Primus - Green naugahyde Bon voilà, Green naugahyde, c'est d'abord l'histoire d'une chronique qui a failli (qui aurait du même...) ne jamais voir le jour. La faute à l'incompétence d'un chargé de promo missionné par le distributeur français du label Prawn Song pour assurer le relai auprès des médias. Le délire habituel : on envoie une requête auprès du label (qui est intéressé) qui transmet au distributeur (qui est intéressé) qui transmet au chargé de promo (qui ne répond pas). Un mois passe (on s'agace) puis un second (on s'agace encore plus), une relance plus tard et rebelote avec un mail un brin ironique envoyé par votre serviteur (qui n'a pas que ça à foutre non plus) auprès du distributeur (toujours intéressé) qui décide de prendre les choses en main et d'envoyer un CD par lui-même. 2 jours plus tard, le CD arrive, encore 3 jours plus tard, le CD est écouté, encore 10 jours plus tard, le CD est chroniqué. Voilà, tout ceci aurait donc pris largement moins de temps et occasionné bien moins d'agacement si seulement, il n'y avait pas eu de chargé de promo paumé au bon milieu d'une équation qui semble le dépasser.

Bon sinon, Green naugahyde, c'est également et surtout l'histoire d'un album qui marque le "retour" aux affaires d'un groupe quelques douze années après son dernier "long-play" en date (Antipop) et qui n'a donc rien produit depuis une bonne décennie à l'exception d'un EP Animals should not try to act like people paru en 2003. Les retrouvailles sont d'autant plus excitantes que l'on aborde ce nouvel opus avec un regard "neuf" sur l'œuvre d'un Primus qui reste assurément l'une des entités majeures des trois dernières décennies (en réalité 27 ans). Mettre de côté ce qu'a pu produire Les Claypool et sa bande est donc préférable, même si les comparaisons les plus hasardeuses ne manqueront pas. Normal. Toujours est-il qu'ici, le casting réuni autour de maître Claypool a plutôt de la gueule puisque si Tim "Herb" Alexander n'est plus de la partie, le génial bassiste/vocaliste est ici entouré par des membres de longue date de la tribu Primus : Larry LaLonde et Jay Lane. Et le résultat est au rendez-vous puisqu'après une intro on ne peut plus minimaliste ("Prelude to a crowl"), le trio met en branle le grand barnum funky avec un "Hennepin crawler" au feeling imparable et aux lignes instrumentales échevelées en même temps que Les Claypool fait ses "pattoneries" vocales, lui qui ne partage du reste pas que son jeu d'inflexion vocales avec Mike Patton mais également son goût prononcé pour la multiplication de side-projects (Frog Brigade, Oysterhead, Colonel Claypool's Bucket of Bernie Brains, Sausage, etc...). Un premier titre complètement décomplexé et déjà, la Primus-touch fait des ravages. Normal.

Les morceaux défilent et le groupe transforme son Green naugahyde en véritable "freak-show" sur lequel les titres virevoltent, passant de la fantaisie brillamment funky ("Tragedy's a' comin'") de très haute volée à la bizarrerie grand-guignolesque aux atmosphères troubles ("Last salmon man", "Eternal consumption engine"). Primus n'a plus rien à prouver depuis bien longtemps et son seul retour suffit à combler toute une communauté d'adeptes. Mais en grand gourou d'une certaine idée de la musique, Claypool fait bien mieux que se contenter de cachetonner et le fait d'autant plus que cet album sort par l'intermédiaire de sa propre structure et non une major. Même si tous les titres ne sont pas aussi aboutis (un "Eyes of the squirrel" en demi-teinte), d'autres sortent complètement de la norme à l'image du délirant "Jilly's on smack", petite merveille d'expérimentations barrées parsemées de fulgurances funky ou "Lee Van Cleef", hommage respectueux au monstre sacré du cinéma et notamment figure tutélaire du culte qui entoure le western-spaghetti cher à Sergio Leone. Mais point de référence évidente à un Ennio Morricone passé à la moulinette funk/rock/métallique ici, on penserait en fait plutôt à du Mr Bungle en un peu moins outrancier et borderline quand la suite, avec "Moron TV", repart sur les ressorts les plus électrisants d'un rock organique et exigeant, mais jamais verbeux ni inutilement égocentrique. Passant d'une ambiance à une autre, tout en restant fidèle à une ligne de conduite funambule, le trio se laisse aller à ses penchants les plus "sombres" avec l'énigmatique mais fascinant "Green ranger" avant de poser deux belles mines heavy funky sur l'addictif "HOINFODAMAN" puis un "Extinction burst" à la fois complexe et brutalement volubile. La dernière piste de l'album est une formalité qui tient en une petite minute ("Salmon men") et conclue avec classe un album de funk rock mutant et expérimental (mais pas que) littéralement ébouriffant. La grande classe.