Nada surf Lille 2020
Assister à un concert de Nada Surf, c'est comme se rendre à une fête où se retrouvent les membres d'une grande famille. Il y a de ça dans ce lien qui unit le groupe le plus francophile de New York et le public de chez nous. Voir Nada Surf, Daniel, Ira et Matthew, ainsi que Louie Lino aux claviers pour cette tournée, c'est comme revoir ses oncles préférés, ceux qu'on admire et qui passent en coup de vent, toujours prêts à repartir vers des horizons lointains après vous avoir raconté mille et un épisodes de leur vie inspirante. Ce mercredi 26 février 2020, nous sommes à Lille, dans la file d'attente devant le Splendid, une salle très connue qui est un ancien cinéma du quartier de Fives. Le Splendid, c'est exactement là que le groupe fit l'un de ses premiers concerts en France, en 1996, il y a 24 ans, une éternité. A l'époque, je les avais ratés. Depuis, je les ai vus et revus très régulièrement. J'ai même eu la chance d'interviewer Daniel Llorca, le bassiste, en juillet 2003 lors d'un festival estival à St Pol sur Ternoise. Le dernier concert de Nada Surf vu, c'était il y a un peu plus de deux ans auparavant, le 3 février 2018 exactement, à l'Aéronef de Lille et nous avions passé une excellente soirée dans une salle comble et chaleureuse. Mais ce soir est particulier. Il y a cette menace pesante, dont tout le monde parle. Dans la file d'attente, sans masque, sans gel hydroalcoolique non plus, ça n'est pas encore de rigueur, de même que le concept de distanciation sociale, on parle beaucoup du virus, de son avancée, de l'Italie débordée et des touristes partis ou revenus de Chine et qui ne sont sans doute pas contrôlés comme il le faudrait. On trouve juste que c'est un peu exagéré par les médias qui font flipper tout le monde avec le Covid 19. Chacun y va de sa théorie, personne ne comprend rien dans la cacophonie ambiante. Je ne le savais pas encore, mais ce concert de Nada Surf serait le dernier concert de la « vie d'avant ». Quelques jours plus tard on entrait « en guerre » et le Grand Confinement commençait.
Je n'étais pas revenu au Splendid depuis de nombreuses années. La salle est restée dans son jus, sombre, un peu poisseuse, décrépite, mais ce n'est pas sans un certain charme. Il y fait chaud très vite. Le public est déjà nombreux et s'amasse lentement mais sûrement dans la fosse ainsi qu'au balcon. En regardant vite fait à droite et à gauche, je reconnais quelques visages. La première partie est assurée par John Vanderslice, un songwriter propriétaire d'un studio californien réputé et producteur entre autres de Spoon ou Grandaddy. Le personnage est très attachant. Ses cheveux bleus, son humour, son interaction avec le public dans un jeu de questions-réponses, sa bonne humeur, ses anecdotes, tout cela fait mouche et détend l'atmosphère. Pour définir son univers artistique, il faut penser à des ballades pop, simples, enjouées, accompagnées des beats d'une boite à rythmes vintage avec laquelle Vanderslice joue allègrement en triturant quelques pédales d'effets. L'homme est un ami cher des Nada Surf, il leur déclare une très touchante admiration. C'est donc très complices que Matthew Caws, Ira Elliot et John Vanderslice partagent un titre. Le public est conquis. Vient ensuite la prestation des attendus Nada Surf. Ça démarre sans fioritures par une fournée de titres classiques et incontournables : "Looking through", "Whose authority", "Hi-speed soul", "Friends hospital". Le son est un peu brouillon au début mais tout le monde s'y retrouve. Le nouvel album, Never not together est sorti il y a quelques jours. Le très beau premier single "So much love" est entamé après qu'un technicien soit intervenu pour régler les problèmes de son du bassiste, qui semblait s'agacer de ce souci depuis quelques titres. Ce groupe est très fort pour écrire des tubes puissamment évocateurs de nostalgie. C'est ce qui m'a toujours plu chez eux, cette capacité à vous embarquer, à vous faire chavirer émotionnellement. Il y a du raffinement, de l'intelligence, de l'humilité et une modestie à toute épreuve qui sont leur marque de naissance indélébile. Le concert se poursuit, la set list est surprenante car il y a peu d'extraits de ce nouvel album. En voyant Matthew chanter en lisant sur un aide-mémoire le très difficile texte chanté-parlé (à la "Popular") de "Something I should do", je comprends que cette première date de la tournée européenne est placée sous le signe de l'anxiété, que c'est une date de rodage, de réglages. Je leur pardonne volontiers, je suis très heureux de les revoir, surtout ce jour-là. Trois titres en rappel, dont le fabuleux et habituel (et très prémonitoire pour le coup) "Blankest Year" dont le gimmick « Oh, Fuck It » est repris en chœur à chaque fin de concert du groupe. Encore un excellent moment partagé.
Quelques jours plus tard, Nada Surf sera le premier groupe à subir cette calamité des concerts annulés, reportés, et jouera le jeu en faisant double date parisienne pour respecter la règle des jauges. Le monde entrait en confinement, la vie telle qu'on l'avait toujours connue, avec ce qui en faisait son sens, son sel, sa raison d'être, était soumise à des règles de restrictions jamais vues et on ignorait quand et comment tout cela se terminerait. Nada Surf restera pour toujours mon dernier concert d'avant le merdier mondial.
Publié dans le Mag #50