Juniore - trois deux un Parfois, il n'y a pas plus jouissif que de tomber sur un titre publié sur une playlist trouvée par hasard sur une plateforme de streaming qui vous embarque un peu par accident dans un univers auquel vous n'auriez jamais pensé y foutre les pieds. Ça m'est arrivé avec "Le silence", un morceau d'un groupe parisien nommé Juniore : une guitare très sixties (proche des Shadows) au son sec et à la réverb' imposante démarre, puis une voix désabusée et fragile - mais extrêmement charmante - prend le pas, et le morceau s'emballe en rythme dans une ambiance semblable à celle de la période pop yéyé, relevée par un zeste de clavier avec un arrière-goût de La Femme. En cherchant un peu, je découvre que l'un des membres de ce trio (quatuor sur scène avec la bassiste Lou Maréchal) est Samy Osta, producteur du premier album (et de loin le meilleur !) de... La Femme, et qui a aussi œuvré sur des albums de Feu! Chatterton, Rover et Forever Pavot. Les chiens ne font pas des chats.

Juniore est une formation montée il y a plus de 10 ans par Anna Jean (fille de l'écrivain JMG Le Clézio, connu pour avoir remporté le Prix Renaudot en 1963 et le Prix Nobel de littérature en 2008) et qui a trois albums et pas mal de singles et EPs à son actif. Je décide d'aller voir d'où sort cette chanson fraichement découverte et appréciée, et je tombe sur Trois, deux, un, le troisième album du groupe lâché sur les Internets le lendemain de mon anniversaire, en septembre dernier. Je l'écoute d'une traite d'abord, puis me le repasse plusieurs fois pour finir par ne plus décrocher. Je ne pensais pas qu'on puisse en 2024 faire une musique autant inspirée de la pop sixties et en tirer quelque chose d'assez unique, tant dans le son que le style, la voix, la façon de faire parler les instruments, les arrangements, etc... Et le pire dans tout ça, c'est que je me demande comment j'ai pu passer à côté de Juniore en 10 ans, quand tes copains/copines te répondent d'un air hautain : "Attends, mais t'es sérieux ? Tu ne connaissais pas ?". Où étais-je ?

Alors, j'ai rebroussé chemin dans la discographie de Juniore. Un peu comme eux-mêmes l'ont fait avec ce nouvel album (le deuxième s'intitulait Un, deux, trois). Je comprends mieux le message qu'Anna a voulu faire passer dans l'interview qu'elle nous a accordée dans ce magazine : "On est passé de l'autre côté du miroir. Tout est pareil, mais tout est différent aussi". C'est exactement ça, car je ne serais pas aussi dithyrambique sur les deux premiers LPs, qui posent une base puis affirment une identité, certes, mais ne font pas la différence selon moi par manque de recul, en respectant peut-être trop leurs influences de jeunesse (Françoise Hardy, Jacqueline Taïeb, The Beach Boys, Pixies) ou plus récentes (La Femme, La Luz...). D'autant plus que la sortie de son prédécesseur, à la fin février 2020, a été bousculée quelques temps après par le premier confinement lié à la pandémie de COVID. Juniore a dû tout annuler. Je vois plutôt Trois, deux, un comme une sorte de revanche sur cet épisode passé injuste, si ce n'est pas une évolution de leur mode/méthode de composition.

Ceci étant dit, Trois, deux, un s'évertue en 13 titres à varier les ambiances et les tempos (pop psychédélique, yéyé, chanson française, surf music, slow, garage 60's...) pour tuer la monotonie et laisser les émotions et l'attention de l'auditeur en alerte constante. Juniore n'essaye jamais de répéter un plan ou une suite d'accord entendue trois titres avant (sauf pour le chant qui se diversifie peu finalement), et c'est ce qui caractérise sa réussite. Nos coups de cœur ? L'entrain rock de "Le silence", la mélancolie d"Amour fou" et, allez, la coolitude assumée de "Méditerranée".