Le trio parisien vient tout juste de célébrer la sortie de son cinquième album, L'ennui, dans une Maroquinerie bouillonnante et survoltée, qui affichait complet deux soirs de suite. Digne héritier tout autant que parrain d'une scène punk rock dont l'objectif est de faire du bruit, faire avancer des choses, bien plus que faire carrière, leur longévité est déjà en soi une réussite. Entretien autour de ce qui l'anime, le révolte, l'ennuie avec Till, guitariste / chanteur et membre historique du groupe.
Guerilla Poubelle
Guerilla Poubelle en quelques chiffres c'est 17 ans d'existence, 10 musiciens différents, plus de 1000 concerts partout dans le monde, 5 albums... il était plus que temps que le W-Fenec vous mette à l'honneur ! Attention quand même, pour espérer revenir, faut pas trop dire du mal du métal. Ça va aller ?
(rires) Non ça va, on joue au Hellfest cette année, on ne peut pas dire de mal du métal contractuellement.
En 2007, tu écrivais et chantais "punk rock is not a job" (titre d'ouverture de l'album Punk = existentialisme). C'est toujours d'actualité ? Vous cassez encore le marché ? Pourquoi cette volonté ?
Ouais, on a encore comme tout le monde des jobs dans notre vie civile pour manger, payer nos loyers, acheter des trucs, comme tout le monde quoi. On est libre de faire ce qu'on veut, quand on veut et de la façon qui nous semble juste. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ce n'est pas aux rares groupes "professionnels" à qui on ne pose pas ces questions. Pourquoi avoir quitté vos jobs ? Pourquoi les places de concerts sont-elles si chères ? Pourquoi participer au racket de la Sacem ? Payez-vous vos charges sociales ? Vos impôts ? Quelles concessions avez-vous dû faire pour réussir à survivre de votre activité artistique ? Êtes-vous vraiment de gauche ? J'ai parfois l'impression qu'on se pose les questions dans le mauvais sens.
Le line-up a pas mal évolué au fil des années mais semble s'être stabilisé. C'est d'ailleurs pour la première fois le même sur deux albums successifs. Tu penses avoir trouvé un bon équilibre ?
L'avenir nous le dira mais oui, ce line-up est stable depuis 2014, on a fait environ 600 concerts avec Paul et Antho. L'équilibre est cool je pense. Je crois que j'ai réussi à trouver les deux autres seuls idiots en France capables de s'investir autant dans le punk rock que moi. Et même pire, ils ont encore plus de projets à coté de Guerilla Poubelle que moi !
Le précédent s'appelait La nausée, celui-ci s'intitule L'ennui... on n'est pas trop sur du kikoolol. Et les deux ont été conçus sous le règne de Macron. Coïncidence ?
Ouais, on trouvait ça cool de garder ce format de titre d'album, comme une sorte de séquelle. On verra si on garde ça sur le prochain pour faire une trilogie. La nausée a été écrit pile au moment de l'élection de Macron oui, dans ce climat de basculement ultra-libéral décomplexé et de son ascension fulgurante au pouvoir, conjuguée à une extrême droite toujours aussi installée. On va forcement pas être sur des thèmes abordés trop trop rigolos en effet.
Si on se penche sur les thèmes abordés : lutte de classes, écologie, masculinité, migration climatique... j'ai même l'impression que l'album aurait pu s'appeler La nausée 2, non ? Ou alors "On en a gros", pour citer Kaamelott ?
Oui effectivement, comme je te disais juste avant, on peut le prendre comme la suite, mais je t'avoue qu'on s'est pas vraiment posé la question dans ces termes évidement. Comme pour La nausée, on avait le titre de l'album avant que je finalise les paroles. Ça arrive aussi à un moment de ma vie où j'ai un peu réglé mes problèmes perso, ce processus où après avoir pris soin de soi on peut commencer à se pencher sur un point de vue plus large. Les problèmes ou thématiques que j'évoque sont les mêmes au final, mais vus d'un prisme plus collectif.
Dans le livret, les paroles sont accompagnées d'une sorte d'explication de texte en anglais, avec une référence, littéraire principalement, pour chacune des chansons. C'est ainsi que tu procèdes pour l'écriture, en t'inspirant de tes lectures ("Histoire de ta bêtise" de François Bégaudeau, "Traité d'économie hérétique" de Thomas Porcher...) ?
Oui, je pense que ça a participé aussi à cet aspect plus "politique" de mon écriture sur ces deux albums. Après un passage à vide je rebouquine plus que ces dernières années, ça inspire forcément. D'autant plus que je ne lis pas beaucoup de romans, mais plutôt des essais, des trucs de sociologie, de politique, etc. ça apporte forcément plus de matière à une orientation du discours plus social, politisé.
Il fallait oser associer Booba et Balkany et tu l'as fait. Comment diantre t'es venue cette idée saugrenue ?
Les deux bougres on fait l'actualité au moment où je commençais à noter des idées de texte. D'autant plus que j'ai grandi et habite aujourd'hui aussi dans le 92, fief attitré de cette paire de crapules. Je trouvais que c'était deux personnes assez emblématiques d'une partie de ce qui ne tourne pas rond dans cette époque. Au-delà de ça, il y a une matière narrative forte chez ces personnages, un parfum de gangster, de mafia, un truc sulfureux.
Pourquoi L'ennui en 2020, alors que ça fait déjà des années que tu vends des bonnets du même slogan et à l'inverse, quelles sont les choses plutôt positives qui font que tu arrives à te lever le matin ?
C'est un gimmick qu'on utilise depuis des années en effet, j'avais un graffiti "Ennui" sur mon ampli pendant des années, puis on a fait des patchs, badges, etc. associés à ça. Ça parle aux gens. Je saurais pas trop quoi te répondre. Je me lève parce que j'ai des trucs à faire, que je dois bosser, m'occuper du groupe, du label, je fais plein de trucs plutôt épanouissants dans la vie, maintenant que le cafard et la dépression ne m'assomment plus comme ça a pu être le cas à une époque.
Guerilla Poubelle
A défaut des textes, à part dans "La chute", la pochette est, elle, en parfaite adéquation avec le titre de l'album, sobre et efficace. Qui a eu l'idée ? C'est la même personne qui avait fait celle d'Amor fati n'est-ce pas ?
Oui c'est notre amie Edith Boucher qui a dessiné la pochette, elle fait aussi les affiches de This Is My Fest depuis quelques années, des designs de tee-shirts et d'affiches pour le groupe aussi. C'est elle qui avait fait celle d'Amor fati effectivement. C'est moi qui lui ai donné le sujet et la direction générale du truc, elle a tapé exactement dans ce que j'avais en tête.
Ce disque a été enregistré au Québec, une province que vous connaissez bien, qui vous réussit et vous aime bien également. Tu peux m'en dire plus ?
Slam Disques, notre label à Montréal, se démène à fond pour nous au Québec, du coup effectivement on y va au moins une fois par an et ça fonctionne bien là-bas. Pour l'enregistrement c'était surtout qu'on voulait faire ça avec Frank, rencontré il y a des années quand il tournait avec Vulgaires Machins. On avait enregistré avec lui un titre pour une compile (la reprise de la Mano Negra pour la compile Zoo en 2018) et on avait bien kiffé, même si c'était dans une urgence extrême, entre un concert à 4 heures de Montréal et un avion pour rentrer à Paris ! Quelques mois après, pour notre 1000ème concert il était à Paris et s'est proposé de l'enregistrer et de le mixer, gratos, pour le plaisir. Le résultat est mortel et du coup, quand on a commencé à réfléchir sur le nouvel album on a pensé à lui direct. C'était top de bosser avec lui et on est ravi du résultat !
Vous avez parcouru la France en long, en large et en travers, l'Europe, le Japon, le Canada, les USA, le Brésil... y a des endroits, des concerts plus fous que d'autres ? Dans quel pays encore non visité aimeriez-vous aller jouer ?
On est chaud pour jouer partout ! Je t'avoue qu'on répond plutôt aux sollicitations et qu'on va pas forcement trop chercher de plans mais on devrait ! Je pense qu'on est plutôt attiré par des trucs qui sortent un peu des sentiers battus, on parle d'aller jouer au Maghreb par exemple, c'est assez excitant !
GxP est un groupe éminemment politique, c'est indissociable du punk rock pour toi ? A ce propos, vous participez souvent à des actions ou concerts de soutien : cheminots grévistes, lieux alternatifs, coordination anti-répression, réfugiés... C'est important à vos yeux ? Vous abordez ces dates différemment ?
Oui, pour moi le punk mais même juste le fait de faire de la musique, est politique. Les choix qu'on fait en termes de "gestion du business" sont politiques, l'autogestion, le fait de garder ça comme un "loisir" etc. Même si au final c'est un peu hypocrite et qu'on est plus souvent en train de jouer de la guitare ou de conduire un camion que sur le terrain ou dans des AG, on agit modestement à notre échelle, en participant à des concerts de soutien, en reversant des bénéfices du merch à des asso militantes, en invitant des activistes à intervenir sur nos concerts etc. Je crois qu'on aborde ces concerts de soutien de la même façon, oui. Même si, quand c'est des réussites, c'est plus galvanisant que des concerts "ordinaires" en effet. Ces concerts de soutien ne sont pas forcement gérés par des orga professionnelles, on est peut-être plus indulgent avec eux quand c'est un peu à l'arrache, que la sono ne marche pas, qu'il n'y a rien à bouffer...
La dernière fois que je vous ai vus, c'est à dire la semaine dernière à la Maroquinerie, tu t'excusais presque qu'il n'y ait dans les groupes de la soirée que des mecs, trentenaires, blancs... C'est un constat qui t'ennuie ?
La scène punk rock reste encore majoritairement dominée par les mecs-blancs-cis-hétéros, ça reste un état des lieux que je n'arrive pas à éviter du regard. Et même si dans notre entourage on n'est pas dans une posture méga viriliste et macho, ça me met tout de même personnellement mal à l'aise d'avoir l'impression d'appartenir à ce petit club sélect, et je ne suis pas le ou la seule, d'où ce besoin d'en parler, d'attirer l'attention là-dessus dans les festivals où on joue et où il n'y a que des hommes sur scène tout le week-end. Ça commence à changer un peu, de plus en plus de mecs et de filles ont conscience que ce n'est pas normal et font des efforts pour que ça change, en programmant avec plus de diversité, en organisant des ateliers non mixtes pour les filles qui ont envie de se lancer dans la musique, d'en parler entre elles, de briser les tabous à propos de tout ça. Je suis assez optimiste sur le fait que ça va s'équilibrer à terme. Regarde en Angleterre, la scène DIY est beaucoup plus diverse qu'il y a une dizaine d'années, les filles, les trans, les personnes racisées commencent à s'y sentir à leur place, c'est génial. C'est d'un monde comme ça qu'on veut ! Mais ça prend du temps et d'ici là, il faut continuer d'en parler.
Guerilla Poubelle
Peu de temps après, y a un groupe de filles qui est monté sur scène pendant la chanson "Être une femme". Qu'as-tu ressenti à ce moment-là ?
Oui à la Maroquinerie, une personne est montée sur scène pendant le passage calme de "Être une femme" et a appelé "toutes les filles trans, queer, racisée, cis, etc.." à monter sur scène, ça a bien pris. J'ai trouvé ça super, perso je me suis planqué sur le coté pour leur laisser l'espace. Je ne me sens évidement pas légitime à faire ce type d'appel moi-même mais je trouve ça mortel, en particulier sur ce type de chanson, que les filles se (ré)approprient l'espace, que ça soit devant ou sur la scène.
Ça fait... hum, longtemps que je vous suis et j'ai vu évoluer les speechs entre les morceaux. Ces dernières années il est beaucoup question de consentement, déjà avant #metoo, de mal-être et dépression, de la question du genre, qui vont plus loin que les clichés et classiques refrains anticapitalistes. C'est quelque chose qui te tient à cœur, de créer, conserver une sorte de safe space lors des concerts ?
Évidement. Ça me semble important que tout le monde se sente bienvenu à nos concerts, et dans la scène en général. Quand j'étais gamin et que je commençais à aller dans des concerts DIY je n'ai pas toujours été accueilli avec bienveillance. J'avais 14 ans, les cheveux longs, une dégaine de fan de Nirvana, j'étais tout fragile. ça ne collait pas avec l'atmosphère squat, bière, drogue et punk à chien dominante dans certains lieux à l'époque. J'ai détesté ce sectarisme. Les paroles des groupes que j'allais voir étaient pleines de solidarité et de valeurs sociales, quelque chose ne collait pas.
Les deux principales critiques qui peuvent revenir quand on parle de GxP portent sur le chant, qui peut en rebuter certain.es et sur cette image de groupe pour ados rebelles. Bon, ok, tout le monde n'a pas forcément toujours dépassé le deuxième album. Ce sont des choses que tu peux comprendre, qui t'atteignent ?
Ouais, moi aussi j'ai des clichés infondés sur des groupes que je n'ai pas écoutés depuis 15 ans, c'est pas grave.
Tu parlais tout à l'heure de label et DIY (fais le toi même pour les incultes ou non initiés) et tu gères donc également Guerilla Asso. 180 références au compteur ! Au stand de merch(andising) les gens repartent plus souvent avec des tee-shirts mais aussi pas mal de cds, vinyles... La crise du disque c'est pas pour tout le monde ?
Oui ça marche bien pour nous, mais encore une fois pour qu'il y ait une "crise du disque" il faut déjà considérer que c'est un marché, un business... On fonctionne un peu en dehors de ce cadre-là, comme beaucoup d'autres labels DIY en France et dans le monde. J'aide mes potes à sortir des disques, sans trop me soucier d'accumuler du profit, ni sans plus grande ambition que de partager des skeuds qui en valent la peine à mes yeux. On est sur des petits tirages, y a pas de gros risque, une communauté de passionné.e.s qui suit de près tout ce que je sors.
Guerilla Poubelle
Si à l'étranger les albums de GxP sont distribués par des labels indés locaux comme Slam Disques au Canada, Red Scare aux USA et maintenant Gunner Records pour conquérir l'Allemagne, en France tu as fait le choix de l'autoproduction avec Guerilla Asso depuis Amor fati. Et je parle bien de choix car avant on pouvait trouver les disques en magasin et ils se vendaient bien, non ? Y a t-il un paradoxe avec le fait de vouloir porter un message au plus grand nombre, associé évidemment à une musique et rester dans une forme d'entre soi ?
En France, les album de Guerilla Poubelle sont distribués en magasin partout via PIAS, on est quand même encore sur une disponibilité large, et puis avec Spotify et compagnie c'est vraiment accessible à tous et à toutes. Mais c'est marrant et ça me fait plaisir que tu le vois comme ça car en général les gens ont plutôt tendance à nous reprocher de vendre notre cul ! Parce que les disques sont très dispo, parce qu'on accepte de jouer dans certains gros festivals, parce qu'on accepte les quelques plans media, magazines ou radio qu'on nous propose de temps en temps. En vérité, je ne tiens pas forcement à "porter un message au plus grand nombre", ni même à ce que le groupe soit plus populaire que ça, mais on s'est toujours dit que les groupes comme nous et en particulier ce qu'on a à raconter et notre façon de fonctionner n'étaient pas assez exposés, quand on a eu la chance de pouvoir aller dire ce qu'on dit devant des gens qui ne sont pas familiers avec ce discours-là, on a foncé direct. D'entendre parler de consentement sur scène dans des gros festivals ça fait du bien à plein de gens, d'entendre des gugusses comme nous expliquer qu'on peut faire de la musique sans être professionnel, qu'on peut refuser le mode de fonctionnement de la SACEM dans des journaux comme Télérama par exemple, ça me semble pertinent. Même si ça ne va pas nous faire vendre plus de disques ou rallier de nouveaux fans, ça propose une alternative au discours dominant. On ne va pas trahir nos principes pour le faire mais il y a quand même plein d'occasions de ne pas fermer sa gueule et de ne pas rester sagement dans notre coin, à se féliciter entre nous de notre radicalité.
Avec l'asso, tu organises moins de concerts sur Paris qu'avant mais il y a désormais un rendez-vous annuel à la Pentecôte, le This Is My Fest. C'est ton festoche c'est ça, quel est le délire ?
Oui, c'est le petit festival qu'on organise avec plein de camarades. Y'a 25 groupes qui jouent sur trois jours, avec plein d'activités en parallèle, comme de la bouffe vegan, un market alternatif de labels, distro, fanzines, l'année dernière on faisait des tattoos aussi, il y a vide-dressing de T-shirts de groupe. Toutes les thunes récoltées sur ces activités annexes sont reversées chaque année à une asso ou un collectif militant, qu'on essaye d'impliquer sur place aussi, pour parler de leur activité, leurs problématiques.
Pour finir tu es plutôt No Future ou Yes Future ?
Je te répondrai avec une citation de Antonio Gramsci, dans ses cahiers écrits en prison : "Il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de l'action". Tout est dit.
Merci à Till pour les réponses rapides, les soirées jeux et la place dans le camion quand j'ai envie de voir du (ou des) pays.
Photos : Romain Etienne
Publié dans le Mag #41