Guillaume Circus m'avait prévenu quelques jours avant : il pouvait débloquer un pass photo pour le passage de Pup à Paris. Ma demande officielle étant restée à moisir sur ma to-do list car après avoir lancé la demande lors de l'annonce de la date, le "tourbillon de la vie" m'était passé dessus, je saute sur l'occasion. Rendez-vous à La Bellevilloise donc, un dimanche soir, pour voir Pup, groupe culte du punk canadien originaire de Toronto. Groupe que j'avais écouté à leurs débuts quand les Inrocks parlaient encore de rock mais que j'avais laissé filer en dehors de mes radars depuis une décennie. À tort...
Illuminati Hotties
J'arrive bien en avance, et pourtant la salle est déjà remplie. Pas blindée comme un concert de stade, mais pleine à craquer d'un public qui n'a rien à prouver. Le microcosme punk parisien est là dans ses deux extrêmes : Mss Frnce, Guerilla Poubelle... Pup a au moins ce mérite : celui de rassembler la scène, et même au-delà. J'ai découvert Illuminati Hotties avant de venir. Et le son californien sent bon l'été. De quoi ouvrir avec classe la soirée pour Pup. Pas de crash photo. La fosse est déjà compacte 30 minutes avant l'ouverture du show. Je me cale côté gauche, avec une cheville encore rancunière depuis un concert de Filter en mars 2024. Spoiler alert : pas question d'aller au front. Le public est chaud bouillant, ça pogote déjà et mon matos n'a pas signé pour finir au sol. Illuminati Hotties n'est pas un simple projet indie rock : c'est une zone franche, un laboratoire libre dirigé par Sarah Tudzin, musicienne et ingénieure du son de formation. Déjà remarquée pour son travail derrière la console auprès de Slowdive, Weyes Blood ou The Armed, la Californienne s'affirme ce soir à Paris en tant que frontwoman. Face à un public déjà bien fourni pour une première partie, elle livre une prestation dense, abrasive, parfois crue, toujours précise et bien plus rentre-dedans que sur disque en gardant le côté sing-along.
À 20h tapantes, le groupe prend place sans fioritures. Le set s'ouvre avec "Can't be still", titre court et minimaliste qui fait office d'intro atmosphérique, avant de glisser sans transition vers "Falling in love", moment de tension pop qui laisse poindre les aspérités de ce répertoire souvent qualifié d'emo slack rock ou de "tenderpunk". Le morceau "The L" achève de poser les bases : riffs secs, chant clair-obscur, breaks inattendus, textes à la fois désabusés et frontaux. Après ce titre, Sarah se lance « Hi, we're Illuminati Hotties », balancé avec sourire et retenue, la tension monte d'un cran. Elle nous dit qu'elle est heureuse d'être à Paris que tout le monde à l'air gentil... Oui, c'est dimanche, attends de voir le périph le lundi matin... Elle sonde le public pour savoir qui les avait vus au Supersonic, il y a quelques années... Trois personnes, mais le reste de la salle est aussi là pour eux et c'est assez communicatif. Elle dit qu'elle ne se sent pas de parler en français, mais arrive tout de même à communiquer avec le public. Ce dernier adhère franchement dès "You're better than ever", issu de l'album de 2018 Kiss yr frenemies, mais c'est surtout "Pool hopping" qui provoque une première vague de mouvements dans la fosse : le groove est immédiat, la batterie martèle un mid-tempo nerveux, et Sarah Tudzin semble ici dans son élément - dynamique, tendue, concentrée, mais visiblement heureuse de terminer la tournée dans cette salle. Les morceaux s'enchaînent sans bavardage inutile : "Joni" ralentit le tempo mais conserve la charge émotionnelle. "Content//Bedtime" puis "777", tout droit sorti du nouvel EP à venir, creusent dans les textures sonores et les dissonances, flirtant avec un post-punk teinté de douceur lo-fi. Il ne s'agit pas de virtuosité, mais de justesse. Chaque montée en puissance est contrôlée, chaque rupture travaillée, sans que la spontanéité n'en pâtisse. Puis vient une surprise, Sarah nous donne un cours de chant et nous apprend les paroles du refrain pour que le public fasse les chorus de la prochaine chanson. "I'm always letting everyone down / I'm always letting everyone know I'm down / Mhmm..." ; le groupe peut attaquer "Freequent letdown", une pièce centrale du répertoire de Illuminati Hotties. Et c'est là que tout bascule : pour "Wreck my life", Sarah Tudzin appelle sur scène Stefan Babcock, frontman de Pup, pour un duo aussi explosif qu'imprévu. Le public explose dès les premières paroles « your favorite band is full of shit ». Les deux voix, contrastées mais complémentaires, se répondent avec rage, et cette collaboration inattendue donne au morceau une force scénique inédite. Le nouvel EP sort dans quelques jours... il nous tarde de l'écouter. S'ensuit une séquence de remerciements, sobre mais sincère (l'équipe, Pup, Paris), avant d'attaquer la dernière salve : "Superiority complex", à la structure accidentée, puis "Free ppls", dont les paroles scandées résonnent fort dans la salle. Le public tape dans les mains, bouge, hurle parfois. "Mmmooo", au bord du chaos, déborde presque de la scène, et "Didn't", dernier morceau, conclut le set avec une forme d'élégance tordue. Pas de rappel, pas de surenchère. Illuminati Hotties aura réussi à transformer ce qui aurait pu être une simple ouverture de soirée en véritable performance scénique, intense et incarnée. La Bellevilloise, pleine à craquer, aura vibré au rythme d'un groupe qui, derrière une façade un peu foutraque, cache une rare maîtrise de la tension et de l'émotion.
Pup
Le temps d'aller chercher des bières, le public est déjà de retour et encore plus compact... J'oublie encore une fois la possibilité de naviguer pour prendre des photos compte tenu de la réputation scénique de Pup. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Mes souvenirs de leurs débuts s'étaient noyés dans le brouillard d'un alzheimer musical précoce, et leur dernier album me semblait loin des premières salves avec des chœurs que n'auraient pas reniés les Beach Boys en 2025. Mais une réputation scénique pareille, ça se vit. Le concert démarre sec, avec "No hope" et "Olive garden", deux morceaux tirés du dernier album Who will look after the dogs?. Une mise en bouche énergique qui annonce la couleur : sueur, pogo, sing-alongs. Stefan Babcock, le chanteur-guitariste, s'adresse à nous en français dans un premier temps avant de switcher en anglais : « Ce que je vais dire est important. Si vous faites un malaise, si vous n'allez pas bien, tournez-vous vers votre voisin. Les fans de Pup sont à 98 % des gens bien. »
La classe. Tu croiserais le groupe dans la rue, tu ne devinerais pas qu'ils sont des têtes d'affiche dans le monde punk : Stefan, Nestor Chumak (basse), Steve Sladkowski (guitare lead) et Zack Mykula (batterie) forment un quatuor soudé, sans frime, sans poses. Des potes d'école qui ont gardé l'essentiel : le plaisir de jouer ensemble. Pas de barrière de sécurité. Pas de place pour jouer au héros avec un téléobjectif. La salle est devenue un chaudron. Le set évolue avec générosité, piochant dans toute la discographie du groupe, c'est un vrai panorama de leur carrière. Des brûlots du premier album comme "Guilt trip" ou "Dark days" aux hymnes cathartiques de The dream is over ("DVP", "Sleep in the heat", "If this tour doesn't kill you, I will"), en passant par les perles mélodiques de Morbid stuff ("Kids", "Free at last", "Scorpion Hill"), chaque époque du groupe est représentée avec une fluidité déconcertante. Le public connaît chaque ligne, chaque break, chaque mot. Et bien sûr, le nouvel album est largement à l'honneur (7 morceaux), avec "Concrete", un de mes préférés de ce dernier opus, "Get dumber", "Hunger for death", ou encore le puissant "Paranoid" avec un petit moment de complicité avec Zach et Jake de Illuminati Hotties, qui viennent prêter main-forte sur un titre, ambiance franche camaraderie. Nestor semble heureux débarrassé de sa quatre cordes et s'agrippe comme un môme au pied de micro en chantant. Aucun morceau de The unraveling of PupTheBand ne semble vraiment manquer, si ce n'est un "Totally fine" joué presque en clin d'œil, comme pour cocher la case. Le public réagit au quart de tour, chaque morceau devient une incantation collective. Sur "DVP", repris en chœur comme un hymne, on croirait assister à un match dans un stade. Stefan se lance presque en slam avec le pied de micro à la main qu'il tend à la fosse pour chanter. Stefan se marre alors que les chœurs se poursuivent après la chanson et au-delà... « J'ai oublié que je suis censé finir par ce morceau à Paris, merde... Fermez vos gueules, il reste six chansons, et je sais que la prochaine ne sonne pas comme ça... car je l'ai écrite avec mes potes ». Puis vient Sarah Tudzin, frontwoman des Hotties, invitée elle aussi à partager la scène sur le titre "Reservoir". Stefan précise qu'elle a collaboré sur leurs deux derniers albums, clin d'œil appuyé à cette fraternité punk. Entre les morceaux, nous échangeons des regards complices avec Circus quand par exemple Stefan traduit "Who will look after the dogs?" par "mais qui va regarder les chiens ? "... Touchant de sincérité. Parfois Circus me tape sur l'épaule en me faisant comprendre par un mouvement de main que la prochaine va déboiter (à la fois un "tiens-toi prêt, elle est géniale" et un "fais gaffe à tes appareils")... et il a bien raison tant le public arrive à aller des sing-alongs de gamine prépubère se croyant à un concert de K Pop à des pogos dignes de la Warzone...
Pas de rappel : "les encore, c'est stupide" lâche Stefan, dans un franglais qui fait mouche. Sur un ou deux titres, il tend le micro au public. Sur un autre, il donne carrément le pied de micro, comme pour dire : allez-y, c'est aussi votre show. Sur l'avant-dernier morceau, il finit par slammer avant de reprendre sa guitare pour un dernier morceau de bravoure. Il y a eu quelques malaises, rien d'étonnant vu la chaleur et la densité. Mais toujours ce réflexe collectif, cette bienveillance dans le chaos. Le public est déroutant : jeune, bobo, des vieux punks, des quadras qui connaissent toutes les paroles, et même des slammeuses quinquagénaires. Comme le dit Circus : « On se demande où se cache ce public-là le reste de l'année...». En sortant, je capte une conversation entre deux femmes : « Tu étais à Tokio Hotel ? », la réponse à la question de Circus est : « Le reste de l'année ce public est à des concerts où ne nous mettrons jamais les pieds »... étonnant de faire le grand écart à ce point... Pup, acronyme de Pathetic Use of Potential, prouve qu'il en a largement sous la pédale. Un concert généreux, furieux, humain. Un de ceux où tu ressors rincé, rincé mais heureux.
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Merci à Marina de Kinda Agency, Veryshow, Rafael de Ample Talentet surtout à Circus pour avoir géré la soirée d'une main de maître.
Photos : JC Forestier
Publié dans le Mag #66





