Lenine Renaud Comment est venue cette idée du petit musée ?
C'est venu pendant le confinement, je suis retombé sur une biographie de Gustave Courbet écrite par Michel Ragon. Je ne m'intéressais pas plus que ça à ce genre littéraire, mais comme j'aime Michel Ragon et Courbet, j'ai essayé. J'ai vite pris des notes et j'ai eu envie de me replonger dans le parcours d'autres peintres. J'ai lu une bio sur Goya. C'était curieux de lire le récit de massacres perpétrés par les campagnes Napoléoniennes en Espagne, de voir l'interprétation de Goya et d'entendre au même moment les hommages rendus à Napoléon dans les médias pour le bicentenaire de sa mort. Après une correspondance de Gaston Chaissac, j'avais plusieurs textes et idées de chansons. J'ai appelé Cyril pour lui proposer de faire un disque sur les peintres et la peinture. Sa réaction a été immédiate, il a directement eu l'envie de se mettre à écrire. Ça a été une période très riche en échanges.

Le choix des peintres et des œuvres a-t-il été difficile ?
Ce qui a été compliqué, c'est la sélection. On a très vite été débordé par l'enthousiasme. La liste de nos envies grossissait sans arrêt. Il y a tant d'œuvres et d'artistes bouleversants. On a dû se limiter. Nous nous sommes alors concentrés sur les compositions et avons recherché l'univers musical correspondant le mieux à chaque œuvre.

Y-a-t-il des morceaux qui ne sont pas sur l'album ?
Oui, on a écarté cinq ou six titres par manque de temps. Nous n'avions que dix jours de studio. Il a fallu faire des choix. Cyril avait composé un très joli titre sur l'histoire de l'art mais on ne voyait pas comment l'intégrer. Ensuite, on a fait une erreur de tempo sur "La ramasseuse d'épaves", un tableau de Francis Tattegrain. On la joue toutefois sur scène dans une version accordéon-voix. Il y avait encore un titre sur Picasso, un autre sur Frida Kahlo, et plein de titres en chantier.

Aviez-vous une volonté de mettre en lumière certains peintres, comme Gaston Chaissac, plutôt que de raconter des méga stars comme Picasso ?
Guernica faisait partie de nos envies, il y a de quoi faire un album entier avec une telle œuvre tant cette histoire est dingue. Partir de cette commande de la république espagnole pour l'exposition universelle de 1937, du manque d'inspiration de Picasso, du bombardement de Guernica par l'aviation allemande... Par ailleurs, nous voulions rester dans des formats chansons et ne pas verser dans le concept album avec des titres non détachables les uns des autres. Concernant les choix, on ne s'est pas posé la question de la notoriété des œuvres ou des artistes mais simplement de l'intérêt ou de la tendresse que nous avions pour eux.

Est-ce qu'on peut dire qu'il y a aussi des choix "politiques" ?
On peut penser qu'un tableau est simplement un objet de décoration mais dans ce cas, on ne se questionne pas sur ce qu'a voulu faire passer l'artiste et sur ce que nous recevons comme message. Je ne crois pas qu'il y ait des œuvres innocentes, il y a toujours une intention. Il me semble impossible de parler de Courbet sans le remettre dans un contexte. Ne pas pointer en filigrane qui sont les gens au pouvoir, quelles sont les règles existantes sur une période donnée, c'est enlever la dimension sociale et historique d'une œuvre. Beaucoup d'artistes ont dû affronter les gardiens d'une certaine conception de l'esthétique. Dans toutes les époques, bouger les lignes est un combat. Quand les autorités commandent un tableau comme "La chute des damnés" à Dirk Bouts, l'intention politique c'est de faire peur, de terroriser ceux qui oseraient quitter le droit chemin.

Rembrandt ou le gallodrome, c'est pour le côté "flamand" ?
Non, ce sont avant tout des œuvres bouleversantes. Il n'est pas important de connaitre la Flandre pour comprendre ces tableaux. L'idée avec le combat de coqs n'est pas de faire une quelconque apologie mais de parler de mixité sociale. Les gallodromes étaient un réel espace de rencontres entre les ouvriers et les patrons de l'industrie. Il y a beaucoup de musées dans notre région et nous avons la chance d'avoir des collections très importantes. Pour une fois que nous pouvons parler des richesses de notre région...

Parmi ces nombreux musées du Nord-Pas-de-Calais, quel est ton préféré ?
C'est difficile à dire. La plupart sont très dynamiques et organisent quantité d'expos très chouettes. Par leur proximité avec mon domicile, je fréquente davantage le palais des Beaux-Arts de Lille, le LAM à Villeneuve d'Ascq et le musée de la piscine à Roubaix, mais j'aime bien le musée de Flandre à Cassel, j'y ai vu une très belle expo sur Bruegel.

Pour moi, les textes prennent parfois le dessus sur la musique, c'est un "risque" assumé ?
Merde, tu veux dire qu'on n'a aucune chance d'être joué en discothèque ? (rires) On a fait attention à ce que cet album reste très musical en se demandant chaque fois quel était le son du tableau, quel univers musical pourrait habiller telle ou telle œuvre. On n'a pas le sentiment que les textes prennent le dessus, je pense que nous avons été justement très attentifs à ce que cela reste des chansons.

Si "Rupestre" s'impose en premier titre, comment avez-vous organisé le reste du tracklisting ?
Le tracklisting est toujours un casse tête surtout lorsqu'on considère qu'un album doit s'écouter dans l'ordre défini et dans son entièreté. On a avant tout réfléchi en terme de dynamique musicale.

Lénine Renaud - Le petit musée "La ronde de nuit" est le premier clip, il donne vie au tableau du coup, un clip pour "L'origine du monde", c'est mort ?
T'as des modèles à nous proposer ? Plus sérieusement, on adorerait tourner un clip par titre, on en a déjà un autre en réserve et on est en train d'en scénariser d'autres. Il faut que nous trouvions les idées, les lieux de tournage, les figurants... et les fonds.

L'ensemble est très intimiste mais certains titres risquent de bien fonctionner en concert comme "Toulouse-Lautrec", vous savez que ce sera un morceau phare en l'écrivant ?
Ce qui est super, c'est qu'aucun titre ne se détache plus qu'un autre, on a de supers retours sur la plupart des titres. Les préférences varient vraiment d'une personne à l'autre.

Est-ce que certains morceaux sont destinés à rester "en réserve" et ne seront pas joués ?
Non, nous avons entièrement construit notre nouveau spectacle sur le concept du petit musée, nous jouons tous les titres de l'album et avons intégré quelques titres de l'ancien répertoire pouvant être associé à une œuvre. Par exemple "Louloute", une chanson de l'album La gueule de l'emploi, qui parle de la danse, collait bien à une œuvre de Degas.

Des concerts sont prévus mais pas encore annoncés ? Une tournée va être dévoilée ?
On espère et on a hâte. On a bossé avec une amie pour la mise en scène et sommes très fiers du résultat. Il y a un grand écran sur scène mais on l'a plus intégré comme un partenaire que comme un élément de décor. On a ensuite pas mal bagarré pour obtenir le droit de montrer les œuvres. On conserve bien entendu le ton mariole et déconneur de Lénine Renaud mais cette fois, c'est davantage un spectacle qu'un concert. On sera le 1er décembre au Café de la Danse à Paris et on attend plein de dates à venir.

Le dos du tableau au dos de la pochette, la palette, tout est dans le thème, jusqu'où allez-vous pousser le concept ?
On va essayer de repeindre les spectateurs, où alors donner une feuille et des couleurs à chacun et exposer tout ce qui sera réalisé pendant les concerts. On aimerait encore s'acheter un canadair pour repeindre certaines villes.

Des groupes ont déjà fait venir des peintres sur scène pour créer une œuvre le temps du concert, c'est un truc auquel vous pensez ?
L'idée du concert dessiné était et est encore dans les cartons, faut qu'on réfléchisse à la faisabilité technique mais pour le moment on vous invite à venir visiter notre petit musée, on est pressé de jouer notre spectacle.

Jeter de la soupe Campbell sur des Tournesols, c'est un bon moyen de faire avancer la cause climatique ?
Perso, je n'y crois pas une seconde. Il est clair que cela fait un gros gros buzz médiatique mais ça ne met pas l'accent sur l'urgence climatique. Cela ne questionne ni les médias, ni les responsables. Le risque est surtout de se couper d'une grande partie de l'opinion. On risque avant tout de voir la sécurité des musées se renforcer lourdement et de mettre un temps fou avant de pouvoir y entrer. Faut pas se tromper d'ennemi et avant tout, il faut se documenter et pointer les vrais coupables. S'attaquer aux sièges des responsables, leur faire une vie impossible, aller salir les jardins des pollueurs, refuser de consommer les merdes qu'ils produisent, afficher dans le périmètre de leurs entreprises des photos témoignant de leur comportement, cela participe à mon avis à une plus large prise de conscience.