Originaire des États-Unis, Screamin' Jay Hawkins (1929-2000) est aujourd'hui considéré comme un génie du rhythm and blues. Il avait la particularité d'apporter dans sa musique et ses shows un genre loufoque posant les bases du shock rock. Incompris voire censuré dans son pays, il a rencontré le succès à l'étranger. Le disquaire indépendant La Face Cachée et le label Primitiv' Sounds ont récemment proposé de (re)découvrir le premier album de l'artiste : At home with Screamin' Jay Hawkins (1958).

Ce disque permet d'aborder les influences dans lesquelles Screamin' Jay Hawkins a puisé l'essence de sa musique. Sur douze titres interprétés, neuf sont des reprises. "Oranged colored sky" amorce l'album. Elle fait ressortir l'importance du jazz vocal dans la musique de l'artiste. D'ailleurs, cette version met déjà en évidence une voix puissante et hors du commun. Le tempo est plus rapide qu'à l'origine et le titre est agrémenté de quelques cris ajoutant une note sauvage. "Temptation" évoque l'influence des crooners américains comme Bing Crosby, tandis que les chœurs d'"I love paris" nous transportent dans une boule à neige. Le chant complètement habité domine chaque titre. Il devient parfois un scat un peu fou ou se transforme en cri animal. "Swing low, sweet chariot" revient sur un chant traditionnel de negro spiritual avec un jeu de réponse entre le chant principal et les chœurs typiques des origines du gospel. Sur "Ol'man river", Screamin' Jay Hawkins montre sa capacité à travailler le relief d'un titre. Dans un premier temps, il lui donne des allures de ballades séductrices avant de repartir dans un jazz plus mouvementé. "If you are but a dream" voit de belles envolées lyriques sur un fond de jazz tranquille. La reprise de "Take me back to my boots and saddle" présenté sur cet album a sans doute influencé des artistes comme Ray Charles quelques années plus tard. C'est en effet du pur rhythm and blues qui transpire de ce titre. "Deep purple" n'a aucun espèce de lien avec le célèbre groupe de hard rock britannique. En réalité, c'est à nouveau les influences du jazz vocal qui ressortent ici. Bien sûr, Sreamin' Jay Hawkins rend hommage en creusant l'intention, en poussant la passion. Sous la patte de l'artiste, "You made me love you (i didn't want to do it)" passe de l'esquisse à l'œuvre. Tout prend une autre dimension dans ses interprétations.

At home with Screamin' Jay Hawkins, nous permet également de revenir sur son titre le plus connu : "I put a spell on you". Parfois censurée, la chanson aura donné lieu à des représentations épiques. Le chanteur devenait homme de théâtre en se transformant en sorcier avec cape, fumées et tête de mort à l'appui. Jouant une partition superbe, les saxophones sont mis en lumière. Toutes les capacités vocales du chanteur explosent dans ce titre où il semble possédé de bout en bout. Dans les années 60, il y avait sans doute de quoi faire peur à plus d'une personne. Une flopée d'artistes tous plus connus les uns que les autres reprennent cette composition. Sans que la liste soit exhaustive, on peut citer Nina Simone (1965 - I put a spell on you), Marilyn Manson (1995 - Smells like children) et Dionysos (2003 - Whatever the weather). Ressemblant à s'y tromper au titre phare de l'artiste, "Honk hong" a la particularité d'avoir un chant complètement fou. L'utilisation du scat est dominante. Elle est de temps à autre envahie par ce qui ressemble à des imitations d'accent asiatique. Bien que l'instrumentale propose à nouveau une belle composition, le chant est complètement hors cadre pour son époque (et encore un peu aujourd'hui). Troisième et dernière composition proposée, "Yellow coat" balance grave et peu enflammer la piste de danse. Nous ne sommes plus très loin du rock.

Son excentricité aura fait sans doute passer cet artiste au second plan à son époque. Lui-même aura mis parfois sa carrière en parenthèse. Aujourd'hui, c'est une opportunité superbe de revenir sur At home with Screamin' Jay Hawkins. Les reprises viennent comme des témoins de la culture musicale de quelques décennies. L'album illustre également les influences créatives d'un musicien qui aura largement inspiré le monde du rock. Jetez une oreille, vous n'en sortirez plus.