Comment dissocier la perception qu'on a de la musique de sa vie personnelle ? Pour moi, c'est impossible, les sensations procurées sont bien trop fortes pour ne pas les lier à ma réalité. Qui n'a pas été marqué(e) par tel ou tel morceau ou album parce qu'il correspond à un moment précis de son existence ? Comment ne pas ressentir les créations en fonction de son vécu et de son état d'esprit au moment de les écouter ? Qui n'a pas redécouvert un album sous un autre jour parce que sa vie avait changé entre temps ? Il en va de même pour les auteurs, leur inspiration vient d'abord d'eux-mêmes, certains ont la rage, certains sont mélancoliques, d'autres ont juste envie de faire la fête.
Il y a presque 20 ans, je recevais un EP 3 titres dans un beau digipak, celui de 7tone, je découvrais un groupe métal-indus oppressant et je débutais un échange épistolaire (et pas uniquement numérique) avec son guitariste, Greg. C'est lui qui livrait quelques années plus tard La science des fous, œuvre plus personnelle marquée par l'angoisse, le stress, l'inconnu, des démons invisibles. Pour échapper à ceux qui l'envahissaient, la musique ne suffisant plus, Greg a quitté Genève, tenté l'aventure en Allemagne (Hailstones) puis il a tout lâché pour la montagne, son air frais comme seule came au bord des sentiers, il a littéralement disparu puis s'est reconstruit et est revenu. Et j'ai de nouveau reçu un album et un petit mot, un vrai, pas un simple mail. 7tone retravaille dans une autre direction, un autre combo est né (Super-Stoner) mais la première de ses productions s'intitule The Holy Flight. Un projet d'abord solo, les machines et les distos ont volontairement été mises de côté pour revenir d'abord à la guitare. Pas à l'aise avec sa voix, c'est Jipi qui s'occupe des voix pour ce qui devient un duo. Un peu de sonorités synthétiques traînent pour enrober le tout (un peu de rythmique, quelques arrangements) et on se plonge dans un album de blues rock qui allie racines folk et électro.
The holy flight nous emmène sur onze plages (pas celles du bord du lac Léman où allumer un feu de camp est interdit !) où la guitare et la voix se partagent la vedette sans pour autant mettre de côté le rythme. Le départ est un peu rugueux ("The bartender" avec sa dynamique très rock et son habillage un peu froid puis "The lizard" avec une voix égosillée et un solo mordant) puis la tonalité s'adoucit emmenant le duo vers un son plus proche de celui de Denver (l'influence de David Eugene Edwards se ressent sur "Mr. Double" ou "Appolonia") avec un petit détour par Seattle (on trouve cette rage délicate que Nirvana pouvait faire vivre sur son unplugged à l'écoute de "Life has been taken"). L'album amalgame toutes ces influences et propose une musique hybride, marquée par un son actuel (les boucles) et pure (cette guitare !) qui fait honneur aux origines du rock (blues et folk). Une musique non conventionnelle mais vivante, vibrante, qui a des sentiments, à l'image de son auteur et dans laquelle chaque auditeur se retrouvera forcément un peu.
Publié dans le Mag #38