Jack and The Bearded Fishermen Salut les Jack. Vous voilà de retour après quasiment 8 ans d'absence. Que s'est-il passé depuis la mise en sommeil du groupe... on peut même parler d'hibernation, non ? Qu'est-ce qui a motivé de reprendre les activités du groupe ?
Thomas : Hello ! Effectivement ça fera exactement 7 ans depuis notre dernier concert, mais si on veut être précis on a repris les répètes fin 2019, avec l'envie de rejouer rapidement, mais avec la pandémie, le temps s'est dilaté et notre premier concert aura donc bien lieu 7 ans après ! Même pour nous ça fait bizarre, c'est extrêmement long !
Entre temps, on a fait pas mal de choses, on a tous des autres groupes, VV et moi avec Red Gloves on a un peu tourné, Pete et Boris ont sorti un album avec Go Spleen et Bastien a fait grandir son groupe Electro/EBM, Horskh, avec qui il a sorti plusieurs albums et notamment tourné avec Igorrr. VV a aussi monté un autre groupe avec Boris, Mercury Hill.
On s'est retrouvé au bout de 4 ans à ne pas trop savoir si on allait reprendre ou pas, sans que personne n'ose aborder le sujet. On a donc provoqué une discussion, tout le monde avait envie, ça semblait le bon moment, on a refait une répète et le plaisir était toujours là. On est amis depuis très longtemps, ça nous a fait du bien de nous retrouver ensemble dans un local.

Le retour aux affaires de J&TBF était-il nécessairement conditionné, dès vos retrouvailles dans un local, à la création de nouveaux morceaux et à la sortie d'un nouvel album ?
Thomas : On a donc repris avec un sens du timing exceptionnel fin 2019, avec l'envie de rejouer rapidement, refaire les anciens morceaux, voir ce que ça dit et se laisser guider par nos envies pour la suite. On avait donc prévu de refaire un premier concert en Mai aux Passagers du Zinc à Besançon, dans un lieu où on adore jouer et de tourner un peu ensuite. Aucune pression, juste l'envie de prendre du plaisir à rejouer ensemble et retourner jouer dans des lieux et des villes qu'on aime.
Tous ces plans sont vite tombés à l'eau, donc on s'est dit qu'on allait profiter de ce temps pour composer de nouveaux morceaux et de manière assez incroyable, on est allé assez vite pour composer. Certains d'entre nous avaient déjà des bribes de morceaux, mais le plaisir de composer ensemble est vite revenu, et avec une efficacité qu'on n'a pas connue auparavant, il me semble ! De fil en aiguille, on a refait pas mal de morceaux, les dates prévues étaient sans cesse annulées ou repoussées, on a finalement acté le fait qu'on ne rejouerait pas avant d'avoir un nouvel album, d'être patients et de faire ça bien. Au final, on revient donc 7 ans après avec un nouvel album, c'est encore mieux !

Playful winds est votre quatrième album et sort en autoproduction. Qu'est ce qui a motivé le fait de ne pas sortir le disque par le biais d'un label ou même par une coprod' de plusieurs labels comme il en a été question avec Minor Noise ?
Hervé : Les années qui viennent de s'écouler ont été tellement étranges... C'était difficile de se projeter dans quoi que ce soit de manière sereine. Ça nous semblait compliqué dans ce contexte, sans avoir joué depuis un moment de solliciter des labels pour prendre des risques pour un groupe qui n'a pas joué depuis un moment. On a préféré faire les choses le plus simplement possible et s'occuper de la sortie de ce disque nous-même. On voulait avant tout donner vie à ce disque sans attendre des mois et des années avant de le sortir. C'est aussi pour ça que nous n'avons pas envisagé de pressage vinyl dans un premier temps, vu les délais de fabrication délirants du moment. Maintenant que la version numérique et CD va sortir et que tout est à peu près réglé de ce côté, on est en train de se pencher sur une version LP où nous allons collaborer avec d'autre labels. C'est dans les tuyaux...

Quelle a été la genèse de cet album ? Quel délai s'est écoulé entre la composition du disque et la sortie ?
Hervé : Comme le disait Thomas, on a recommencé à jouer ensemble en 2019 et on avait à cette époque mis quelques idées de morceaux de côté. On a donc mis à peu près deux ans pour écrire et enregistrer ce disque. Le processus d'écriture a été cette fois-ci radicalement différents des autres. On a traversé une pandémie, on est tous très occupés, nous n'habitons à nouveau plus tous dans la même ville. Il a fallu changer nos méthodes pour rendre ce disque possible. On avait pour habitude de répéter intensément, d'écrire ensemble riff par riff et de s'acharner ensemble pour être tous pleinement satisfaits. Le contexte nous a forcés à changer et je crois qu'on a tous adoré ça. On a fait plusieurs sessions de quelques jours où on avait le temps, la tête uniquement à ça. C'était des sortes de parenthèses créatives dans une période très très anxiogène. Entre chaque session il pouvait se passer plusieurs semaines, plusieurs mois, où on travaillait chacun dans notre coin pour préparer la session d'après. Ce mode de fonctionnement nous a poussés à faire les choses de manière un peu plus spontanée, plus simple. On en a fait le leitmotiv de ce disque : la spontanéité. On a pu profiter d'une période où le temps ne comptait plus vraiment, où il n'y avait plus de délai à tenir, de pression de terminer quelque chose. On a pu avancer en se concentrant sur la musique pendant une année au moins. C'était vraiment le bonheur. Ensuite il a fallu terminer le travail commencé et avec le retour d'une vie un peu plus normale, il a fallu passer la vitesse supérieure. On a gardé notre envie de spontanéité alors on a avancé instinctivement en collectant les idées qui arrivaient. On a enregistré cet album en deux sessions, en mai et novembre 2021. On a fini le mixage en janvier pour une sortie de disque en mars, autant dire qu'il a fallu être efficace ces derniers mois...

Difficile de classer la musique de J&TBF qui oscille entre stoner saupoudré de noise et heavy rock, avec comme dénominateur commun la mélancolie et les mélodies lancinantes. Est-ce que vos projets parallèles et les mutations de la scène « rock » depuis votre dernier album ont influencé votre musique en 2021 /2022 ? Qu'est-ce que vous écoutez actuellement ?
Thomas : C'était le but de cette pause aussi, se laisser le temps de faire autre chose musicalement et aussi avec d'autres personnes. On a tous eu des groupes pendant cette période (Red Gloves, Horskh, Go Spleen, Mercury Hill) avec qui on a tourné et enregistré des albums, ça a forcément enrichi et nourri nos influences. On sait mieux ce dont on a envie, continuer à creuser un sillon musical et une identité sonore qu'on veut affiner. Avec l'expérience on arrive plus facilement à retranscrire nos idées et envies. Effectivement, la mélancolie, les mélodies mineures, la lourdeur et l'efficacité font partie des idées directrices.
La période musicale est plutôt stimulante actuellement, un bon mélange de nouveautés et de fraicheur notamment dans la scène Punk HxC (Turnstile, Angel Dust, Gender Roles) mais aussi des reformations de groupes qui reviennent avec des albums incroyables (Quicksand, Failure, Hot Snakes). En France aussi, c'est assez stimulant entre l'ancienne garde (Hangman's Chair, Lane, etc...) et toute une nouvelle génération qui fait plaisir à voir (Lysistrata, Psychotic Monks, The Huile...).

J'ai deux souvenirs très précis des Jack sur scène. Le premier, c'était pour la release de la compil' Migthy où vous aviez partagé la scène avec Generic et les Flying Donuts. C'était la première fois que je voyais le groupe en live et on m'avait soufflé dans l'oreillette ce soir-là que vous étiez des stakhanovistes des répètes. Le deuxième, ce fût dans un caf' conc' de Gérardmer en 2014, lors de la sortie de Minor Noise où j'ai été soufflé par la puissance de la prestation que je qualifie toujours avec le recul d'hypnotique. Le live a-t-il la même importance que les expériences studios ? Prévoyez-vous de tourner intensivement pour ce disque ?
Thomas : Oui, on n'envisage pas la sortie d'un album sans faire des concerts derrière. On prend ça aussi en compte dans la composition, en recherchant une certaine efficacité live. Pendant la première période du groupe, on répétait effectivement très intensément, principalement car nous en avions besoin. On n'a jamais eu un niveau technique incroyable, j'ai par exemple commencé la basse pour jouer dans le groupe, donc il y avait du taf ! On était plus jeunes, on avait du temps, et on prenait plaisir à répéter pour avoir un rendu efficace. On suivait aussi l'exemple de nos « grands frères » de The Irradiates, qui répétaient et tournaient énormément. C'était un bel exemple à suivre et on se tirait un peu la bourre, c'était très stimulant.
Pour cet album, on va tourner un peu, mais on n'a plus les emplois du temps de l'époque. On travaille tous à côté donc on fera moins mais on a déjà une dizaine de dates prévues entre mars et juin, et d'autres pour la fin de l'année

Jack & The Bearded Fishermen - Playful winds Quels sont les thèmes développés dans les paroles de ce nouveau disque ? Le cinéma ou la littérature sont-ils des inspirations, ou bien c'est tout simplement les expériences de la vie qui dictent vos lyrics ?
Hervé : Le titre de cet album reflète l'humeur collective dans lequel nous avons composé ce disque et écrit les textes. On a essayé de se laisser porter par un souffle collectif frais, joueur. Pour les paroles, j'ai toujours laissé les choses venir d'elles même. Tout est susceptible de se transformer en chanson. Il faut juste être curieux et attentif à ce qui nous touche. Un film, un livre, une expérience, un sentiment, une rencontre, un événement.
J'essaie de travailler sur les textes en laissant la possibilité aux idées d'avoir leur propre vie, de voir ce qui se décante et vient avec le temps, laisser libre court aux rêves, aux divagations, au hasard... J'aime aussi laisser du mystère dans les histoires, même pour moi. Par pudeur et par goût. Face à n'importe quel objet culturel je n'aime pas être tiré par le bout du nez, qu'on me dicte quoi ressentir ou quoi penser, j'aime bien rester libre. Alors j'essaie de faire la même chose : je construis un petit univers et je laisse beaucoup de marge d'interprétation.

On a toujours l'impression d'entendre un mur du son alors que chaque instrument est dissociable à l'oreille (ce qui fait la force de l'ensemble) avec toujours ces sensations d'urgence et d'instinctivité comme fil conducteur de votre musique. Bonne analyse docteur ? Un morceau des Jack doit-il toujours être puissant ou c'est toujours la mélodie qui doit primer ?
Thomas : Très bonne analyse ! On y a déjà un peu répondu dans les questions précédentes, mais effectivement on essaie d'avoir un rendu puissant porté par une mélodie très présente. On recherche un équilibre entre ces deux contraintes, avec trois guitares ça laisse pas mal de possibilités pour obtenir ce résultat, et on a toujours pris le temps de travailler pour que les sons se mélangent tout en gardant leurs identités. Par exemple lors des enregistrements, depuis 2011 on a gardé l'idée géniale de Serge Morattel (avec qui on a enregistré l'album Places to hide) d'enregistrer la basse en dernier, pour lui trouver la place idéale dans le mix de 3 guitares.

J&TBF version 2022 est-il fait pour durer ? Vous discutez déjà de continuer sur votre lancée et de produire un nouveau disque ?
Hervé : Très franchement, on en a aucune idée... On a toujours fonctionné à l'envie et on n'a pas de raison de changer la recette. Ce groupe c'est une longue histoire d'amitié, mais aussi une complicité artistique forte entre nous 5. On essaie de toujours continuer de construire un univers musical singulier et on aime tous ça. J'ai donc envie de te dire qu'aujourd'hui il n'y a pas de raison qu'on ne poursuive pas a écrire cette histoire. Mais la vie réserve pas mal de surprise alors mieux vaut rester prudent.

La pochette est vraiment chouette, avec des couleurs plus gaies que les précédents disques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Thomas : On avait une idée de ce qu'on voulait, on voulait continuer à utiliser une photo pour être dans la continuité des précédents albums, mais on voulait de la couleur, sortir du noir et avoir quelque chose de lumineux. On avait prévu un travail avec un photographe qui n'a pas pu se faire et on a dû retrouver une solution rapidement. Une amie photographe nous a conseillé le travail de Blanca Vinas, photographe espagnole, et en le découvrant on a passé des heures d'émerveillement devant ses photos, toutes ses techniques différentes, des ambiances incroyables et beaucoup de couleurs. Le choix n'a donc pas été facile mais on s'est arrêté sur cette photo, avec de la couleur, de la perspective et une ambiance qui nous parlait. On a demandé à notre amie Flo Impure de construire une pochette en partant de cette photo, elle a bien réussi à la mettre en valeur, on est très contents du résultat.

Une dernière chose à ajouter ?
Merci à vous pour ce que vous faites depuis tant d'années et merci de nous suivre depuis nos débuts ! On a une dizaine de dates prévues en 2022, on espère vous croiser rapidement !