Tel un (pungle) lion en cage privé de sa pitance, Damny doit certainement tourner en rond en attendant de pouvoir refouler les planches, à peine lui soumet-on quelques questions qu'il saute dessus et s'empresse d'y répondre...
La situation politique et environnementale mondiale joue-t-elle un rôle dans le retour de La Phaze ?
Je ne crois pas. Les choses ne se sont pas améliorées durant les 6/7 années d'arrêt du groupe mais il est vrai que sans l'avoir prémédité, 2020 est une année particulièrement chargée à tous les niveaux.
Quel a été l'élément déclencheur pour reprendre du service ensemble ?
L'envie de refaire de la musique et s'exprimer à travers ce projet, certainement pas l'argent puisque les caisses étaient vides depuis longtemps (rires). Je crois qu'il fallait voir d'abord personnellement si notre son pouvait avoir une pertinence en 2018, année où nous avons rebranché le courant. Heureusement ça a marché tout de suite, quelque part c'était assez excitant de repartir avec un groupe neuf en quelque sorte.
Le premier titre fait référence à David Buckel, est-il mort pour rien ?
Je crois que l'histoire le dira. Pour le moment, et c'est ce qui m'a frappé et inspiré pour cette chanson, son geste est passé dans l'indifférence quasi générale, juste une ligne dans quelques journaux. Ce n'est pas le geste d'un forcené mais celui d'un avocat talentueux qui a défendu des affaires importantes aux États-Unis. Le monde du spectacle à travers la télévision et les médias en général, préfère les clowns aux martyrs.
Chansons, pétitions, actions coup de poing, sommets mondiaux... et on a l'impression que rien ne bouge, que faut-il faire pour qu'on s'en sorte ?
Je ne suis pas politicien, je n'ai pas la réponse. Voter pour des gens qui désirent mettre en place des programmes qui servent les intérêts du collectif peut-être, non ?
Vous n'avez plus 20 ans mais il y a toujours une énergie de dingue, ça tabasse encore pas mal par moment... Peut-être même plus qu'une jeunesse qui veut faire la révolution mais surtout sur les réseaux sociaux...
Merci. Je crois que notre carburant c'est la scène et qu'on a très à cœur de ne pas trahir les gens qui nous soutiennent depuis nos débuts et ceux qui nous ont découvert plus récemment. Notre public est constitué de gens qui ne se la pètent pas, qui apprécient sans doute notre côté direct et proche. Nous avons fait parfois des choix avec ce groupe qui n'allaient pas dans le sens de nos intérêts privés mais vers celui d'une certaine dignité aux regards du discours véhiculé par les textes. Nous restons positifs, je crois aussi qu'il y a une jeunesse en dehors des réseaux sociaux, qui agit vraiment de manière concrète au quotidien en matières environnementales, civiques ou sociales, et je les salue et soutiens parce qu'il va falloir sacrément se retrousser les manches pour sauver ce qui peut l'être.
Si tu avais 20 ans en 2020, est-ce que tu ferais de la musique ?
A titre personnel, je ne suis pas sûr non. Je crois plutôt que j'irais vivre autre chose en contact avec la nature, peut-être cultiver mon jardin.
Les quelques mots en espagnol sonnent bien, on pourrait en retrouver plus à l'avenir ou tu n'es pas encore assez doué en espagnol (ou en catalan...) ?
C'est possible, aprendo poco a poco ! Ici en Espagne on a un public fervent, nous avons beaucoup tourné ici grâce a Ruben notre super booker de Granada !
"Sourire au teint de glace" a été composé en 2017, tu penses qu'il sera d'actualité encore longtemps ou que la génération selfie/insta va être remplacée par une autre ?
Trop tôt pour le dire. Les types qui ont créé ces outils se sont rendus compte qu'ils avaient mis au point une sorte de truc hors de contrôle qui rend les gens accrocs, tristes et amorphes... Notamment les très jeunes enfants qui présentent de grosses déficiences avec l'usage des tablettes et portables. Le monopole de ce qu'on appelle les GAFA avec Google, Apple et compagnie est si puissant qu'il ne pourra être remplacé que si nous autres, les êtres humains, venons à rejeter cette technologie, ce qui n'est pas près d'arriver car nous en sommes dépendants... La chose qui peut vraiment changer avec le temps c'est l'usage qu'on en fait et il est possible que de nouvelles générations se désintéressent de l'outil... mais au profit de quoi ?
Dans le même temps, les réseaux, c'est sympa pour rester au contact du public quand tout le monde est confiné... Quelles sont les sensations quand on mixe à la maison ?
C'est à la fois agréable et triste, un peu comme l'amour tout seul (rires). Tout ce qui tend à rompre avec les sensations de contacts, de considération de l'autre etc.. nous coupe un peu de notre humanité je crois, le virtuel n'est pas notre fonctionnement naturel mais ça reste un outil pratique à défaut.
L'artwork est signé Carlos Olmo, on le connaît surtout pour ses dessins, par exemple les albums de Mars Red Sky, il l'a créé pour vous ?
C'est parti d'un idée qu'on avait à la base et c'est en fait issu d'une vraie photo qui m'avait choqué sur internet lors d'incendies aux USA. L'idée c'est en gros la maison brûle mais les mecs qui ont le pouvoir et le fric ne veulent pas le voir, ils s'en fichent. Notre label At(h)ome travaille avec Carlos pour pas mal d'artistes, nous avons été mis en lien et il a accroché et développé cette idée à partir de son univers graphique, le résultat est super, il est talentueux.
Parmi les trois golfeurs, il y aurait pu avoir un Donald Trump, si vous y aviez pensé, pourquoi ne pas l'avoir mis ? Et si vous n'y aviez pas pensé, c'est parce que la société est plus à blâmer que les politiques ?
Donald Trump ou un équivalent en Europe ça aurait été trop facile, on ne va pas enfoncer des portes ouvertes. La société n'est pas à blâmer puisqu'elle n'a aucun poids réel, le principe de culpabiliser les gens qui n'ont aucun pouvoir est une rhétorique classique en politique. Le vrai pouvoir appartient à la finance. Les golfeurs de la pochette peuvent bien être courtiers ou rentiers, ceux qui possèdent des milliards se sentent totalement immunisés de tout, c'est pour cela qu'ils n'en ont rien a faire de savoir que leurs actions sur cette planète entraînent le chaos.
Il y a toujours un peu de dub dans un album de La Phaze, la façon de composer est la même que sur les titres plus rock/fusion ?
Oui il n'y a pas vraiment de différence, généralement c'est la mélodie du chant qui détermine quelle couleur va prendre le morceau au final. Pour nous, jouer entre plusieurs couleurs n'a jamais été un problème.
"Haute sécurité" traite de l'incarcération, peux-tu raconter la genèse de ce morceau ?
J'ai rencontré dans ma vie certaines personnes qui ont fait des séjours en milieu carcéral, j'ai toujours été intrigué par l'enfermement, ce qui passe dans la tête des hommes et des femmes, toutes ces années à vivre l'isolement, etc. "Haute sécurité" est un des seuls textes romancés de l'album, ça raconte surtout comment il est difficile de s'extraire de son destin lorsqu'on a fait certains choix de vie : la reconstruction, la résilience ou replonger ?
Vous êtes arrivés chez At(h)ome, pourquoi avoir choisi ce label ?
Personne ne voulait de nous ! (rires) Non, question de bon sens, les groupes qu'ils défendent, le côté familial ça nous correspond. Leur longévité prouve qu'ils se démerdent pas si mal dans un marché où les survivants se comptent sur les doigts de la main...
Le titre avec Niko des Tagada Jones s'est fait avant ou après ce choix ?
A la base j'avais pensé à Niko sur le titre "Tabasse" mais finalement j'avais pas trop de place pour lui niveau texte alors on s'est dit qu'on allait faire du sur-mesure, Niko est un ami, tout ça s'est fait avec du bon sens encore une fois. En une soirée, il a bouclé son texte et ses prises de voix, au top !
La situation sanitaire ne s'y prête pas mais vous devez bosser sur le live, il a fallu réapprendre les vieux morceaux ?
Personnellement j'avoue que non. C'est un peu difficile pour moi de m'immerger dans un live sachant qu'on ne tournera pas avant une date impossible à déterminer. Mais comme le vélo, une fois la machine relancée on devrait s'y remettre avec une bonne suée...
Ne pas pouvoir jouer ces derniers mois et en 2019, c'est plus difficile moralement ou financièrement ?
Les deux je pense, chacun d'entre nous vit des situations différentes mais moralement déjà c'est une immense frustration, surtout à la veille de sortir un nouvel album et aussi parce que Radical notre tourneur français s'est battu pour monter cette tournée d'automne. Maintenant tout le monde est impacté donc on va pas s'apitoyer sur notre nombril.
Internet a rendu la musique du monde aisément accessible et pourtant, La Phaze reste un groupe assez unique, ça fait quoi d'avoir peu de collègues dans le même registre ? J'ai l'impression que cette scène qui osait fusionner un peu tous les styles était bien plus riche dans les années 90'...
Ça fait qu'on est les tenants d'une scène qui n'existe pas comme l'a si bien formulé notre ancien boss de label. A quoi je répondrais qu'il vaut mieux être seul que mal accompagné ! (rires)
Nous avons des affinités avec d'autres groupes en France mais en effet on est les seuls à faire ce mélange particulier qui plaît ou déplaît. Je crois qu'il y a toujours des artistes qui fusionnent différentes choses au sein de leur musique mais ce qui est imposé par les gros médias radio, TV et plateformes digitales est majoritairement pauvre et standard. La musique depuis l'effondrement du disque est un moyen pour les marques de vendre leurs produits, l'immense majorité des artistes mainstream l'ont parfaitement intégré et leur priorité n'est pas de chercher à se distinguer ce qui peut donner le sentiment qu'on va sur itunes comme on va au Mc Do.
Dans ce numéro, on revient aussi l'album éponyme de Silmarils qui fête ses 25 ans, c'est un groupe qui vous a inspiré ?
J'ai écouté "Cours vite" quand j'étais ado et j'avais bien kiffé. Honnêtement ce n'est pas un groupe qui nous a inspirés mais leur énergie est fédératrice. Je suis tombé par hasard sur un live qu'ils ont fait en simultané pendant le confinement et j'ai trouvé que les mecs prenaient un vrai plaisir ensemble et ça sonnait bien donc tant mieux pour eux.
Aujourd'hui, y-a-t-il de "jeunes" groupes qui apportent quelque chose de frais et d'inspirant ?
Il y a des tas de musiciens qui apportent quelque chose de frais heureusement.
En France je ne suis plus au fait de la nouvelle scène si ce n'est d'avoir découvert le groupe Imparfait dont j'aime le jeu et l'énergie et que j'espère qu'on aura l'occasion de croiser un jour post covid.
Nous aussi, on aimerait croiser des groupes post-covid... Et La Phaze figure dans le haut de la longue liste tant leurs concerts évoquent de bons souvenirs ! Merci Damny, merci La Phaze et merci Olivier et At(h)ome.
Photo : Carlos Olmo