Kerosene : la couv Salut Dan, peux-tu tout d'abord te présenter ?
Dan de Kérosène, Daniel Gérardin pour les intimes, technocrate de l'indépendant et moniteur de colo pour groupe de rock de Besançon. Je m'occupe du fanzine Kérosène depuis 95 et n'avais rien fait de bien spécial avant. Simplement vu quelques concerts, acheté des disques et lu beaucoup de magazines de rock. Depuis 95, avec l'asso Kérosène basée à Nancy où je finissais mes études, j'ai donc sorti ce fanzine (12 numéros), organisé des concerts (une trentaine entre 96 et 2000), sorti des disques (deux compilations, deux 45t, deux albums - Marshes, Second Rate - et deux maxis), essayé de faire de la vente par correspondance et participé à pas mal de projets divers. Pour cause de surchauffe du moteur et le temps de réparer, il y a eu un break de deux ans entre 2001 et 2003, je suis passé d'Est en Ouest, de Nancy à Montaigu. Et cette année j'en ai donc remis une couche, avec une nouvelle équipe et sur des bases différentes. A part ça, je suis chomeur jusqu'à la fin de l'année, bientôt la trentaine et jusque-là, je profite de mon temps libre pour faire toutes ces conneries.

Un des événements marquants de cette année dans le monde du fanzinat, c'est le retour de Kérosène dans les distros et en VPC…Pourquoi avoir stoppé et repris du service ?
Bon, je vais essayer d'être bref… Kérosène a stoppé parce que la structure telle qu'elle fonctionnait à Nancy allait droit dans le mur. Trop d'activités, une mauvaise gestion généralisée, des coups durs (le split des Marshes fin 2000 a été le début de la fin), pas assez de participation et de "travail" pour assurer… Je pense tout simplement que j'ai voulu trop en faire à un moment où ce n'était plus gérable. Résultat : panne de moral, début de galères, malaise qui s'installe et grosse envie d'aller voir ailleurs avant explosion (sans jeu de mot). L'asso Kérosène finit par être dissoute à Nancy et par le hasard des choses, je me retrouve à Montaigu, mais sans pour autant me résoudre à envisager la fin pure et simple de Kérosène. Je ne me voyais pas lâcher le truc comme ça et je me sentais surtout mal dans mes pompes par rapport aux abonnés… Alors j'ai cogité dans mon coin, tout en participant un peu à la vie locale (très active), mais sans vraiment savoir comment relancer la machine. Puis j'ai accompagné les Second Rate lors de leur aventure en Angleterre en février 2002 et c'est là que tout est revenu d'un coup. L'envie et la motivation surtout (rien de tel qu'un bon shoot de rock n'roll !!!) mais aussi les idées, dont une en particulier : celle de faire un fanzine gratuit. C'est en voyant l'impact d'un fanzine comme Fracture que j'ai commencé à me dire "ben oui, tiens, pourquoi pas ?" et à réfléchir sérieusement là-dessus. Un an plus tard, presque jour pour jour, le numéro zéro sortait... C'est pas beau, ça ?

Le fait que Kérosène soit gratuit, c'est une envie pour toi de permettre au public des concerts de se procurer facilement le zine pour leur faire découvrir ta passion, ou bien c'est pour brasser des biftons de 100 € avec la pub dans le zine ?
Alors justement, ce qui m'a tout de suite plu dans la démarche de Fracture, c'est que t'arrivais à chaque concert en Angleterre, tu trouvais une pile de 50 exemplaires du dernier numéro à l'entrée, et la fin du concert, il n'y en avait plus un seul. On venait même nous demander si nous, on n'en avait pas ! Ça veut dire qu'en deux semaines, avec tous les concerts dans le pays, Fracture pouvait largement écouler ses 5000 exemplaires. Le contenu reste du pur fanzinat, intègre et indépendant, le public est demandeur, le prend plus facilement, il n'y a pas de galère d'argent à récupérer dans tes points de dépôt, les pubs ne sont pas trop gênantes car elles font quasiment office de news et souvent elles sont chouettes graphiquement. Franchement, ça simplifie grave la vie et même si on est encore très loin de brasser les dollars avec Kérosène, je suis assez content que ça puisse fonctionner à peu près correctement. La diffusion n'est pas encore vraiment celle que j'aimerais mais comme la pub nous paye juste l'impression du zine et que les envois coûtent cher, on ne peut pas tout se permettre non plus. Alors, pour répondre à ta question : oui, Kérosène est gratuit pour permettre au public de se le procurer plus facilement et aux labels et groupes de faire passer leurs infos. De toute façon, avec la disparition progressive des petits disquaires c'est de plus en plus difficile d'être diffusé pour un fanzine payant et la seule autre option aurait été de faire un zine vendu uniquement par correspondance. Mais là, au lieu d'en faire 3000 exemplaires, on en aurait fait 500… et ça me semble plus intéressant de toucher un maximum de monde.

Kérosène, c'est Dan, mais qui aussi ?
A Montaigu et en fonction de leur temps libre, il y a surtout Richard qui s'occupe des sous et du courrier, Lucie qui fait une grande partie de la mise en page du fanzine, Fabienne qui aide sur la compta, John et Matthias qui travaillent sur un site internet, Marie qui développe nos photos ou encore Charly, Doumé et Emoon qui écrivent dans le zine. Il y a aussi Steph qui s'occupe de la liste de distro Ainu qui écrit aussi dans Kérosène et organise pas mal de concerts, avec qui on "collabore" bien et souvent. Ensuite il y a les rédacteurs de tous horizons : les célèbres Gwardeath et Brotherfab, Sam de Second Rate, Bruno du zine Roccko et ses Frères, JIF du collectif Ashbin Citizen, Steph du label Dangerous At Drive, Olivier du zine Imodium, Herbert de… Herbert, Fafa de Waiting For An Angel, etc… Et puis je crois savoir qu'il y en a d'autres, non moins illustres, qui vont nous rejoindre pour les prochains numéros…

Dans ce fanzine, ce qui m'a toujours marqué, c'est ce graphisme irréprochable, et surtout ces photos carrément hallucinantes : c'est toi qui les fait toutes, tu bosses dans la photo dans la vie ou quoi ? Tu as une passion pour l'artistique ?
Merci pour le compliment déjà, mais je n'irai pas jusqu'à dire une passion pour l'artistique… plutôt un grand intérêt pour les visuels à la rigueur. Avant, quand Kérosène était à Nancy, c'était Seb qui prenait la plupart des photos (plus de la moitié des couvertures de Kérosène, c'est lui) et on pouvait plus parler de vrai "photographie" avec une certaine technique. Moi c'est un peu le hasard, j'y trouve un certain plaisir mais ça reste du pur amateurisme (du voyeurisme dans certains cas !)… De temps en temps, j'en prends des bonnes comme celle de la couverture du dernier numéro ou quelques autres mais ça ne va pas plus loin. Et toutes ne sont pas de moi non plus ! En ce qui concerne l'artistique en général, c'est vrai que je tiens particulièrement à tout ce qui est graphisme, mise en page, etc… ça fait partie des choses qui me plaisent le plus dans le fait de faire un fanzine. Maintenant Lucie s'en charge avec moi et ça donne une touche un peu plus cohérente et aérée qu'avant, tout en gardant le même esprit... En tout cas, c'est surtout pour essayer d'être le plus agréable à lire, pas spécialement pour faire de l'art. Tu me flattes, là.

Avec Prehisto et Vampire, Kérosène a permit de sortir le premier album de Second Rate : quel sentiment te procure le split du groupe ? Penses tu qu'ils ont apporté beaucoup à la scène punk rock française ?
J'ai des sentiments un peu partagés du fait que je suis très proche d'eux mais je ne suis pas vraiment surpris qu'ils arrêtent. Je trouve ça dommage parce que je pense qu'à un moment donné, un simple break de quelques mois leur aurait fait grand bien. Mais c'est peut-être mieux, ça m'aurait fait chier de les voir devenir petit à petit moins classes. Ça va faire un grand vide et personnellement, ils vont me manquer, c'est certain ! Je pense qu'ils ont apporté beaucoup dans le sens où ils ont su (re-)montrer à une certaine scène indé que c'est en jouant partout et dans n'importe quelles conditions qu'on faisait tourner le grand cirque du rock n'roll. Exactement comme l'ont fait avant eux Drive Blind, Burning Heads, Portobello Bones et d'autres… Rien que pour ça, ils ont eu de l'importance. En tout cas, ils seront forcément dans le prochain Kérosène, j'attends leur dernier disque avec impatience et j'espère qu'ils vont en mettre plein la vue sur leurs dernières dates en octobre.

Depuis quelques mois, on sent un engouement du public pour la scène dite "émo" : qu'en penses tu ? phénomène de mode avec des d'jeun's qui délaissent leur casquette à l'envers pour porter des badges, ou véritable intérêt du public ?
J'en pense que ça passera et de toute façon, cette étiquette "émo" s'applique à tellement de styles différents qu'elle va bientôt être aussi souvent citée que "rock" "pop" ou "metal" . Ce qui me gêne plus c'est de voir que ce sont souvent des groupes merdiques sortis de nulle part qui en bénéficient, des gros labels qui matraquent les médias avec leurs daubes étiquetées "émo" (exactement comme quand la tendance était "grunge" , "punk-pop" , "néo" ou "pop-rock" ). Pour moi, ce sera un réel intérêt du public quand ça aura des répercussions dans les locaux de répète et que des centaines de d'jeun's se mettront à la musique pour jouer ça, comme pour le punk-rock. Après, que le public suive un phénomène de mode, quitte à changer d'orientation de casquette, ça ne me gêne pas. Parce qu'après tout, c'est souvent un phénomène de mode (un son de gratte ou une façon de chanter différents) qui nous a plongés là-dedans à un moment donné dans notre adolescence. On verra bien ceux qui restent quand la tendance sera passée.

Toi, en tout cas, tu n'as pas attendu la mode pour parler de toute cette scène punk hardcore emo et tout ce que tu veux. Mais comment cette passion de la musique a déclenché une envie de faire un zine ?
Déjà parce que j'ai vaguement essayé d'autres voies pour la concrétiser et que ça n'avait pas franchement fonctionné : musicien (malgré une très honorable carrière de bassiste dans deux groupes de reprises quand j'étais au lycée), puis des pseudo-débuts d'étude en vue d'être ingénieur du son (l'idée qui m'est le plus vite passé). Je lisais beaucoup de magazines, bien métal les premiers, plus rock ensuite et j'aimais bien les détailler, imaginer comment ça pouvait être de faire un magazine, d'être journaliste dans Rage et s'appeler Olivier Portnoi par exemple. J'ai mis du temps avant de découvrir les fanzines et les premiers que j'ai lus étaient Hyacynthe, Abus Dangereux ou Le Nouvel Os. J'ai me suis dit que je voulais faire ça mais je ne pensais pas en faire autant et d'ailleurs j'ai vraiment découvert cette musique en commençant Kérosène. Les premières interviews ont été hyper importantes. Avant, ma vision du rock indépendant était plutôt floue et c'était simplement écrire sur les groupes que j'aimais qui m'intéressait. Au fur et à mesure, j'ai appris comment ça se passait et à faire d'autre choses. Avec l'envie de le faire du mieux possible pour que ça serve à quelque chose.

second rate live second rate live Considères tu, à l'instar de pas mal de monde, que Kérosène est un pilier du fanzinat français ?
Je ne vais pas jouer la fausse modestie… à force de l'entendre ou de le lire, j'ai fini par me dire que Kérosène avait une certaine influence dans le réseau. J'ai pu m'en rendre compte avec le temps, en rencontrant des gens, et j'en suis plutôt fier. Ça oui, mais de là à être un pilier, ce n'est pas à moi de le dire ou le contredire. Je dirais plutôt que le fanzinat en général est un pilier pour toute une scène qui fonctionne aussi avec des radios, des organisateurs, des groupes, des labels, etc qui sont d'autres piliers. Pour moi, Kérosène est juste un acteur parmi plein d'autres.
Concrètement, comment vis Kérosène ? Comment fonctionne ce fanzine ?
D'un point de vue financier, il y a essentiellement la pub pour faire vivre l'asso et c'est du bénévolat à 100%. On fait ça dans notre temps libre, moi j'en ai et j'en profite mais ça ne va pas durer éternellement (ça va même sûrement changer bientôt). C'est un peu ce qui m'inquiéterait pour la suite mais chaque chose en son temps... En ce qui concerne la structure, c'est une simple asso avec quelques adhérents qui participent régulièrement ou filent un coup de main quand il y a besoin. Pour le reste, un mlinimum d'organisation et beaucoup de motivation.

Est-ce qu'avec le temps, tu as envie de faire évoluer Kérosène, pour repartir dans l'aventure des concerts, des disques, et tout le toutim ?
Justement, non. On va bien faire un concert de temps en temps (là, Seven Hate le 23 novembre à Montaigu, avec Flamingo 50 et Lack of Reason) et avoir quelques autres activités/participations ponctuellement mais Kérosène ne va pas repartir là-dedans. Il y aura sans doute un site Internet pour venir en complément du fanzine mais c'est tout. Je préfère me concentrer sur le fanzine et faire en sorte qu'il évolue et sorte régulièrement. Ça doit être ce qu'on appelle l'expérience, sans doute…

Peux-tu faire une comparaison entre le dernier numéro de Kéro avant son arrêt, et le numéro 0 : ta méthode de travail, tes collaborateurs… ?
La grosse différence dans la conception de ces deux numéros, c'est que l'un était un monstre de textes (110 pages) qui était attendu et qu'il fallait vendre, tout en gérant d'autres activités en même temps (label, concerts, vpc…) ; l'autre nettement plus léger (52 pages) que personne n'attendait et qu'on allait donner aux gens sans avoir à se soucier d'autre chose. Donc forcément c'est pas la même chose… Comme j'avais pris le temps de bien préparer le truc (en faisant des budgets avant plutôt qu'après, par exemple), il a été plus "facile" à faire. Surtout qu'avec Lucie pour travailler la mise en page et Richard pour gérer la structure en même temps, j'ai un peu plus de temps pour écrire et ça arrange bien quand le bouclage approche ! Sinon, la "méthode" n'a pas réellement changé, même si les rédacteurs ne sont plus les mêmes, à deux ou trois exceptions près. La différence c'est peut-être qu'on s'est donné les moyens d'être un peu plus lisible qu'avant, en essayant de ne pas trop charger en pubs… avec ce que ça implique comme organisation.

Que penses tu de zines comme Mélodick, No Brain, et pourquoi pas le W-Fenec, zines sur le net qui développent leur passion pour la musique quotidiennement sur la toile ?
Ben c'est classe ! Il y a des tas de façons de développer sa passion et de participer à faire vivre le truc, Internet en est une autre et c'est plutôt cool que beaucoup s'y retrouvent. Après, ça a peut-être causé de gros dommages au fanzinat papier et pour ça, c'est plutôt dommage. Il y a de la place pour les deux supports, même si je suis bien placé pour savoir que l'un des deux est plus difficile à gérer financièrement. J'ai aussi l'impression qu'il y en a beaucoup, des webzines (qui se ressemblent souvent), peut-être trop pour que je m'y retrouve, mais je n'ai pas d'idée précise du nombre de personnes que ça peut toucher et ceux que tu cites sont plutôt à classer dans les bons et sérieux. On y trouve pleins de bonnes choses (photos, infos, actus récentes, contacts…), on entend les gens en parler dans les concerts, c'est sincère, bien foutu, facile et pratique d'accès. Tant que ça garde cet esprit passionné, désintéressé (et comme te le dirait tout technocrate de l'indé), ça contribue au développement de la scène. C'est comme être organisateur de concerts dans sa ville ou distributeur d'un label japonais.

Sans réfléchir, cites moi tes cinq groupes cultes ?
Sans réfléchir, les 5 groupes qui ont eu le plus d'importance à des degrés variés pour moi : Burning Heads, SuperSuckers, Second Rate, Marshes, et pour le 5ème, j'hésite entre Samiam, Fugazi et Jawbreaker. Ce sont aussi ceux que j'ai le plus écoutés (avec AC/DC et Motorhead peut-être) donc ça doit être mes 5 groupes cultes.

Forcément, quand on est dans le fanzinat, il y a des rencontres qui marquent plus que d'autres…Peux tu nous citer une rencontre inoubliable ou peut être simplement forte ?
C'est sûr que les rencontres ne manquent pas et il y en a beaucoup qui ont été très marquantes. Alors en citer une parmi d'autres qui auraient tout autant de valeur, c'est pas évident. Mais je vais choisir celle qui a sûrement fait que Kérosène existe et a évolué comme ça (et moi avec !) : celle avec les Burning Heads, en concert en 93 d'abord, puis pour leur première interview dans Kérosène en juin 95. D'un seul coup, j'ai pris en pleine face cet état d'esprit du réseau indépendant que je ne connaissais pas encore tout à fait et c'est à peu près à ce moment-là que j'ai su vraiment où je voulais aller. Sans compter la réelle découverte d'un style musical que j'allais adorer. Je leur dois presque tout, voilà… Sinon, la deuxième interview de sa vie, la faire avec Fugazi, ça calme aussi. Et Second Rate bien-sûr, pour tous les moments intenses.

Kero, c'est reparti pour vingt ans ?
Ça m'étonnerait, ou alors il faudrait que ça puisse continuer sans moi. Ça demande trop d'implications, en temps et en énergie. J'ai déjà sacrifié pas mal pour Kérosène et je me vois mal tenir des années et des années à ce rythme, je vais devenir cinglé sinon ! Par contre, je ne m'imagine pas du tout quitter complètement la musique et cette "famille" indé dans laquelle je me sens bien. Il y a encore des tas de choses à faire !

Dernière question Dan, c'est à toi de me la poser.
Ok. Qu'est-ce-qui te surprend le plus dans ce que je viens d'écrire ?