Je devrais plus souvent écouter des disques à l'aveugle. Je veux dire, sans prendre de renseignements, ne serait-ce que concernant le style du groupe ou son background. Mais juste en enfournant le skeud dans ma platine, en lançant le mode play et en me laissant surprendre. Exactement ce que j'ai fait avec Grey Lips. Et les sensations s'en trouvent décuplées !
Masquerade, premier album du duo genevois succédant à quelques singles, est un disque envoutant. Prenant. Glaçant. Puissant. Bandant. Entre autres. Bien que paru à l'automne dernier, j'ai lancé une première écoute début janvier et du coup, je m'autorise à le considérer comme ma première baffe de l'année 2023. "Déjà ?" me diras-tu. Oui, déjà. Comment, en effet, ne pas succomber et se laisser porter par la froideur et les frappes chirurgicales des bombes post-punk/cold wave du groupe ? Dès "The fever", le ton est donné. La rythmique, lourde mais aérienne, puissante au son clair, fait tourner la tête à l'auditeur jusqu'à ce que les voix, irrésistibles, l'emportent dans un tourbillon de rage et de réverbération. Une réussite... comme le reste du disque, qui alterne passages lourds et abrasifs ("Bougleone", "Masquerade "), matraquage de riffs vifs et lumineux ("Another one", "A poisoned ideal") et déflagrations indus-rock ("Ruins").
J'ai été comme happé par l'atmosphère pesante de Masquerade. Du début à la fin, c'est une succession de titres d'une rare intensité (sans jamais jouer la carte de la violence sonore) qui ont eu raison de moi. Les soupçons d'éléments électro se marient à merveille avec les instruments rock tradi. C'est avec ce genre de disques que la musique peut se révéler à la fois surpuissante sans qu'elle soit saturée ou énervée. Grey Lips revendique comme influences Killing Joke, The Cure, Fugazi ou Nine Inch Nails. Sacré mélange. Pour ma part, Masquerade m'a fait penser à un Jack and The Bearded Fishermen en moins métallique (mais pas moins sombre) et le passionnant groupe des 90's Virago. Impossible cependant de rester insensible à ce disque sublime et chaotique, une succession de coups de poing qui n'ont pas fini de me hanter. Bluffant.
Publié dans le Mag #54