Sorti en avril 2019, Itekoma hits n'est plus une nouveauté mais omettre d'en parler dans notre magazine aurait été une bien belle erreur. D'un article dans New Noise en novembre 2019 jusqu'à deux de leurs concerts début 2020 : 3 mois auront suffi pour faire d'Otoboke Beaver un coup de cœur majeur. Derrière des habits de scène et une esthétique pouvant présager un univers à la J-Pop, la proposition du quatuor de Kyoto détone et parcourt des horizons musicaux aux antipodes des musiques populaires. Tout au long de ses 14 titres issus en partie de sorties EP/single antérieures, Itekoma hits affiche ses penchants rock, post punk, garage mélodiques et dansants ("Datsu. Hikage no onna", "S'il vous plait", "Bakuro book") ainsi que son attrait pour des horizons punk noise furieux ("Akimahenka", "What do you mean you have to talk to me at this late date ?", "Anata watashi daita ato yome no meshi"). Tout cela ne manque jamais de groove notamment quand les lignes de basse mènent la danse ("Introduce me to your family", "Bad luck", "Don't light my fire"). Car même dans ses séquences les plus surexcitées, Otoboke Beaver est en permanence porté par une section rythmique diablement efficace. Impossible de ne pas évoquer la bassiste Hiro-Chan dont la précision sur des tempos souvent soutenus est sans faille : une partition exécutée en concert avec une aisance saisissante.
Les transitions sont brutales et chirurgicales, les variations permanentes. On ne laisse rien digérer sur l'instant car tout s'enchaîne très vite. Cela garde l'auditoire en alerte voire submergé par la multiplicité des aspects d'Otoboke Beaver à encaisser d'une traite. L'effet sans doute recherché est atteint : on a de suite envie de réécouter, de comprendre ce que l'on vient de recevoir en pleine face, jusqu'à en finir par répéter les paroles phonétiquement (à la Mike Brant !). Ces dernières contribuent grandement à l'impact laissé par les compositions. Les textes sont en effet virulents et délivrés avec brio par la folie furieuse de la chanteuse Accorinrin, épaulée au micro par l'intégralité du groupe donnant parfois lieu à des chœurs jouissifs. Le martèlement inlassable des textes sert assurément l'aspect accrocheur de l'ensemble, le tout en japonais parsemé d'anglais certes approximatif mais dont le charme opère. "Ikezu" vient, en 18 secondes seulement, conclure une mini tornade de 26 minutes au ton décalé assumé mais toujours débordant d'une rage issue notamment des déceptions relationnelles d'Accorinrin (quelques titres à l'intitulé explicite : "L'amour est court", "Après m'avoir fait l'amour, tu manges le repas préparé par ta femme"). Thématiquement, Otoboke Beaver se tient à contre-courant de certains pans de la société japonaise en visant des sujets relatifs aux pressions sociétales et familiales tels que la surcharge de travail ou la maternité.
Sorti sur le label indé londonien Damnably, qui semble s'être fait une spécialité des groupes asiatiques (Shonen Knife et les Coréens de Say Sue Me pour ne citer qu'eux), Itekoma hits est une petite pépite dans son genre qui ne peut pas laisser indifférent. Pour les adeptes, cet album provoquera sourire et bonne humeur instantanés. Quant à ceux qui ne parviennent pas à s'immerger dans leur univers coloré et déjanté, alors les prestations sur scène remarquées des nippones pourraient leur faire changer d'avis.
Publié dans le Mag #42