Merzhin sort fin mai le successeur de Nomades, album très sombre qui avait marqué un pallier dans la carrière des Bretons. Ce nouveau disque qui traite de la thématique de la dystopie les fait davantage passer dans la catégorie supérieure avec une production qui met encore plus en avant la lourdeur des riffs et le poids des mots tout en ne négligeant pas les sonorités bretonnes qui, bien que rangées derrière les guitares, sont présentes, preuve que Merzhin en fait aucune concession à ses origines en montant de ton.
Bon, super content de vous retrouver...
Pierre : Pareil pour nous !
La dernière fois que nous nous sommes vus, c'était la fin de l'année dernière au Café de la danse.
JC : Oui, c'est ça.
Pour ceux qui n'ont pas eu l'occasion de vous voir sur scène pendant cette période, comment s'est passée la pandémie? Vous avez été un des rares groupes qui, finalement, a décidé contre vents et marées, de faire une tournée un peu spéciale, de s'adapter à la pandémie.
Pierre : Oui, tout à fait.
Vous vouliez que cette tournée soit tout sauf acoustique et, de ce que nous en avons vu, c'était bien le cas.
JC : Effectivement, il n' y avait pas de guitare acoustique.
Et est-ce que vous avez trouvé le temps finalement de faire une pause nécessaire pour réaliser l'album ? Ou est ce qu'il était déjà prêt avant ?
JC : Et non, justement, c'est ce confinement qui a fait qu'on a pris le temps. C'est la première fois en 25 ans qu'on se permettait de prendre deux ans pour faire un album. Et généralement, les albums se faisaient en six mois, puis on enchainait alors la tournée, etc... et pendant qu'on tournait, on se remettait à composer. Et malgré tout le côté négatif de ce qu'on a connu avec la pandémie, le bénéfice de tout ça, c'est le nouvel album qui nous a pris deux ans pour le faire.
Pierre : On se disait que si on laissait le temps passer - et comme on ne savait pas combien de temps cela allait durer, même si on supputait que cela allait durer très longtemps - on aurait eu du mal à rebondir. Il fallait qu'on ait quelque chose de nouveau à proposer quand tout redeviendrait normal. Alors, on s'est lancé à fond dans un projet parce que si on avait fait les deux en même temps (le spectacle et l'album), cela n'aurait pas été réussi. On avait de toute façon le temps de faire correctement les deux, mais en les séparant.
Et puis finalement, les deux étaient un peu liés puisque vous avez joué au moins deux titres du nouvel album.
JC : C'est ça, et cela nous a permis aussi de travailler et tester les nouveaux morceaux.
Pierre : Cela nous a permis de travailler le côté atmosphérique. Nous avons retravaillé certains morceaux pour que ça soit plus en mid-tempo, plus atmosphérique aussi, les deux projets se nourrissaient mutuellement.
Pour tourner définitivement la page "Ombres et lumières" et embrayer sur le nouveau, vous aviez aussi permis aux gens qui avaient acheté leur place d'avoir le live en audio. Est-ce que c'est quelque chose que vous pouvez refaire prochainement ? Ou est-ce que vous voulez sortir un live aussi ? Vous l'aviez fait déjà sur le précédent, mais uniquement en numérique. Finalement la musique de Merzhin se consomme live, même si l'album est super.
JC : Pour le moment, on n'a pas réfléchi, on verra bien la suite. Quand la tournée sera faite, on verra et on y pensera à ce moment-là.
Pierre : De toute façon, on enregistre souvent nos concerts. Ça vous permet aussi de réécouter et de voir ce qu'il nous faut améliorer. Donc comme on a nos propres consoles, notre ingé son enregistre assez régulièrement les concerts. Cela étant, on garde toujours des traces, on verra bien si ça peut servir.
Parlons un peu de l'artwork de la pochette et du clip aussi de "Je veux" qui est lié à cette pochette. Comment vous avez choisi votre artwork puisque le dernier était très tribal avec cette photo de peinte d'une artiste, Juliette Salette. Cette pochette allait très bien avec le côté nomade et l'influence Bukowski. Là, on sent plus Caligula, Machiavel qui ressortent avec un côté encore plus sombre. Donc, comment avez-vous pensé la pochette, le clip et puis aussi le premier single ?
JC : Ben, c'est un peu pareil que pour la pochette de Nomades. On a essayer de trouver sur Internet des graphistes, des artistes qui étaient dans l'univers qu'on recherchait.
Pierre : Dystopique.
JC : On est donc tombé sur un graphiste qui s'appelle Seb Fontana, il a fait un super travail. On est vite tombés amoureux de tout ce qu'il faisait, il espérait un jour pouvoir travailler pour un groupe, parce qu'il est principalement graphiste pour des entreprises. Il rêvait donc de faire ça et en plus sur un thème qu'il adore, la dystopie. Il était tout désigné pour travailler avec nous.
Pierre : Ça s'est fait comme ça, par hasard. Et le hasard fait bien les choses parfois. Et puis, on a vite décidé de travailler ensemble et, après plusieurs essais, nous avons fait cette pochette qui représente bien l'album et son titre. Cette image existait déjà et nous ne l'avons retouchée qu'à la marge.
JC : C'est ça. Et on avait flashé sur celle-là et on trouvait qu'elle représentait bien tout ce qu'est cet album. Parfois, c'est la chance aussi, merci Google !
C'est également Seb qui a réalisé le clip de "Je veux"?
Pierre : Non, là c'est notre manager qui a écrit le scénario, mais on voulait faire correspondre la petite fille avec la femme de la pochette.
JC : C'était déjà pour faire comprendre le concept.
Vous faites évoluer le personnage dans un monde un petit peu ukrainien...
Pierre : Presque. Ça a été tourné dans une base de sous-marins, mais on n'avait pas non plus prévu ce qui allait se passer.
Donc si on parle de ce que vous voulez effectivement Dystopique, sombre, mais également léger, un album un peu manichéen, finalement très sombre tout comme le single "je veux" qui fait plus de six minutes. Avec une grosse attaque et à la fin quasiment un instrumental qui aurait pu vivre en autonomie. C'est ce que vous cherchiez ?
Pierre : En fait, on voulait développer une musique plus atmosphérique et des morceaux plus longs. On avait envie de tester ça d'un côté post-rock qu'on n'avait pas encore fait. Et notamment avec notre nouveau guitariste Baptiste qui est arrivé juste après la sortie de Nomades. En fait, on a changé de guitariste et il a apporté ce côté post-rock et on a développé des parties instrumentales. Même dans des morceaux comme "Je veux", la partie de fin termine le morceau de manière atmosphérique, on s'est dit qu'on ne se fixait pas de limite.
JC : Nous n'allons pas nous limiter à des morceaux qui font trois ou quatre minutes, de toute façon, on ne passe pas à la radio.
Pierre : Et c'est toujours intéressant parce qu'on avait le temps. C'est une façon d'aller au bout des choses un peu. Et effectivement, alterner des passages très puissants, très violents, avec des choses plus aériennes à côté - comme on est aussi fan des musiques des années 60/70 et surtout du côté psychédélique, nous avons réussi à marier cela avec la puissance.
Finalement, la production rend aussi hommage à la composition. Comment s'est fait la rencontre avec Drew Bang ? Parce que finalement, on voit qu'il a travaillé avec des grands noms qui font rêver.
JC : Du moment où le label nous a dit qu'on allait enregistrer à ICP, on n'avait pas encore décidé qui enregistrerait l'album. C'est carrément le label Verycords qui a demandé à ICP s'ils avaient des noms de réal'. Le studio a envoyé les maquettes aux différents réal' familiers du lieu, ils ont écouté et ça a été assez rapide, ils nous ont dit : "On pense que ce mec-là, qui vient assez régulièrement, pourrait faire un très bon boulot sur cet album". Quand on a vu son CV, on s 'est dit qu'on pourrait essayer. Les morceaux ont été envoyés à Andrew et il a dit "Banco, je veux le faire" et ça s'est fait comme ça.
Pierre : C'est exactement ce que je cherchais. C'est une pointure de la prise de son qui ne fait que ça. Il ne fait pas de mix, uniquement de la prise de son. Il bosse super bien, on voulait un son bien précis. On savait vers où on voulait aller, et ça a été une co-réalisation avec lui. Ça s'est très très bien passé et pour le moment, on est vraiment satisfait, et lui aussi. On a gardé contact, il nous suit, on va se revoir encore. C'est une superbe rencontre humaine et professionnellement parlant aussi. Il nous a appris pas mal de choses. On a fait un travail de fou car c'étaient de sacrées journées, on attaquait à 9 h et demi et finissait à 2 h du matin tous les jours pendant quinze jours.
Il fallait rentabiliser la location du studio.
Pierre : C'est comme cela avec lui, du travail acharné.
De mémoire vous aviez fait un post en chambrant votre guitariste qui avait trop de choix de guitares, on aurait cru un gamin devant le sapin de Noël.
Pierre : C'est la caverne d'Ali Baba, là-bas, il était effectivement en perdition.
JC : C'est pareil pour les batteries, j'avais 40 caisses claires, 30 batteries à disposition, et des cymbales à chier partout, c'est une des plus grosses collections privées d'instruments. Et comme Drew connaissait bien le studio, il a su nous donner ses choix pour sortir tel son avec tel matériel. Il savait exactement où aller à chaque étape du morceau, il avait déjà tout prévu.
Pierre : C'est pour ça que c'était un gain de temps pour nous, parce que sinon, on aurait passé de longues journées à essayer tous les instruments sans enregistrer.
Nomades était déjà très sombre, il y avait une sorte de rupture par rapport à votre discographie. Là, on va encore plus dans le sombre, même s'il y a les moments aériens et la bombarde reste toujours "l'avenir du rock", mais on la sent un peu plus masquée sous les sons et les riffs. Vous avez dit par le passé que c'est l'époque qui vous oblige à devenir encore plus sombre. Est-ce que c'est toujours le cas ?
Pierre : Je crois... effectivement. Le titre pose question parce que l'album n'est pas non plus que du sombre et la fin du monde, il reste encore de l'espoir. Bien sûr, on est en émoi et on se sent obligé de décrire cela. La musique, c'est centrale chez nous, c'est notre vie. On se doit d'être citoyens, c'est pour ça qu'on parle de ça aussi. Mais je pense qu'on n'en parle pas assez. Il faut rabâcher les choses puisque visiblement il ne se passe pas grand-chose depuis un moment.
JC : Et puis cet album, c'est une suite logique de Nomades comme tu le dis. Il était déjà une rupture par rapport au reste, et là, on voulait aller encore plus loin. On voulait passer encore un palier, du coup, ça aide en termes de sons, c'est dense, c'est assez sombre. Mais oui, comme la fin de l'album est un peu plus positive aussi, il y a le côté optimiste.
La chanson "futur" aussi qui ouvre le disque...
Pierre : Oui, également, c'est sûr, tout n'est pas perdu. Tout n'est pas négatif, mais on a cette impression que, musicalement, ça colle aux thèmes abordés. Nomades était différent, c'était plus rock alternatif. Là on voulait l'album plus lourd avec un coté stoner et post-rock. La musique vient encore mieux servir le propos et si tu as cette impression, c'est que l'on a réussi.
Et qu'est ce qui a influencé aussi l'écriture des textes ? Pierre, c'est toi qui écrit tout?
Pierre : Quasiment oui, mais désormais j'écris souvent avant d'avoir la musique. J'écris avant mais la musique se nourrit aussi des mots.
On parlait tout à l'heure du switch entre Bukowski qui était très présent avec un quotidien un peu sordide. Là, c'est plus Machiavel et Caligula que tu cites, t'es tu inspiré de ses textes ?
Pierre : Non pas vraiment. Je dis souvent cela, le curseur est tout le temps sur les extrêmes, il y a tellement d'inégalités. Il faudrait revenir à ce juste milieu que je chéris tant. De toute façon, cela ne sert à rien que je parle de choses comme le climat, on a des alertes sur le climat toutes les 5 min, donc cela n'apporte rien. Machiavel est plus cité à titre d'exemple.
Vous avez déjà des dates de prévues?
Pierre : Nous ferons prochainement un concert à la Maroquinerie, c'est une salle très rock'n'roll. Et pour les autres dates, on a commencé à les annoncer. Il y a encore d'autres annonces à venir d'ici la fin de l'année, une vingtaine.
Vous avez fait un concert de soutien à l'Ukraine, cela a été l'occasion de tester de nouveaux titres?
Pierre : On a joué les deux titres que nous avons fait sur la tournée "Ombres et lumières". Mais tu sais, nous n'avons joué que 20 minutes et il y avait une quinzaine de groupes, ce n'est pas l'idéal pour tester des titres.
La tournée se fera avec le tourneur 3C ?
JC : Tout à fait, on ne change pas une équipe qui gagne. Nous sommes fidèles, comme ça se passe bien, on continue.
Pierre : On n'a pas joué d'autres nouveaux morceaux, on ne voulait pas non plus tout jouer. Et puis, on n'était pas encore forcément prêt à le faire, alors que là, on est vraiment en train de préparer le nouveau show.
Vous avez sorti un deuxième single il y a peu pour succéder à "Je veux", pourquoi le choix de ce titre? C'est vrai que vous aviez déjà "Je veux", c'est un petit peu le fer de lance de l'album avec ce côté un petit peu scandé.
JC : Mais, en fait, le titre "Renaissance" est un peu OVNI aussi. On voulait montrer un peu tout le panel possible de cet album parce que c'est un morceau qui est beaucoup plus lumineux. Puis, on s'était dit que c'était peut être rigolo de montrer les écarts sur l'album.
Pierre : Ça fait un grand écart entre le grand écart entre les deux.
JC : On voulait à la base sortir les deux en même temps. On s'est dit que nous allions d'abord sortir "Je veux" avec le Clup. Sortir deux titres en même temps aurait un peu brouillé les pistes.
Quelle serait la question à laquelle vous auriez aimé répondre?
Pierre : "Est-ce que Dave Grohl fera un featuring avec toi bientôt ?" ou "Est-ce que vous allez postuler chez les Foo Fighters ?" JC est un grand fan des Foos !
JC : (rires) Trouve autre chose.
Pierre : "Aurez-vous un album joyeux un jour ?"
JC : C'est déjà fait, mais il y a longtemps.
Pierre : Alors la question qui n'a pas été posée et à laquelle on ne répond plus : "Que signifie Merzhin ?". On en a marre de cette question-là. Aujourd'hui, personne ne nous l'a posée.
JC : Bon, c'est peut-être qu'ils finissent par nous connaître au final.
Merci à vous pour cet entretien.
Pierre : Merci et à bientôt sur la route.
Merci à Pierre et JC ainsi qu'à Sabrina de Verycords.
Photos : JC Forestier.