Interzone, c'est un espace temps remplie de poésie. Une douceur qui apaise et pousse à la contemplation. La pluie, un insecte qui vole, la tristesse des trottoirs tout devient prétexte à voyager sans bouger de là. Le conte se chuchote dans l'air. Chaque jour est un nouveau récit : Interzone (2005), Deuxième jour (2007), Waiting for spring (2013). Ici l'Orient est le frère de l'Occident. Le Oud de Khaled Aljaramani (Bab Assalam) rencontre la guitare de Serge Teyssot-Gay (Noir Désir, Zone Libre, Kintsugi) dans un équilibre rare. L'histoire continue, le duo présente son nouvel album avec Kan ya ma kan (2019).
Les premières de notes de l'album sont pour le oud de Khaled Aljaramani sur le titre "Kan ya ma kan". Serge installe rapidement une boucle discrète dans le fond. Le chant est planant, le morceau est lumineux et trempé dans les vents chauds de l'Orient. Les paroles dans un espace court laissent passer un tout autre message : "ils sont blessés, ou désespérés, ou ont disparu". Quand le chant s'éteint les deux musiciens font parler leurs instruments qui donnent l'impression de se répondre. Avec un début lent dans le rythme, chacun prend le temps de poser des notes comme on hésite à poser des mots. La mélancolie est intense. Et puis le vent tourne et tout s'affole, part au pas de course. Dans un mariage parfait, le traditionnel et l'électrique dansent ensemble. Plus long morceau de l'album "Ivresse" touche les 8'29. Ici les textes sont empruntés à Ibn Al Faridh (1181-1234), un des plus grands poètes mystiques du soufisme de son époque. Une traduction intégrée dans la pochette nous offre un extrait : "En hommage à l'Aimé nous avons bu du vin, avant que la vigne naisse nous avons atteint l'ivresse".
Sur chaque album d'Interzone, un morceau m'attire comme l'abeille sur le miel. Alors, je reviens indéfiniment sans perdre une goutte du nectar. Cette fois ci c'est "Paradis perdu" qui endosse ce rôle. Le rêve offre la chaleur des bras de l'amante. Le réveil est sa mort. C'est la complainte de celui qui ne sait plus où vivre. Interzone atteint des sommets dans la complémentarité. Pendant quelques instants, tout semble dans le noir. La musique semble placer Sergio sous un unique projecteur pour faire pleurer sa guitare en solo. Le chant de son instrument s'élève superbement. "Erik Satie" et "Like wings" laissent galoper les songes calmement dans un univers instrumental. Khaled Aljaramani revient placer sa voix sur un chant de caravanier "Hala hala haïe". Le morceau est remarquable par ses changements d'états et d'intention. Après quelques airs de prière, son oud reprend de la vitalité pour agiter le morceau. Comme pour offrir un dernier souffle à "Paradis perdu", "Fête d'adieu" revient sur un thème musical proche. Et c'est pour le mieux. "Aller-retour" vient au terme de Kan ya ma kan sur un parfum hypnotique.
Le quatrième jour du conte d'Interzone est terminé. Le monde est devenu rêve, soufflons sur les bougies. Puisque que tout est l'affaire de cycle, repassons la bande sans fin. Au moins le temps de voir arriver la prochaine aventure.
Publié dans le Mag #38