Certains pourraient penser que Mars Red Sky se contente de faire ce qu'il sait faire, travaillant sur la continuité de ce qui marche pour continuer d'avancer. D'autres ont le droit d'imaginer que depuis ses débuts, le groupe sait où il va et construit, pierre après pierre, un temple au Dieu de la fuzz. Arrivé sur Terre aussi rapidement qu'une comète interstellaire éponyme, le réel débarquement se fait sur un rivage atlantique (Stranded in Arcadia), lieu d'une intense préparation mais MRS est encore derrière un rideau qu'entrouvre Apex III - Praise for the burning soul, les voici avec la même couleur sur l'artwork (signé Carlos Olmo bien sûr), la même chaleur sonore (Gabriel Zander est encore à la prod) mais cette fois-ci au sommet de leur montagne au cœur des flammes de The task eternal. Car oui, aussi bon soit l'album précédent, on a l'impression que les Bordelais ont encore poussé le curseur et sortent peut-être leur meilleur album.
Les goûts et les couleurs sont discutables, c'est pour ça qu'on est là, mais franchement, comment ne pas s'extasier devant une telle démonstration de talent ? Qui peut se targuer d'avoir un son aussi chaleureux, une voix aussi envoûtante, un groove aussi imparable ? Et de pouvoir lier l'ensemble pour former un tout construisant une identité aussi forte ? Un peu de bidouillages, une rythmique appuyée, le riff démarre à peine qu'on est déjà sur la planète Mars, le voyage va durer un peu moins d'une heure mais on se sent en confiance, le chant de "The proving grounds" lève d'éventuels doutes, on est entre de bonnes mains, au grain des guitares fuzz répondent des notes cristallines, le contraste est bluffant, nos sens vibrent avec la basse, l'album vient de commencer qu'on est déjà ailleurs. Les lignes harmoniques tortueuses et les chœurs lancent un "Collector" qui filera ensuite derrière un chant et une guitare qui marquent leur territoire. Signe que les MRS sont proches des hommes, le petit jeu de lettres entre "Recast" et "Reacts", deux morceaux frères, liés par un riff qui assure une certaine continuité malgré des idées distinctes, le premier est un peu plus léger, le deuxième plus embrumé, la différence se fait notamment avec l'absence de chant pour "Reacts". Sans ce fil d'Ariane, les instruments prennent des libertés et déconstruisent le schéma classique pour s'élever un peu plus haut. L'ascension se poursuit avec une petite pause, "Crazy hearth" étant juste sympathique parce qu'un peu prévisible, ça offre un peu de répit avant de toucher le sommet qu'est pour moi ce "Hollow king". Le trio use alors de toutes ses armes, opposant les pleins et les déliés, superposant des couches instrumentales, assurant une progression au titre qui gagne en tension jusqu'à un trop plein de saturation qui le fait disparaître. Jouissif. Le premier riff bien plus terrestre et granuleux de "Soldier on" nous fait redescendre, la voix de Julien se dissimule derrière un effet comme pour rester à l'écart de ce qui ressemble à une descente de trip, ces instants où tu es mal à l'aise mais conscient d'avoir vécu un bon moment... Le délicat instrumental "A far cry" conforte cette idée, il est temps de se détacher des martiens et de reprendre une vie normale...
A chaque nouvel album, les Mars Red Sky subliment leur recette, répétant leurs gammes avec davantage de maîtrise et de générosité. The task eternal n'échappe pas à la règle, encore une fois, il faut se dire que c'est certainement leur climax et que c'est donc maintenant qu'il faut profiter de leur musique. Et tant pis s'ils se surpassent dans quelques années, on aura toujours profité à fond de cet album d'exception.
Publié dans le Mag #39