Interpol Il est des albums qui demandent des avis à froid. Dans le cadre du quatrième effort glacial d'Interpol, ce principe s'érige presque en évidence. Jamais depuis Turn on the bright lights le groupe n'avait autant assumé la direction de sa musique. Lents, massifs, sombres mais déterminés, ces 10 nouveaux titres s'appréhendent comme un tout : ils participent tous, véritablement, à la construction d'un édifice ambitieux et réfléchi. Des envies de gigantisme auxquelles fait écho la pochette (le nom du groupe en blocs de pierre se reconstituant - et non l'inverse). C'est ici que surgit le premier bémol de cet LP : le concept n'est pas forcément très clair, et les premières écoutes déroutent ; il ne s'agirait que d'un Interpol un peu mou, un peu chiant. En passant outre cette (mauvaise) première impression, on devient à même d'apprécier, ou du moins de comprendre davantage l'ensemble. Surgit néanmoins le second problème : on a quasiment affaire à deux albums. Là où les cinq premiers titres, certes moins directs, malgré la tentative habituelle de single que constitue "Barricade", restent très liés au son Interpol, la deuxième partie du disque possède un parti pris qui la rend davantage lisible, et qui, finalement, rattrape presque le tout. Encore faut-il y arriver.

L'aspect "bloc" du disque y est clairement assumé : les pistes se fondent les unes dans les autres, tout en possédant chacune une très forte identité. Les musiciens n'hésitent pas à jouer avec leur propre mythologie en introduisant des aspects jamais explorés dans leur discographie : sifflements et mélodie entêtante au piano sur "Try it on", paroles en espagnol sur "The undoing", travail sur le son (batterie, choeurs notamment). On se retrouve très vite entourés de certains des tous meilleurs morceaux du groupe new-yorkais. Contrairement à des formations dont les envies de gigantisme mènent parfois à une grandiloquence caricaturale (Muse ?) les compositions d'Interpol arborent une posture anti-commerciale avec ce disque. À travers ce (quasi) concept-album, le quatuor (hélas bientôt lâché par leur bassiste) ose enfin toucher le fond, le sien. Un fond qui se veut extrêmement noir, abyssal, passionnant, et qui aboutit à un colosse certes déséquilibré, mais bien plus stable que certaines de leurs sorties passées.