttle et Flying Donuts. Mais qui est à la base de cette réédition ?
Sam : On voulait rééditer le truc, sachant que ça fait au moins six ans qu'on en reparle plus ou moins sérieusement. Format CD, une intégrale, un espèce de best-of, on ne savait pas vraiment sous quel format, tout a été évoqué. Je voulais rééditer car ce n'était plus disponible, ça c'est le point de départ. Après, ça s'est affiné quand Mr Cu! m'a dit ce qu'il pouvait faire et on est tombé d'accord sur ces vinyles. Moi, ce que je voulais, c'était qu'il y ait des photos d'époque, qu'il y ait un texte qui remette dans le contexte car tout le monde ne connaît pas Second Rate, on n'est pas les Rolling Stones, loin de là. En fait, c'est une niche dans la scène, et il y a des gens qui vont tomber sur ces disques et qui ne comprendront pas ce que c'est, c'est bien de remettre dans le contexte et d'expliquer clairement ce que tout ça a représenté pour nous. Car c'est une musique d'une autre époque. Après, on a terminé le boulot ensemble sur des photos, sur des textes, sur comment grouper les morceaux de compilations, de splits, par période, par line-up, et les deux albums les isoler, etc.
Faut dire que les gars n'ont pas fait semblant et que les objets sont somptueux. Mais retrouvera-t-on des inédits dans le lot ?
Sam : On n'en a pas ! On a quelques live dégueulasses, ça sert à rien. Ce sont des live pris en console à l'époque, genre des DAT, mais bon, c'est préhistorique et anecdotique.
Sylvain : Je dois avoir quelques pépites comme ça aussi mais qui ne sont pas intéressantes, ni écoutables.
Sam : Moi j'aurais bien aimé mettre les démos mais on manquait clairement de place. Les démos ont un intérêt pour les collectionneurs et les archivistes et parce qu'au départ, c'est Jon qui chante, et non Sylvain. On ne pouvait pas les mettre car il fallait rajouter une galette. Donc, à part les deux démos (7 titres en tout), une cover de 7 Seconds ("Young 'til I die"), un inédit sur un maxi et une cover de Portobello Bones que l'on n'a pas retrouvée, on a tout mis.
Après une balance efficace des Flying Donuts et de Red Gloves, et après avoir pris le temps de saluer la délégation vosgienne venue en force pour cette soirée, il est temps de prendre place dans la salle où Billy The Kill va envoyer un set acoustique toute en finesse, avec l'intensité qu'on lui connaît. Il est rassurant que dans notre hexagone, des artistes comme lui existent, des artistes qui te procurent des émotions à chaque coup de médiator, avec pour seules armes une guitare et une voix. Un set quasi intimiste et vraiment prenant. Les Red Gloves enverront eux aussi un set de haute volée, dans un style radicalement plus électrique. Deux Irradiates et deux Jack and the Bearded Fishermen envoient un punk rock très mélodique et vraiment puissant, pour le plaisir d'un auditoire qui n'en demandait pas tant.
Quand les Flying Donuts montent sur scène, c'est à un petit événement auquel la salle pleine à craquer va profiter durant une heure. En effet, le trio vosgien va exécuter l'intégralité de Last straight line, son premier album paru en 2002, et dans l'ordre s'il vous plait ! Arnaud (Joey Jeremiah) viendra également pousser la chansonnette (enfin, façon de parler !) sur "Too long", comme sur le disque. Quatre morceaux de la même période seront également joués en fin de set, avant que le groupe ne fournisse en rappel quelques brûlots plus récents. Jérémie profitera de ce concert spécial pour ressortir sa Stratocaster, lui qui joue sur Gibson depuis de nombreuses années. Une sorte de clin d'œil à cette époque où le groupe jouait vite, très vite, un émo punk qui fonctionnait parfaitement. Le public est enthousiaste, certains irréductibles n'hésitant pas à tout donner en hommage à leur groupe préféré. Mais pourquoi le groupe a-t-il décidé de rejouer son premier album d'une traite en 2014 ?
Benjamin : C'est grâce à un ami à nous, Thibault Gillard, qui s'occupe un peu de nos dates et nous file des coups de mains. Il aime bien ce disque, et comme Last straight line n'est pas sorti en vinyle à l'époque, il nous a demandé si ça nous branchait de ressortir la version en vinyle. On s'est dit : "Ouais, pourquoi pas, c'est l'occasion, on ne l'a jamais fait, c'est une bonne idée". Lui nous proposait de financer ce truc et du coup, ça s'est fait assez rapidement. Et c'est très bien tombé car à peu près à la même époque, on apprenait qu'on allait se faire une date avec Second Rate. On avait dans un coin de la tête l'idée que si ce disque ressortait, on se ferait quelques dates où ça jouerait uniquement les titres de ce disque et du coup, ça tombait super bien car on va le faire avec les copains de l'époque et ça plaira à tout le monde. En plus, comme on avait fait que neuf titres sur l'album qui était assez court, on s'est permis de rajouter quelques titres sur le vinyle (4 en l'occurrence : une reprise de "Joyce et les conquérants de la lumière" sortie à l'époque chez Prehisto, un morceau de l'Emo Glam 2 également à la même époque et plus disponible non plus, une reprise de Shane Young totalement inédite et un autre morceau qui devait être sur un split avec I'm Afraid qui n'a jamais été pressé en support physique, mais uniquement disponible à l'époque en digital. Du coup, deux inédits et deux vieux morceaux !
Le temps de retrouver ses esprits après la déflagration sonore du trio lorrain que c'est déjà à Second Rate de monter sur les planches. Les nombreux fans du groupe se pincent encore aujourd'hui pour s'assurer qu'ils n'ont pas rêvés éveillés. Et dès l'intro de "Darkness slowly warps me up", les poils s'hérissent : le son est monstrueux (je l'ai déjà souligné, mais je le redis), le morceau issu de Grinding to dust two years somewhat insane est joué à le perfection. Et même si on sent dans le jeu de scène quelques hésitations (probablement dues à ce premier concert où chacun tente de retrouver ses marques, quoi de plus normal ?), les tubes défilent pour le plus grand plaisir d'un auditoire aux anges. La fin de "Death take me away" repris en chœur par le public me fait trembler, "My tears are faked" est rageur, "With the sun" se veut explosif et "Them" est quant à lui envoutant. La première partie du set est exécutée avec Fred dit "Lutin", bassiste ayant joué sur le premier album et le split avec Scuttle. Huit morceaux avant que Fred, après un "Ozzy kick your ass" brutal, ne laisse sa place à... Fred Allérat, alias Billy The Kill pour les intimes, dernier bassiste ayant officié dans le groupe et ayant enregistré Last days of glory et This machine kills emo kids, le split avec Flying Donuts, split dont aucun titre ne sera joué sur la mini tournée. Fred exécutera huit titres également (pas de jaloux !) issu du premier MCD et du dernier album sorti dans l'urgence. Mais d'ailleurs les gars, ce dernier petit tour ne serait-il pas non plus un prétexte à jouer enfin ce dernier album qui révélait un côté un peu plus rock 'n' roll de Second Rate, et de boucler dignement, mais avec plus de dix piges de retard, l'épisode Second Rate sabordé dans l'urgence ?
Sylvain et Sam : Non, non.
Sam : Tout le monde est passé à autre chose musicalement dans le groupe.
Sylvain : En fait, si tu parles des gars qui jouent dans Second Rate, qui ont tous une activité musicale sans exception, il n'y a jamais eu de sensation de manque, rien qui nous poussait à nous dire "putain, on n'a pas de band, il faut qu'on refasse ça."
Sam : C'est ça ! Le dernier album est sorti après notre split. On ne va pas refaire l'histoire mais le disque est sorti d'une manière "alternative", c'est un disque qu'on aurait dû sortir tout autrement, enregistrer, produire et développer autrement. Ça s'est fini de la façon dont ça s'est fini, on ne va pas revenir là-dessus, mais en tout cas, quand on dit "on rempile", en fait on rempile que dalle, car tout le monde joue encore, tout le monde répète encore, tourne, compose, à des degrés différents certes, mais tout le line-up de Second Rate est encore actif dans la scène musicale, et ça c'est super important, on ne ressort pas d'un vieux chapeau mou. Tu as des réunions où des groupes se reforment car les mecs, ça les démangent de rejouer, ils veulent revivre le truc, rallumer la chaudière, tout ça, mais nous, on est encore tous bien présents sur l'échiquier musical indé français, on n'est jamais sorti du jeu. Sylvain était en tournée avec son projet solo Mayerling avant de commencer cette petite réunion, John pareil avec son groupe, Fred aussi en solo, il fait quelques dates ici et là, Lutin la même chose, et moi aussi, avant et après, d'ailleurs je repars en tournée avec BZP juste en revenant de ces quelques dates avec Second Rate. C'est vraiment la réédition qui était importante à mes yeux.
Retour à la réalité. La setlist (qui sera la même pour ces cinq dates) voit se succéder de nombreux classiques de la première période du groupe, alternant avec des morceaux qui ont été très peu défendus sur scène, split oblige. Le plus touchant est assurément "Paul loves that", durant lequel Paul, le fils de Sylvain, restera proche du kit batterie de son père. Ce qui n'est pas pour arranger l'émotion que ce concert a procuré au batteur/chanteur, visiblement ému de l'accueil réservé par les bisontins à Second Rate, et qui ne manquera pas de le souligner à plusieurs reprises durant le concert. Après "There just a reason" exécuté de fort belle manière, le groupe tire sa révérence sous les ovations du public. Premier concert réussi, ça laisse présager de bonnes choses pour les jours à venir.
Jeudi 1er mai : après une nuit décidément trop courte, l'équipe des Flying Donuts prend la route de Chalon-sur-Saône, deuxième étape de ce périple au pays des souvenirs. Quand nous arrivons, Second Rate est déjà en train de s'installer sur la scène de la Péniche, spot assez sympa au milieu des friches industrielles de la ville. Jour férié, temps pourri, relativement loin de nos bases, ça sent le mauvais dimanche de déprime, sauf que chacun profite de ces instants qui sont comptés. Alors que la veille, tu serrais des mains tous les dix mètres, aujourd'hui, c'est quasi connaissance zéro. On est entre nous, et c'est bien ça qui compte.
Les Flying Donuts profitent de cette soirée pour aiguiser son set "classique" composé majoritairement des brûlots de son nouvel album. Pour avoir vu le groupe à chaque nouvelles séries de concerts succédant la sortie d'un disque, j'ai l'agréable impression que Still active, nouvelle galette dans les bacs depuis seulement quinze jours, est parfaitement configurée pour la scène, et le groupe est d'ores et déjà à l'aise avec ces nouveaux titres. La tournée pour ce nouvel album vient de commencer et il est donc opportun de prendre la température auprès du trio :
Jérémie : On n'a pas encore assez de recul par rapport au public. Dans l'ensemble, je dirais que ça plaît. Ce que j'en dis, c'est que c'est un album qui est plus aéré de manière générale, et je le prends comme un retour aux sources même si il y a à boire et à manger dans ce disque. On voulait faire un truc plus aéré mais pour l'instant, j'ai lu quelques bonnes chroniques. Après, je rejoins Sam sur le côté "je joue de la zik pour moi" car moi aussi, je joue pour ma gueule. J'en ai plus rien à faire de ce que les gens pensent. Mais oui, ça fait plaisir
Sam : C'est quand même dur de se dire, dans notre circuit, à notre échelle : "Qu'est-ce que vont en penser les gens ?". C'est super déplacé. J'espère qu'il n'y a pas de musicien qui se pose cette question.
Gui : Mais quand tu sors un disque, tu fais attention à la prod', à la pochette...
Sam : Ouais, bien sûr, c'est autre chose, mais ce que vont en penser les gens, tu t'en fous de ça, enfin si tu as une once de personnalité.
Sylvain : Quand tu es un groupe en France, un group indé, que tu as suffisamment de bouteille et que tu es toujours vivant, ce qui t'animes c'est de jouer. Après, le contenu, peu importe, il te sert à tourner, à te donner des sensations, de retourner sur la route.
Sam : Je ne pense pas que les gars des Flying Donuts, dans leur local, se sont dit : "Mais qu'est-ce que vont en penser le gens ?", mais plutôt "On va encore refaire un skeud car on a encore des trucs à proposer, de nouvelles songs, et on a envie d'être sur la route de temps en temps. Je ne pense pas que vous vous soyez dit "mais qu'est-ce qu'ils vont penser, les gens ?". Sans dèc'. Rassurez-moi ! (rires).
Benjamin : Ouais, c'est vrai.
Sitôt le set des Flying Donuts achevé, et après un changement de plateau efficace, c'est à Second Rate d'en remettre une couche. L'accueil de l'assistance (une centaine de personnes) réservé aux Rate est plus timide que celui de la veille, mais le groupe déroulera son set avec la même détermination et la même envie. Le groupe se fait plaisir, et ça se sent. Cela ne donnerait-il pas des idées de refaire un bout de route ensemble ? Soyons fous.
Sylvain : Non, ce n'est pas le but. Le but, ce n'est pas de renquiller ou de resouffler sur les braises du barbecue et relancer la machine. Humainement parlant, ça serait jouable, sauf qu'on a des activités musicales à coté qui ne nous permettraient pas de le faire, et je ne sais pas si l'envie d'une manière générale existe chez tout le monde...
Sam : C'est une autre époque. On me pose la question tous les soirs de ce trip : "Qu'est-ce que ça fait tout ça, tu ressens quoi ?". Pour moi c'est vraiment bizarre de rejouer ces morceaux-là, c'est sûr et certain. A titre personnel, c'est vraiment bizarre de rejouer sur des émotions qu'on a eu il y a quinze ans. Il y a la zique, mais il y a aussi tout le reste, autour du band, on a vécu des trucs bien barges avec ce groupe. Même les paroles de Sylvain, les mélodies, bref il y a des morceaux que j'ai composé quand j'avais 20 balais, c'est quasi une autre vie...
Sylvain : Même si ça reste très fun.
Sam : Ouais ouais, bien sûr, surtout qu'avec cette musique qu'on appelait emo, donc émotionnelle par définition, les sensations que tu as à 20 ou 22 ans ne sont pas les mêmes que celles à 38 ou 40 piges. Et puis c'était un style qui était lié à une certaine période dans l'histoire de la musique, des sonorités qu'on n'entend plus beaucoup maintenant, un style à cheval sur le punk rock et la pop tendue, c'est un peu daté donc ça serait bizarre de se dire : "Ok, on remonte ce band-là". Honnêtement, je ne verrais pas l'intérêt de faire ça même si les sensations sont fortes sur ces dates c'est clair.
Sur scène, et malgré le deuxième concert, le groupe trouve de plus en plus ses marques, et visuellement parlant, ça n'en est que meilleur. En d'autres termes : le groupe est en place ! Quand je demande aux membres du groupe s'ils ont pensé à l'éventualité d'une réunion qui n'aurait pas fonctionné musicalement, leur réponse est claire et nette (comme souvent avec ces gars-là !)
Sam : On ne se pose pas toutes les questions que vous vous posez ! (rires) Moi, j'étais en train de répéter avec Demon Vendetta l'année dernière, j'étais chez mon pote Franz (le bassiste de ce groupe) à Colmar en Alsace. Après la répet', allongé, peinard, à glander sur Facebook, j'ai vu que Bombled était connecté, je lui ai simplement envoyé un message ultra direct, genre "Mec, t'es ready, là ?". Il m'a répondu "Yes". On n'a pas fait un tour de table ni une réunion au sommet, ça a été très spontané. Sylvain m'a dit : "J'en parle à Lutin, je te tiens au courant dans les cinq prochains jours". Cinq jours plus tard, il m'appelle et me dit : "J'ai vu Lutin, il est chaud". De mon côté, je savais que Fred Allerat allait être ok. On attendait ensuite la réponse de Jon, mais à aucun moment on ne s'est posé la question de ce qu'allait en penser les autres, si ça allait marcher ou motiver des gens, du public, etc... Si ça nous fait plaisir de le faire, c'est déjà un bon truc, c'est le principal. L'idée de rééditer le catalogue s'est développée en même temps, tout a roulé avec fluidité, tout s'est enchaîné avec naturel. Donc on avait envie de le faire car c'était lié à la sortie de ces disques, ouais, et parce qu'humainement on avait envie de le faire. Ce qu'en pense les autres de ma musique, de ce que je fais et de comment je le fais, perso' je m'en carre complet. Je joue pour moi, je tourne pour moi, je fais des disques pour moi, j'écris pour moi. Point. Bon, ça me fait super plaisir quand on me dit "j'aime bien ce que tu fais" ou "j'ai trouvé le concert cool" mais ce n'est pas le but premier, le but premier c'est de vivre des expériences, de bouger, d'essayer, de faire, de construire, de vivre quoi.
Sylvain : Je n'ai pas tout à fait le même point de vue mais je comprends ce que Sam veut dire. Quand on s'est retrouvé dans le local, on s'était fait un petit listing des morceaux qu'on allait dégrossir. On était sensiblement sur les mêmes trucs, et il y a des morceaux que les gens attendaient qu'on a décidé de ne pas faire, car on n'a pas envie de se prendre la tête à jouer des trucs qui ne nous procuraient pas/plus de feeling. On a donc un peu écrémé. On a fait cette liste de titres, on a répété ces songs, ces cinq dates vont passer et on va reprendre nos life. C'est plaisant de remettre tout ça au goût du jour.
Sam : Après, si la première répète avait été catastrophique, on se serait dit "Wow, ça va être vraiment chaud". Mais comme je l'ai dit, tout le monde joue encore... C'est pas comme si tu appelles Nono qui est bassiste et qui revient de nulle part, qu'il n'a pas touché une basse depuis je ne sais combien de temps, ça peut arriver dans certains bands qui se reforment. Chez nous, tout le monde fait encore de la scène, et, en plus, on a tous rejoué ensemble. Pas dans les mêmes groupes, mais on a tous rejoué ensemble : Sylvain a joué avec John (Napoleon Solo), avec Lutin (Generic), moi j'ai joué avec Fred (Lost Cowboy Heroes, Teenage Renegade, Billy Gaz Station, Simon Chainsaw), j'ai aussi rejoué avec Sylvain (sur le premier album de BZP).
Sylvain : On savait forcément que ça allait fonctionner.
Sam : Dans ce contexte, il n'y avait pas une grosse prise de risque au niveau de la cohérence.
Sitôt le concert terminé, on se retrouve dans les loges pour "ricaner" comme à la grande époque, comme quoi, rien ne se perd. Et quand on a le plaisir de passer un peu de temps avec Kaiser (producteur du dernier album des Rate et responsable de l'enregistrement d'une poignée de titres des Flying Donuts) et un routier qui ne roule pas que du bitume, tout se passe bien.
Vendredi 2 mai : moins d'excès, plus de repos : nous voilà requinqués pour affronter une nouvelle journée qui s'annonce dantesque. Lyon est notre destination, plus précisément le Ninkasi, énorme complexe se situant dans le quartier de Gerland et disposant d'un bar immense, de salles de restaurant, d'une grande salle de concert et d'un côté "club" pouvant accueillir plus de 300 personnes. Ce soir, le concert est gratuit, et bien évidemment, l'endroit sera plein comme un œuf. Pas beaucoup de route entre Chalon et Lyon, on arrive tranquillement, on se pose un peu et on recharge les batteries.
Les Flying Donuts vont de nouveau rejouer dans son intégralité leur premier album sorti il y plus de dix ans. Un album paru à une époque où Internet commençait à se démocratiser et où tous les moyens actuels de communication n'étaient pas aussi développés qu'aujourd'hui. Une époque où Bandcamp, We Transfer et Myspace (ne parlons même pas de Facebook !) n'existaient pas, et où la K7 avait encore une (courte) espérance de vie. Nostalgie ?
Benjamin : Moi, non, absolument pas.
Jérémie : Moi oui, car il y a beaucoup plus d'imposteurs aujourd'hui. C'est un paradoxe car Internet est un bon moyen de communication mais il y a beaucoup d'imposteurs aujourd'hui, que ce soit des musiciens, des organisateurs. Mais là, tu as la vision du mec qui n'a jamais décroché un téléphone pour trouver un concert, je ne l'ai jamais fait.
Minmin : Aujourd'hui, on a des moyens pratiques mais il faut les prendre comme ils sont, ça ne remplace pas tout non plus et oui, ça t'évite peut être d'envoyer des disques à un certain moment où tu peux envoyer un support digital pour ceux qui l'acceptent.
Sylvain : Dans les années 90, ça te forgeait de faire cette démarche. Tu faisais de la musique, tu voulais jouer, et tu savais que tu devais te sortir les doigts du cul, mettre sa démo dans sa petite enveloppe kraft, rappeler la salle...
Sam : Des fois, le mec écoutait ta démo devant toi, vraiment chelou, genre un rituel sacré ! (rires) Au début, on allait dans les cafés-concerts de cambrousse, on avait pris rencard avec le taulier ou la taulière, on arrivait tout penauds. "Je vous sers un café les jeunes ?", le mec écoutait, et nous on était là, comme des cons, à attendre le verdict. Après, le gars balançait "Bon OK, on cale quand ?" et là, il sortait son planning "Ca va les jeunes le 15 décembre ?" "Ouais ouais, on est dispo", let's go (rires). A l'ancienne, quoi ! Donc ça, ça faisait partie du truc, ce rituel de la recherche de concert. Avec Second Rate, on fait partie de la dernière génération de groupes dont le parcours à suivre était clair, c'était "tu répètes au local, tu sors une démo. OK. Tu vas jouer dans des spots locaux, tu fais des premières parties. Ensuite, tu sors un 45 tours. Ensuite, tu sors un mini CD. Et seulement après tout ça, tu sors un album si la sauce prend". Voilà l'ordre des choses dans les 90's, les différentes étapes à suivre...et je pense qu'on fait partie de cette toute dernière génération qui fait le pont entre les 90's et les années 2000. La manière de faire a beaucoup changé, c'est sûr. Et nous, on a connu tous ces supports, K7, split single, EP, du vinyle quoi, et ensuite 4 titres sous forme de MCD car on n'avait pas de thunes pour faire un album complet correct, il nous fallait d'abord une carte de visite. Et là, t'étais mûr pour franchir le cap du premier album. Et après notre génération, les cartes ont été brouillées, tout s'est accéléré : tout le monde sortait un album directement, avec du merch tout de suite. Mais est-ce mieux ou moins bien ? Je n'en sais rien, c'est juste que notre génération fonctionnait différemment. Et les générations précédentes, c'était encore un peu différent, encore plus galère pour sortir un truc potable.
Sylvain : Après, le support actuel est plutôt sexy. C'est facile : tu es chez toi, tu te lèves en slip, bing, t'envoies tes trucs, tu es pas obligé de faire des démarches longues et douloureuses, financièrement parlant, pour faire passer ta musique. Sauf qu'effectivement, il y a pleins d'autres mecs qui le font aussi depuis chez eux, et qui eux arrivent avec un bon facing, un bon concept, à vendre du rêve aux gens et forcément, il y a de la pollution, du parasitage.
Sam : Il y a plus de monde sur la route et dans les bacs, mais paradoxalement, comme je le disais dans la question précédente, il y a moins de groupes sur lesquels tu tombes encore et toujours. Comme je le disais tout à l'heure, tu jouais dans le nord et quinze jours après, tu retrouves un band dans le sud : "Oh les gars, vous êtes là aussi ?!".
Sylvain : Les groupes des 90's avaient cette envie d'avoir cette espèce de reconnaissance des plus vieux. Ce qui me motivait, c'était de faire comme tel ou tel groupe, monter dans un camion, partir...
Sam : Comment ont-ils fait, ces groupes ? Nous on regardait derrière, on ne regardait pas devant. On n'essayait pas d'être originaux et de casser la règle du jeu : on regardait quatre ans ou cinq ans en arrière, c'était la génération des Thugs, Burning Heads, Portobello Bones, Seven Hate, Sixpack, Bushmen, des groupes que l'on a d'ailleurs rencontré sur la route avec Second Rate. Comment ils faisaient, eux ? C'est la question qu'on se posait et on dupliquait leur technique ! (Rires) Les premiers "gros" groupes qu'on a rencontré, c'étaient ces groupes-là. On avait les yeux et les oreilles ouverts, à l'affût. Ils faisaient comme ça ? Ok, on va faire pareil ! Dès le début, on a vu que ça bricolait, que ça tenait à rien toute cette scène, et dès le début on s'est dit qu'on pouvait bricoler aussi. Quand on parle de Second Rate, aujourd'hui chez certains zineux ou certains activistes, j'ai l'impression que certains mecs ne font plus la différence entre Burning Heads, les Thugs et Second Rate !!! Dans le même panier ! Attention, ce n'est pas la même division au niveau popularité ! On est venu bien après, on se revendiquait de ces mecs, pas de leur zique forcément, mais de leur façon de faire. Certains mecs plus jeunes mettent ça dans la même case, mais je le redis, ce n'est pas la même génération ni la même catégorie.
Tout change, donc. Mais est-ce que les acteurs gravitant autour de cette scène dite "indé" ont aussi changé depuis le split de Second Rate en 2003 ?
Benjamin : Les gars ont moins de cheveux ! Qu'est-ce qui a changé ? Pas grand-chose. Après, les asso' sont différentes, le public est un peu différent, mais au final, c'est toujours un peu la même chose.
Sylvain : Je me permets une question : vous vous apercevez que c'est toujours les mêmes mecs qu'il y a dix ans qui vous faisaient tourner, ils sont toujours là ?
Benjamin : Non, justement, beaucoup ne sont plus là mais il y en d'autres qui prennent le relais. Après, on se rend vite compte que les deux dernières années avant la sortie du nouveau disque, on ne s'est pas arrêté, on a toujours répété, mais on a pas tourné, ne faisant que très peu de dates, et là, tu perds très vite le fil des contacts des gars. Les mecs qui organisent, les mecs des groupes, changent pas mal car ce sont souvent des activistes qui jouent dans des groupes.
Sam : Mais là je pense que c'est différent. Il y a douze ou quinze ans, c'était plus un "tissu associatif", où tu avais un mec qui te contactait, ses potes lui filaient un coup de main, sa copine avait préparé à bouffer, le p'tit costaud du coin faisait la sécu', le groupe d'un des gars chauffait les planches, etc. Maintenant, depuis MySpace grosso modo, c'est souvent un seul mec qui gère. Tu deales avec un activiste ou un mec isolé. Quand on a commencé avec Second Rate, c'était majoritairement des asso', cinq ou six mecs qui t'attendaient et qui t'accueillaient : "Salut les gars, moi je fais les lights, moi j'ai préparé la bouffe, moi j'ai affiché, moi je fais le son, etc."
Benjamin : Tout dépend où tu joues. La semaine dernière par exemple, on a joué dans un fest' de cambrousse, c'était complètement ça : les mecs étaient pas associatifs car ils n'avaient pas le support, mais c'était toute une bande de potes qui avaient tous un boulot différent.
Sam : Maintenant, c'est souvent un mec qui a un groupe. Et la "scène", globalement je dirais, a relativement changé je pense. Et c'est souvent les mêmes groupes qui jouaient à l'époque, que l'on rencontrait aux quatre points cardinaux. Il y a encore beaucoup de vieux sur la route en fait. Avant, pour faire la promo de ton disque, tu n'avais pas les sites, les machins, les bidules, il fallait que tu joues, tu imprimais des flyers, tu bricolais un truc avec le mec de ton label et let's go. Et il y a des mecs de notre âge qui sont toujours là, ils tournent peut être moins mais moi je vois souvent les mêmes gueules en fait... Il y a moins de jeunes, non ? En tournée j'entends. Avant, tu allais jouer à Niort, et deux semaines plus tard, tu étais à Toulouse, et tu tombais sur le même band ! On s'est rencontré comme ça à l'époque avec une partie de la clique Emo Glam Connection. Mais là, du coup, c'est rare de tomber deux fois sur un même groupe sur une même tournée, un groupe de jeunes je veux dire, la nouvelle scène punk hardcore. Alors, peut-être qu'ils vont davantage jouer à l'étranger, dans les pays de l'Est, etc... Car avant, ça se faisait moins, voire pas du tout. Avant, quand tu partais jouer à l'étranger, c'est que tu avais un contact à l'étranger, un label, un tourneur, une connexion, c'était super rare et ce concernait qu'une poignée de bands. Aujourd'hui, tu as la moitié des jeunes groupes qui vont jouer dans les pays de l'Est alors que les mecs n'ont encore pas tourné en France, ou ne compte pas tourner en France, tout simplement... et les mecs te disent : "En France, ça craint on ne peut pas tourner". Bizarre...
Comme on avait pu le penser, c'est la foule des grands jours au Ninkasi. Je reconnais quelques têtes croisées à Besançon (Dan Kerosène, Guillaume Circus...), des gars du cru (l'équipe du Warmaudio, Forest Pooky...) et pas mal de fans de rock en général. Les Flying Donuts, pour leur deuxième set LSL, déroule un concert high energy. Le public qui connaît le groupe est coutumier du fait, mais prend plaisir à entendre les chansons du premier album dont certaines, à ma connaissance, ont été très peu de fois jouées sur scène. Au rappel, les Flying enverront un "Back off" de folie et termineront sur un "I'm gonna kick your ass" de haute volée.
Les Second Rate s'affirment de plus en plus sur scène pour mon plus grand plaisir. Le rock n'est pas qu'une histoire d'apparence, mais la perception que nos cinq Bisontins se fassent plaisir sur scène est de plus en plus flagrante. C'est la troisième fois en trois jours que j'écoute les morceaux magiques des Rate, et je viens à m'en dire que je ne m'en lasserai jamais. Pourtant, toutes les bonnes choses ont une fin, et alors que Paris s'approche à grands pas, il est presque temps de quitter pour toujours ce groupe qui a marqué mes vingt ans. Rien que ça.
Samedi 3 mai : après des calculs savants pour déterminer le nombre d'heures de sommeil qui seront nécessaires pour terminer dignement les quatre dates tout en profitant un maximum de nos amis Lyonnais (et même Suisses, salut Peg !), l'équipe des Flying Donuts prend la route direction Montreuil, en banlieue parisienne, après une trop courte nuit. Mais l'excitation de terminer en beauté avec, s'il vous plait, The Rebel Assholes et Dead Pop Club nous requinque. Il faut dire que les Rate (et les Flying) ont partagé énormément de plateaux avec Dead Pop, partageant des tournées et même des disques. L'Emo Glam Connection vient de ces deux groupes liés comme les deux doigts de la main. Un esprit de famille en quelque sorte, que le label Kicking Records, dans une logique parallèle, brille à faire perdurer.
Sylvain : C'est une espère de continuité. Après, l'esprit de famille est peut-être plus difficile à voir comme on avait pu l'avoir à l'époque car on se croisait beaucoup plus. Après, il y a des labels comme ça qui existent et qui font vivre l'esprit.
Benjamin : Emo Glam Connection n'était pas un label mais plusieurs personnes se regroupant pour faire des choses ensemble. Kicking (fest, records,...), c'est une seule personne, Mr Cu!, qui sort des disques des groupes, et pour la promo de ces disques-là, il rassemble tous ces groupes. Après, on s'entend tous bien.
Sam : Ce gars, Mr Cu !, est de la génération des $heriff, OTH et tout ça. Il tournait avec eux à l'époque. Dans ce qu'on jouait, on était influencé par des trucs californiens mais aussi par la scène du Midwest, et c'est là qu'on voulait aller, ça et la scène française des darons. Cu!, c'est pareil : il aime autant SNFU que Portobello Bones ou Sleeppers. C'est cet esprit qu'on appelait le "rock indé" avant que ça ne devienne une insulte. Aujourd'hui, c'est un terme que je n'aime plus du tout, qu'on utilise pour la musique, comme un style prédéfini. "Je fais de l'indé". ça veut dire quoi ? Mais ça s'appelait "rock indépendant", "scène indépendante", il y avait un truc autour de ce terme, c'était une alternative à un rock de major, à de la zique pourrie et sans âme. Maintenant, quand tu dis ça, c'est super générique et ça ne veut plus rien dire, le terme "indépendant" est totalement vide de sens de nos jours... tout le monde est indépendant.
Sylvain : Rock indé, c'était vraiment un style musical en plus.
Sam : Pour la clique Emo Glam Connection, c'était ça et c'était aussi sur un délire quand on voyait tous ces groupes de daubes, ces street team dans le néo metal de l'époque, c'est venu de ça. Une parodie, un pastiche, clairement. Genre, ça ne veut rien dire ! On a fait quelques soirées, des concerts, des compilations, mais ça n'allait pas plus loin que ça. Des gens avaient l'impression que c'était un truc méga organisé, quasi une secte, pire, un truc d'intermittents du spectacle (rires). En fait, c'était un délire, juste une poignée de groupes issus de la scène punk rock mélo française qui se refourguaient des plans.
Minmin : A notre niveau, ça nous a permis, même si on existe depuis 1996, de faire nos premières dates avec les Rate, de rencontrer ces gars qui étaient un peu plus âgés que nous. Du coup, il y avait plus de connexions, ils arrivaient plus à sortir de chez eux, et c'est Sam, avec son label Vampire Rds, qui nous a un peu poussé à l'époque et qui a sorti notre premier album.
Sam : Mais c'était trois fois rien. Juste aller dans les villes où on jouait et dire : "Tiens, hier, j'ai joué avec Flying Donuts, j'ai trouvé ça mortel". C'est juste ça. Le mec notait l'info dans un coin et quand il écoutait le disque des FD, il disait : "Ah oui, effectivement, le skeud Last straight line, ça défonce".Je n'ai rien fait d'autre pour ce disque, à part en parler dans des interviews, mettre le skeud sur notre stand, écrire quelques reviews ici et là, et leur donner quelques contacts pour jouer en France et pour poser leur disque dans des distros. Je n'avais pas de blé, je ne pouvais pas faire plus. Il y avait quelques têtes qui sortaient, genre Dan Kerosène par exemple. Si tu étais dans les petits papiers de Dan dans cette scène, ça faisait du bien, car Kero, c'était une sorte de Bible du rock indé, noise, punk mélo, hardcore, etc... Une page dans Kero et bam tu recevais quelques commandes de disques et des mecs te contactaient, t'invitaient à jouer ici ou là. A la fin du magazine, Dan jetait le nom Second Rate toutes les quatre pages (rires). Bah, ça nous a bien aidé, il faut le dire clairement. C'est comme ces groupes de hardcore ou un peu plus bourrins qui étaient épaulés par Overcome. C'est la même chose. Kero, c'était l'Overcome de la scène indé et du punk mélo. Ca avait le même poids en France. Donc, dans le hardcore, si tu avais David d'Overcome dans la poche, tu étais bien. Et de l'autre côté, si tu avais Dan, c'était nickel. Ca tombe bien, on était le groupe préféré de Dan ! (rires)
Après un chemin long et tumultueux pour rejoindre la région parisienne, c'est donc la "famille" qui se réunit à la Pêche de Montreuil. En exagérant un peu, c'est un choc générationnel qui se présente devant moi entre un groupe ressuscité pour une poignée de jours (les Rates donc), deux groupes issus des 90's toujours dans le circuit (Dead Pop Club et Flying Donuts) et une formation qui vient de fêter ses dix ans (The Rebel Assholes). Peu de groupes ont survécu à l'âge d'or du rock indé français, et même si les Burning Heads sont toujours dans la course (nouvel album à paraître à la rentrée), les Flying Donuts ne se sentent-ils pas un peu seuls aujourd'hui sur la route ?
Benjamin : Non pas spécialement, justement, on trouve qu'on s'en sort pas mal. Cu! est arrivé après, mais c'est toujours comme ça : des connexions, tu tombes sur des gens avec qui ça se passe bien et qui ont envie de bosser avec toi. On peut en citer pleins : Peg de GPS Prod, Dan Kero,...
Sam : Peg, on l'a croisé sur la dernière année de concerts des Rate, dans le public, en Suisse. Et c'est ce genre de mec qui venait acheter des disques, qui grattait dans les bacs du stand, qui discutait avec nous aux shows. Et trois ans plus tard, c'est le mec qui te fait jouer avec ton nouveau groupe, et cinq ans plus tard, c'est l'activiste principal de sa ville qui organise de gros shows avec de la pointure ricaine et 10 ans plus tard, il est toujours là, à filer des coups de mains pour sortir des skeuds, à bricoler. Sans Peg, jouer à Genève, c'est compliqué. Je ne veux pas dire qu'avant, dans chaque ville, il y avait un mec comme ça, mais presque ! C'est en baisse, ou alors c'est une nouvelle scène peut-être, il y a un fossé générationnel quand même.
Benjamin : Oui, c'est ça. Beaucoup de gens se renouvellent, et on ne les connait pas. Franchement, quand on n'est pas en tournée, je ne regarde pas ce qui se passe dans telle ou telle ville.
Sam : Yes, après c'est sûr, on est resté un peu sur nos acquis... Mais bon, est-ce que moi, ça m'intéresse d'être tout le temps avec des gamins de 22 ans ou de dealer avec des gars de 22 ans pour des concerts ? Honnêtement non. Je préfère qu'un organisateur soit de ma génération, qu'on soit sur la même longueur d'ondes sur plein de trucs. Quand tu as quarante piges et que tu es encore sur la route comme quand tu avais 20 piges, et que tu tombes sur des gamins, il y a un fossé générationnel, c'est évident.
Benjamin : Après, ça peut être très intéressant, ça peut très bien se passer mais du coup, le fait de prendre de l'âge, on ne s'intéresse pas forcément à ce que fait la génération qui vient après.
Il n'est pas loin de 20h30 quand Dead Pop Club monte sur scène. Comme à leur habitude, Olive, Duwick, Gui et Jer en mettent pleins les yeux et les oreilles à un auditoire plus attentif que démonstratif. Home rage a les faveurs de la setlist, et c'est un réel plaisir de revoir ce groupe qui ne se produit plus assez sur scène. Les Rebel Assholes, aguerris des tournées, sont également en forme, et notamment un Jean Loose qui cassera deux cordes sur deux guitares différentes lors du premier morceau ! Le quatuor déroule un set énergique, rapide et efficace. La relève est assurée, c'est certain. Les Flying Donuts crèveront une nouvelle fois l'écran, en proposant un set Last straight line ultra énergique au son puissant et aux lights généreuses. Je prends de plus en plus de plaisir à réécouter ce disque qui a aussi bonne place dans ma rockothèque. Tiens d'ailleurs, après ces trois concerts "souvenirs", qu'évoquent aux Flying Donuts les réunions ou reformations éphémères de groupes comme les Rate ou les $heriff ?
Benjamin : Ca ne nous inspire pas grand-chose. ça nous fait surtout plaisir de rejouer avec les copains et de faire des dates avec eux. Après, je n'ai pas spécialement d'avis sur la question. Quand j'ai appris que les gaillards se reformaient pour cinq dates, ça m'a fait plaisir. Après, je sais pertinemment qu'ils n'essaient pas de remonter un truc pour voir s'ils peuvent le refaire plus tard. Je sais qu'ils sont tous passés à autre chose. Mais je suis content de revoir ces morceaux-là, quelques années après, car ça me rappelle plein de choses, comme pour beaucoup de gens qui viennent pour partager ce moment-là ensemble. Le fait de jouer avec les $heriff, c'est encore un autre délire car ce sont des mecs qu'on ne connaissaient pas, c'est une autre génération, bien avant nous. Le premier concert quand j'avais quatorze ans, c'est les $heriff. Comme le disait Sam, c'est en voyant des concerts des $heriff que ça m'a donné envie de faire de la musique et du punk rock, car c'est quelque chose qui m'attirait. Et à cette heure-ci, jouer avec eux, c'est quelque chose. J'étais comme un gamin de douze ans quand je suis allé voir le chanteur pour lui dire : "Hey mec, le premier concert que j'ai vu, j'avais les cheveux verts, j'avais quatorze ans, mon père m'a emmené". Pour moi, ça représente quelque chose. Après, c'est impressionnant, ça joue devant 1600 personnes car chez eux, c'est la messe, mais ça change pas grand-chose à la face du groupe : la veille, on était dans un bar de 50 personnes, et le lendemain aussi !
Le concert "parisien" de Second Rate se voudra aussi mélodique qu'énergique. Et même si Sylvain connaîtra une petite baisse de régime, c'est avec les yeux écarquillés et dans une salle suffocante où la chaleur insupportable en a fait transpirer plus d'un que je profiterai pour la dernière fois de ma vie à un show de Second Rate. Un concert encore une fois réussi. Une fois le concert terminé, c'est ambiance "Monster of Rock" dans les loges, la fête bat son plein, personne n'a vraiment envie de partir, on partage tous un bon moment. Il va tout de même falloir se quitter, alors je lance la question à cent balles : les Rate, quel est votre plus grand regret et votre plus grande fierté ?
Sylvain : Je ne regrette pas grand-chose. On a fait ce qu'il fallait faire au moment où il fallait le faire. Le dernier album est sorti de manière chaotique. Un meilleur enregistrement aurait été cool, mais voilà, j'avais pris des décisions juste avant de rentrer en studio, ça a changé la donne. Ce n'était pas prévu de faire machine arrière sur ce niveau-là. Moi, je ne regrette rien. Je suis fier d'avoir laissé une petite trace, qu'un mec vienne te taper sur l'épaule en disant "Je suis super content, je t'ai vu dans un autre groupe il y a dix ans, c'était cool, tiens t'as encore un skeud, fais voir...". Et ça, dix ou quinze ans après. C'est long dix ou quinze ans.
Sam : Tu es à 800 bornes de chez toi, il y a un gars qui vient te dire "mec, j'étais là en 99 dans le rade où vous aviez tout cassé, tu te souviens ?". Et le concert, il s'en rappelle, il a passé une bonne soirée. Ca l'a marqué au point que plus de dix ans après, il s'en souvienne, il te le dise et que ça lui fasse encore plaisir d'évoquer tout ça. Ma seule fierté, c'est ça. Le reste, euh... moi je suis fan de musique, je suis pareil que tous ces mecs ou nanas qui viennent nous dire des trucs cool au stand après les concerts. Quand j'étais plus jeune, je voyais des groupes jouer dans des rades ou des clubs, je regardais les mecs, ça me faisait de l'effet. Dans mon bled, c'était Original Disease. J'étais au lycée à l'époque, je savais qu'ils allaient jouer avec les $heriff, avec Mega City Four, avec DOA, etc.. ils avaient un peu de presse nationale, ça me faisait rêver....j'étais comme un fou. Je les voyais dans le bar du bled, pour moi c'était des extraterrestres. Et Cu! était dans le lot. Maintenant, c'est un peu pareil, il y a des jeunes qui nous regardent et se disent "Ouah, ces gars-là, ce sont les gonzes de Second Rate" alors qu'on a certainement des tafs plus pourris qu'eux et qu'on joue certainement moins bien qu'eux. (rires) C'est un peu décalé des fois. Mais il y a cette fierté d'avoir enregistré des disques avec des potes qui sont toujours là et le truc s'écoute encore. C'est loin d'être parfait mais c'est encore solide et ça procure encore des sensations aux gens car la musique, c'est ça en fait, c'est le truc ultime. Nous, là, en ce moment, sur ces dates, on se dit "Merde, le troisième break et l'intro de la song, on était un peu chauds quand même", mais tout le monde s'en tape, ce qu'ils veulent c'est voir ces 4 mecs jouer ensemble sur une même scène et envoyer ce vieux son emo punk du siècle dernier et se laisser submerger par cette douce nostalgie. Le break foiré, à la limite, il n'y a que moi que ça va empêcher de dormir (rires). Et finalement, la musique, c'est fait pour ça, cette histoire de sensations et d'émotions. Ca c'est important. Après, il n'y a aucun regret, c'est dommage d'avoir des regrets dans la vie, pour toute chose, pour toute période. La zique est faite pour avoir des souvenirs et des expériences, et ce groupe-là, Second Rate, ça nous a permis d'avoir vécu de sacrés trucs à un âge où c'est cool de le faire, vivre de sacrés expériences et d'avoir un paquet de souvenirs vraiment barges. ressentir de bonnes sensations, et en balancer aux autres aussi.
Second Rate est mort. Flying Donuts est plus que vivant. Huit musiciens qui ont connu le DIY et le bricolage des 90's, huit musiciens actifs qui connaissent le métier, même si pour eux comme pour nous, le rock 'n' roll n'est qu'un divertissement. Ces gars ont foi en leur passion, une passion où les relations humaines sont aussi importantes que la qualité de la musique. Un exemple à suivre, assurément.
Remerciements spéciaux à Sam, Sylvain, Jon, Lutin, Billy The Kill, Mitch le comptable, Lulu, Benjamin, Jérémie, Manu, Quentin, Milou. Remerciements généreux à Christian Ravel, Mr Cu! et Dude, Frantz, Vava, Jean Loose, Jean Rem et le Rebel Assholes Crüe, Olive, Duwick, Jer, Gui, mon frangin Louidje et la Dead Pop Family, Gros, Amandine, Mighty Worms, Nico et la Rodia, Rémiii, Elise, Seb et l'équipe de la Péniche, Fabien Hyvernaud et le Ninkasi Café, Dan, Peg, Guillaume Circus, Forest Pooky, la team du Warm, Fanny, Coline, Mémèd et l'équipe de la Pêche, Ted, Lionel 442ème rue, Philippe, Bradley.
Photos : Christian Ravel