Palem Candillier D'abord, comment t'es-tu retrouvé dans ce projet ?
J'ai découvert par hasard le "OK computer" de Michel Delville dans la collection Discogonie en furetant chez mon libraire. J'ai beaucoup aimé le concept de consacrer un livre à un album, mais en allant à fond dans l'analyse, comme ce qui se fait depuis un moment chez les anglo-saxons avec l'excellente série "33 1/3" . J'aime lire et écrire sur la musique en général, je surveille tout ce qui se fait chez les éditeurs à ce niveau-là et j'attendais la bonne occasion de me lancer dans un projet. Quand j'ai vu qu'on pouvait proposer un disque, je n'ai pas hésité à contacter Hugues, qui fournit un travail de dingue pour que la collection existe, et on a commencé à discuter de l'album que j'aborderais. J'avais beaucoup d'idées, nous sommes tombés d'accord sur un Nirvana, "mais n'importe lequel" !

Le fait d'être musicien est un plus ou un pré-requis ?
Je dirais plutôt que "le fait d'être un musicien profondément influencé par Nirvana" est un plus, parce que j'ai eu envie de rentrer au cœur de cet album écouté des millions de fois pour comprendre ce qui a pu autant me marquer, comment et dans quel esprit ces chansons ont été faites. Je ne voulais pas me prétendre musicologue mais approcher la création de ce disque d'un point de vue d'artisan, car c'est l'image que j'ai de Kurt Cobain. Le côté "compo" des titres m'intéresse vraiment, j'espère avoir transmis cette fascination dans le livre.

Pourquoi In utero plutôt que Nevermind ? Le plus culte des deux est certainement l'autre...
C'est ça ! Il y a une phrase qui m'a définitivement poussé à parler de ce disque, celle d'un journaliste américain qui avait écrit : "Mes chansons préférées de Nirvana sont dans Nevermind mais mon album préféré est In utero". Je trouvais que ça résumait parfaitement le rapport qu'on a presque tous à la discographie de Nirvana et que pour résoudre ce paradoxe il était temps de se pencher sur ce disque hostile et tellement différent de Nevermind. Et puis In utero évoque aussi des noms du rock indépendant qui sont devenus mythiques : Steve Albini, le producteur, Pat Smear, le second guitariste de tournée qui deviendra un Foo Fighters avec Dave Grohl, sans parler des chansons elles-mêmes : "Rape me", "Heart-shaped box", "Pennyroyal tea"... Autant de raisons de raconter l'histoire de ce douze-titres aux relents tragiques mais extrêmement sincère dans la démarche artistique du groupe.

Je trouve l'écriture assez "clinique" comme si tu cherchais à ne pas t'impliquer émotionnellement dans le livre, c'est une volonté de l'éditeur ?
C'est plutôt ma façon d'écrire. J'avais envie d'être neutre, de ne pas trop supposer, je pense que le traitement du disque en avait besoin car on peut vite devenir trop passionné, on peut avoir tendance à imposer son regard, et Kurt Cobain est un cas d'école en la matière car j'ai lu trop de choses où on voulait parler à sa place alors qu'il n'est plus là pour confirmer. Il taggait lui-même sur ses murs à la fin "Aucun d'entre vous ne connaîtra réellement mes intentions", c'est dire. J'en ai beaucoup parlé avec Hugues, qui m'incitait à être moins objectif, plus personnel. Mais ma façon d'être personnel dans l'écriture, c'est justement d'emmener le lecteur à travers une galaxie de détails, d'anecdotes, sans perdre de vue l'album dans sa globalité. Et après tout, pour analyser un disque qui a un titre aussi médical, l'écriture clinique n'est pas une mauvaise idée !

Dans les gros bouquins parus sur Nirvana, les auteurs racontent aussi un peu leur vie, parmi ces "bibles", laquelle préfères-tu ?
Ce dont tu parles me fait surtout penser à "The True story" du journaliste Everett True qui était un vrai proche de Cobain et de Courtney Love, et sa bio est une mine d'infos fiables parce qu'il ne cache rien de sa proximité avec le groupe ni de ses réflexions sur l'évolution de Kurt. C'est assez rare pour être signalé, il n'y a ni voyeurisme ni angélisme dans sa démarche, et pour cette raison c'est une de mes sources préférées. J'ai beaucoup aimé aussi "Nirvana : une fin de siècle américaine" de Stan Cuesta qui a le mérite de replacer le trio dans l'Histoire, ce qui manque trop souvent dans d'autres livres. J'avais souvent l'impression que Nirvana était traité comme une sorte d'îlot détaché de son entourage et de son époque. Parler du groupe sans mentionner les Melvins, Sonic Youth, les Pixies, Black Flag, le déclin de MTV et le contexte de désillusion sociale dans les zones défavorisées et rurales des États-Unis, c'est passer à côté de trop de choses qui expliquent le phénomène.

Nirvana In utero - Palem Candillier Du coup, on ne connaît pas ton histoire personnelle avec Nirvana et In utero, quels souvenirs t'évoque cet album ?
In utero a peut-être bien été mon premier album de rock contemporain, trouvé dans une brocante avec le Unplugged. C'est devenu au fil du temps un compagnon de route vers lequel je revenais souvent. Mais je pense que je ne prenais pas encore la mesure de l'importance de ce disque, qui s'est beaucoup résumé à "Rape me" et "Tourette's" dans mes premières années de fan. Un ami musicien très connaisseur, le collègue de groupe Pedro, m'a fait entrer davantage dans l'album bien plus tard, en me parlant des mix originaux de Steve Albini, du processus d'enregistrement fou de ce producteur intransigeant et de la qualité de chaque composition. J'ai complètement plongé depuis et je suis content de pouvoir parler de cette véritable épopée indépendante dans le détail aujourd'hui.

Quel est ton morceau préféré de Nirvana ?
Je suis progressivement tombé amoureux de "Radio friendly unit shifter", au point d'être obsédé par ce morceau, qui est pour moi la quintessence du punk qu'a toujours voulu jouer Kurt, du moins je pense. Ce côté cavalcade obstinée et funèbre est merveilleux. J'aime aussi énormément "Pennyroyal tea" et ses choeurs sur le refrain, "Aneurysm" bien sûr et les versions live de "Scentless apprentice".

Les anecdotes sont légions, comment as-tu fait la sélection ?
Les anecdotes c'est un piège, on voudrait toutes les mettre par envie d'être exhaustif mais beaucoup d'entre elles n'apportent rien de spécial pour faire avancer l'histoire. Celles qui sont restées aident à raconter quelque chose sur le processus créatif de Nirvana : les nombreux titres alternatifs de "Tourette's" qui amènent jusqu'au titre final sont passionnants, tout comme les petits comportements des uns et des autres pendant l'enregistrement du disque, qui sont éloquents sur les rapports entre le groupe, Albini et le reste du monde. Savoir que Dave Grohl s'est offert des petites récréations créatives entre deux prises, ça permet de souligner que les Foo Fighters sont déjà en gestation et que chaque membre a son identité malgré l'aura écrasante de Kurt. Le tri se fait au fur et à mesure que le récit se dessine en fait !

Tu évites aussi de faire des interprétations au regard de la suite de l'histoire, ça n'a pas été trop difficile ?
Il faut complètement oublier les derniers jours de Nirvana et de Kurt quand on parle de In utero, et en même temps on ne peut pas ne pas y penser ! D'ailleurs le disque reflète un mal-être évident, alarmant, mais pas obligatoirement tragique. J'ai préféré mettre en avant l'évolution musicale du groupe, les partis pris sonores et textuels, les ouvertures vers l'Unplugged, David Bowie et les expérimentations. Quand on regarde ça on est peut-être encore plus choqué que tout se soit terminé aussi violemment, mais ça laisse aussi un peu rêver : et si... ? Je préfère partir de ce principe.

Nirvana : In Utero Attaquer le livre par "Sperme", c'était pour tester ta liberté d'écriture ?
C'était pour tester... tout court ! Ce n'était pas voulu comme un gag mais ça tenait le coup à la relecture, alors pourquoi pas ?

Tu es trop jeune pour avoir vécu pleinement le "moment" Nirvana, tu aurais apprécié ou si tu pouvais vivre une époque, ce ne serait pas celle-là ?
Peut-être bien, mais en touriste via la DeLorean alors. Vivre l'époque actuelle est déjà un challenge, il y a beaucoup à faire !

Si on te demande une liste de prétendants au titre d'icone rock d'aujourd'hui comme l'a été Kurt Cobain, tu mets qui ?
Difficile d'y répondre, surtout que Ian Curtis, Kurt Cobain ou John Lennon sont devenus des icônes une fois morts et ce statut dépend de tellement de paramètres différents et discutables. Il est même un peu trop ancré XXème siècle, je crois que la célébrité du futur prendra d'autres formes. Mais pour rester dans l'esprit de Kurt, je pense qu'on manque d'icônes rock féminines et qu'il est temps que ça change. Des artistes comme St Vincent ou Shannon Wright le mériteraient bien. L'ancienne Slits qui est devenue autrice, Viv Albertine, en impose beaucoup aussi. En France, on a des musiciens formidables qui n'ont rien à envier aux Anglais, comme La Féline. Sinon, pour moi, il y a sans aucune discussion possible Thurston Moore de Sonic Youth, qui est un monument de mélodicité et d'expérimental mélangés.

Avec Les Reines du Baal, vous allez jouer In utero en live en intégralité, c'est juste pour un concert ou il y aura une suite ?
Ce sera pour fêter en différé la sortie du livre, d'autres musiciens joueront du Nirvana au Supersonic à Paris ce soir-là et il y aura un stand pour se procurer des titres de chez Discogonie. Mais j'aimerais bien exporter ce show dans d'autres villes, ne serait-ce que pour le plaisir de jouer cet album et de lui redonner une vie sur scène. Je suis assez amateur de concepts scéniques de ce genre !

Qu'est-ce qu'on peut te souhaiter pour 2019 ?
Terminer mon projet sur John Lennon et continuer d'écrire sur des sujets qui m'éclatent, faire des scènes encore, et que l'un continue de nourrir l'autre constamment !

Merci à toi !!
Merci à toi et longue vie à W-Fenec bien sûr, qui me suit depuis l'aventure So Was The Sun.