Fondé en 2006 par Vincent Bertholet d'Hyperculte, le collectif Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp (nom qui rend hommage à la fois aux "Orchestres Tout Puissant" africains ainsi qu'à l'artiste iconoclaste Marcel Duchamp) est originaire de Genève en Suisse. C'est désormais avec un arsenal de 12 musiciens qu'il a accouché cet été d'un cinquième album nommé We're OK. But we're lost anyway.. Enregistré en novembre 2020 au Phonotope Studio en Suisse par Gaspar Pahud et Antoine Etter (les deux ont déjà bossé ensemble ou séparément pour Ester Poly, Rue du Nord, Louis Jucker, Massicot, Puts Marie ou encore The Young Gods), ce disque est un bouillon de magie, de rêves, de plénitude, mais aussi se révèle par ses sublimes étrangetés et d'une manière plus générale, par sa liberté artistique. Cette boulimie sonore s'exprime à travers une symbiose de styles puisant allégrement dans le jazz, le krautrock, l'afrobeat ou bien encore la musique tribale, avec ce petit côté "spi-rituel" en mode brass band symphonique, qui rend cet album si spécial.
Inclassable donc, We're OK. But we're lost anyway. nous aspire sur des territoires sonores quasi insoupçonnés. Ainsi, l'inaugurale et lancinante "Be patient" se dévoile par un amalgame ébouriffant de cordes faisant place à un moment digne des grandes heures du trip-hop, alors que "So many things (To feel guilty about)" est plus énergique, sautillante avec un esprit espiègle. L'ambiance marimba de "Blabber" pourrait tout à fait être un morceau de Tortoise tandis que "Connected" sonne comme une certaine facette de Dead Can Dance. Ces neuf titres à peau de caméléon sont autant hypnotiques que percutant ("We can can we" en est un bon exemple) et jouent du yoyo dans la durée en termes d'intensité à l'image des blocs de textes sur la pochette. En parlant de l'artwork, épuré et efficace, il a été réalisé par Brian Case de 90 Day Men, Disappears et FACS, un excellent musicien et compositeur adepte, lui aussi, des courbes sonores (la structure de l'intro de "Beginning" fait d'ailleurs penser à Disappears). Voilà donc une sortie comme on les aime, une musique intelligemment écrire et parfaitement jouée sortie sur le label de son instigateur Les Disques Bongo Joe (Hyperculte, Derya Yildirim & Grup Şimşek, Yin Yin, L'Eclair).
Publié dans le Mag #49