Parfois, le hasard fait bien les choses : cliquer sur la page web d'un événement par inadvertance et ainsi découvrir qu'un obscur groupe américain nommé Here Lies Man joue dans un petit bar de quartier parisien bien connu des admirateurs de musique alternative (dont moi-même) ; tomber sur l'accroche textuelle "Et si Black Sabbath avait joué de l'afrobeat ?", ce qui amène automatiquement à se jeter sur le premier site de streaming pour écouter le seul album des Californiens et se prendre une balafre instantanée. Voilà un peu pour le pitch de ce qui m'a amené à vous parler de ça, et si l'on cherche un peu plus loin, on remarque qu'Here Lies Man est un projet monté par Marcos Garcia, guitariste et vocaliste d'Antibalas, un groupe-orchestre d'afrobeat originaire de Brooklyn bien connu des initiés du genre et des fans de ce que proposent les labels Ninja Tune, Anti-, ou Daptone Records (dont moi-même - bis).
"Et si Black Sabbath avait joué de l'afrobeat ?" donc. Comme dirait Marcos dans l'interview qu'il nous a accordée pour ce numéro : "Personne ne pense qu'Here Lies Man ressemble à Black Sabbath". Finalement, seul le rendu sonore pesant du riffing saccadé des cordes en est l'un des éléments comparables les plus évidents. Même dans la façon de les amener, de les faire tourner, il n'y a pas toujours la présence d'une once de preuve de la comparaison. Le quatuor californien reste souvent trop accroché aux préceptes musicaux de l'art de Fela Kuti ou de Tony Allen, guidé principalement par son rythme reconnaissable parmi mille autres générant des boucles répétitives qui pourraient devenir interminables si les morceaux n'avaient pas de limite de temps sur un support. À travers son œuvre, Here Lies Man recherche en quelque sorte la transe, l'envie folle de se trémousser plutôt que d'headbanger, une certaine frénésie psychédélique vécue par les anciens dans les 70's. À ce titre, le choix de production rétro de l'album en est la caution. Et ce n'est pas un hasard si Marcos ne se lance pas dans des textes à rallonge préférant utiliser sa voix comme un appel de l'au-delà noyé dans la réverb' et la disto, et répétant des phrases (souvent le nom des titres d'ailleurs) de façon irrégulière tel un chaman.
Cela étant dit, Here lies man séduit inévitablement par son groove fuzzy et les rythmiques communicatives de Geoff Mann, fils du flûtiste de jazz et précurseur de la world music Herbie Mann. Pour le reste, le clavier et les percussions n'ont d'autre rôle à tenir que d'habiller le socle guitare-basse-batterie. Ce groupe de rock (pour ceux qui n'auraient toujours pas saisi jusque-là) accomplit admirablement l'ouvrage de la fusion artistique entre les continents, comme l'ont fait des formations plus (Funkadélic, Talking Heads) ou moins vieilles (Foals, Ukandanz, Goat) et désarçonnera sans doute les fans des deux "camps". Here Lies Man est à part et n'est pas prêt d'abandonner puisqu'un deuxième album est prévu pour mai. Cela vous laisse donc un mois pour rattraper le retard, bonne écoute !
Publié dans le Mag #32