Alors, il faut le savoir : Ben Amos Cooper, Max Roy et Théo Guéneau, les membres de Lysistrata ont découvert la potion magique pour ne plus devoir passer un tiers de la journée à dormir, afin de satisfaire ce type de besoin vital primaire. Autrement, comment expliquer que dans la seule année 2017, ils puissent remporter le prix Ricard Tour S.A. Live Music, sortir leur deuxième EP Pale blue skin, enchaîner une centaine de concerts en France avec quelques dates européennes, sortir leur premier LP The thread, en octobre 2017 et continuer de tourner dans toutes les salles ? Alors, oui, cela pourrait être humainement possible si The thread était dans la continuité de Pale blue skin, une extension de leur première oeuvre, un prolongement stylistique : on glisse quelques réinterprétations, on ressort un titre écarté lors du premier album, on peut même finir par une petite séquence live histoire de montrer qu'on est un groupe de scène. Bon, ils ont tout de même réinterprété deux tracks issus de leurs deux précédents mini albums. Pour le reste, eh bien Lysistrata a surtout pris le temps de faire évoluer son style, de peaufiner l'atmosphère, de travailler les textes.
AvecThe thread, Lysistrata continue de proposer un rock complexe et polymorphe. On pourrait essayer d'y rattacher plusieurs étiquettes, comme math-rock, post rock, noise... disons simplement qu'ils s'amusent à jouer du rock, tout en cassant les codes et les structures classiques. On oublie le intro / couplet / refrain / (....) / pont / refrain / outro, on se fiche des 3 minutes 30 de rigueur pour une bonne chanson. Lysistrata explose les schémas préconçus, balance des titres de moins de 2 minutes ou qui dépassent les 11 minutes, en sectionne certains en plusieurs actes, enchaîne les gifles sonores avec les caresses mélodiques. Mais le trio ne cherche pas non plus à partir dans l'expérimentation débridée voire inaudible. Dans toute l'exubérance de The thread, il y a une réelle cohérence musicale, un style personnel que l'on avait apprécié dans les premiers albums, qui se prolonge avec une teinte plus sombre. Les textes traitent de mal être, d'angoisses, de tentative de suicide avortée. Avec des airs de At The Drive-In, Lysistrata attaque et secoue l'auditoire avec "The thread", ou "Answer machine". Il chatouille aussi sur "Dawn", petite instru dissonante, sympathique et atmosphérique. Et il conclue avec une énorme pépite de 11 minutes, "The boy who stood above the earth" : la mise en abyme d'un fait divers raconté par l'écrivain Joseph Campbell pour illustrer le thème de l'héroïsme dans la société moderne. L'acte de bravoure d'un policier qui, à Hawaï dans les années 80, voulant empêcher un suicidaire de sauter d'une falaise, manqua de tomber avec lui.Lysistrata intègre des bribes de son récit, rajoute sa vision de l'histoire et envoie une bande son superbe envoûtante et imprégnante. Une splendide réflexion philosophique humaniste et introspective.
Publié dans le Mag #32