Greg Eklund Comment vas-tu et comment as-tu fait face à la pandémie ? As-tu profité de cette période pour composer l'album ?
Je vais bien. La situation est bizarre depuis presque deux ans maintenant. C'est d'autant plus bizarre car en tant que musicien, j'ai été en tournée pendant les 30 dernières années et donc être coincé à la maison était vraiment étrange. Ce qui est amusant, c'est que cet album a été écrit et enregistré bien avant tout ça. Il a été écrit quand je vivais à Omaha. Quand nous avons emménagé à Omaha, ma femme avait un travail et mes enfants étaient assez grands pour aller à l'école. Quand je n'étais pas en tournée, j'avais la maison pour moi tout seul. Et donc je me suis dit que c'était un bon moment pour composer. J'ai toujours voulu faire un album solo, mais un certain nombre choses se sont produites et se sont mises en travers de ce projet. Je l'ai donc écrit et enregistré et quand je vivais à Omaha. Ce disque a été composé en 2018, je n'en reviens pas en le disant.
Je l'ai enregistré dans mon garage et je voulais que ce soit James Brown qui fasse le mixage car je savais qu'il pallierait mon manque de connaissance dans les techniques d'enregistrement. Il sait comment faire pour que ça sonne vraiment bien. Mais entre le moment où il a mixé le premier album de The Oohla's (en 2006, ndlr) et Muffled tears, il est devenu une sorte d'icône. Il a travaillé avec les Foo Fighters et Nine Inch Nails (NDLR : mais également Interpol, Bjork, We Are Scientists). Je suis revenu vers lui et je lui ai dit "Hey, tu te souviens de moi ?" ; genre, "Tu me remets ? Ferais-tu le mix de mon album solo ?". Et il a dit "Bien sûr avec plaisir". Mais il était tellement occupé avec de gros projets rémunérés car de mon côté je n'avais pas les moyens de le payer, que je lui ai demandé s'il pouvait le faire gratuitement. Et ça lui a pris deux ans pour le mixer entre deux commandes payantes. Et puis finalement, quand il l'a mixé, la pandémie a frappé. Je n'avais aucun projet de tournée mais ce projet attendait depuis si longtemps que je voulais à tout prix le sortir. C'est un disque très personnel et j'en suis très très fier. Je voulais qu'il vienne enfin au monde tout en n'ayant aucune pression car je n'ai pas de maison de disques qui allait m'imposer une date de sortie pour faire des ventes à Noël ou une sortie estivale pour que je puisse faire une tournée des festivals. Quand le mix a finalement été finalisé la pandémie a frappé et comme je voulais qu'il sorte sous forme de vinyle, j'ai encore dû attendre. En effet, toutes les usines de vinyle ont fermé, et il n'y avait plus de matière première. Il a donc fallu attendre un an de plus pour que le vinyle soit fabriqué après avoir été mixé. Ça a donc pris beaucoup de temps. Pour ce qui est de l'enregistrement proprement dit, ça n'a pris que six mois mais pour tout le reste c'est plus de trois ans d'attente.

Avant d'aller au fond de cet album, il serait intéressant de faire le lien entre le moment où tu as quitté Everclear et aujourd'hui. Qu'est-ce qui a motivé ton départ ? J'ai lu dans une interview que tu n'aurais jamais trainé avec les deux autres membres d'Everclear si tu avais été avec eux au lycée. Malheureusement, Everclear n'a jamais eu le succès qu'il méritait en France.
Effectivement, on n'a joué en France qu'une seule fois, je crois en 95 ou bien 96.

C'était avec Silverchair, si je ne me trompe pas...
Dans ce cas on a peut-être joué deux fois. Je me souviens que nous avions joué dans un magasin de disque à Paris et que nous avions fait une émission télé (NDLR : Nulle Part Ailleurs) où nous étions invités avec Johnny Hallyday. C'est trouvable sur YouTube. Je pense que nous avions joué "Santa Monica". Ce qui est drôle c'est que nous n'avions jamais entendu parler de ce mec mais tout le monde n'était là que pour lui. Et puis il est arrivé, on se demandait qui était ce vieux type et tout le monde disait : "C'est le Elvis français". C'était amusant.
J'ai grandi en Angleterre, alors j'ai toujours voulu revenir en Europe et mon plus grand rêve était d'y retourner pour jouer dans un groupe de rock à succès, mais nous avons eu la malchance d'essayer de percer en Europe en 1995-1996, quand la Brit Pop devenait monumentale. Juste après Nirvana et au début des années 90, il y avait beaucoup de fans de grunge en Angleterre. Mais tout d'un coup, l'Angleterre a eu ses propres groupes qui étaient typiquement anglais. J'ai compris parce que j'ai grandi là-bas et je me suis dit : "Je comprends ce que font ces groupes. C'est une musique typiquement anglaise qu'ils font et nous n'allons pas pouvoir percer dans ce contexte". Et voilà qu'arrive ce petit groupe de rock qu'est Everclear, mais trop tard. Nous avons néanmoins vraiment bien marché dans des pays comme l'Australie, qui aime toujours les groupes de rock américain. Nous aurions aimé percer en Europe, malgré cela nous avons toujours été bien accueillis. Mais quoi qu'il en soit, en 2003, j'ai quitté le groupe en même temps que Craig, le bassiste. Nous étions arrivés à un point où malgré le succès, ce n'était plus amusant. Nous étions tous les trois si différents individuellement que c'était inévitable. J'avais rejoint tardivement le groupe créé par Art (NDLR : Alexakis - fondateur et guitariste chanteur du groupe) et Craig. Au départ ils avaient un autre batteur. Quand le groupe a commencé à attirer l'attention des labels, Capital Records était l'un d'entre eux et il voulait entendre de nouvelles chansons, et donc le label a donné de l'argent au groupe pour aller faire une démo. J'ai rejoint le groupe à ce moment-là. Nous avons vécu de bons moments mais dès 2000, j'ai commencé à me lasser. Après avoir quitté le groupe, je ne savais pas ce que je voulais faire mais je savais juste que je ne voulais plus faire partie de ce groupe et j'étais un peu fatigué de jouer de la batterie. Pas de l'acte de jouer de la batterie en lui-même, mais de jouer de la batterie dans ce groupe. Et donc j'ai commencé à penser, que peut-être, je devrais essayer d'écrire mes propres chansons. Je ne l'avais jamais fait auparavant, alors j'ai appris tout seul à jouer de la guitare, mais très mal.

Tu avais quand même écrit une chanson sur l'album Songs from an American movie vol. One d'Everclear.
Oui, c'est vrai. Mais c'était une chanson un peu bizarre, parce que c'était quand ma femme et moi, nous étions allés à Hawaï pour notre lune de miel et que j'avais acheté un petit ukulélé bon marché, et j'avais écrit cette petite chanson juste comme une petite blague, par amour pour elle. Et puis un jour, dans le tour bus alors que je me la jouais à moi-même, Art m'a dit : "Hé, nous devrions la mettre sur le prochain album". C'est donc la seule chanson d'Everclear qui n'est pas écrite par Art. Et c'est la seule à avoir jamais été composée comme une valse, ce dont je suis aussi très fier. C'était une petite chanson pour ma femme.
A ce moment-là, j'ai commencé à composer et j'ai fondé un groupe avec mon frère et une guitariste, et mon idée était que je n'allais surtout pas jouer de la batterie. J'allais juste jouer de la guitare et écrire des chansons. Mais on est passé par 14 batteurs. Et quand le moment est venu d'enregistrer le disque, - je ne voulais vraiment pas en jouer car je m'étais promis de ne plus retoucher une batterie- il s'est avéré finalement que c'était plus facile pour moi de le faire. Alors je l'ai fait. Ce groupe s'appelait The Oohlas, on a fini par être signé par Island Def Jam Records, je suis passé de la batterie à la guitare et à l'écriture de chansons dans le même groupe et on a sorti un disque, Best stop pop. Je pense que c'est un disque incroyable. Mais il est passé inaperçu parce que le label n'a pas fait de promotion et qu'il l'a sorti juste au moment où l'industrie du disque a complètement disparu. Personne ne savait plus comment sortir des disques physiques ou comment en faire la promotion, et iTunes est arrivé, a tout bouleversé et le disque n'a pas eu sa chance. Nous avions tout de même une chanson qui figurait sur la bande originale de Spider-Man 3. Je pense que l'album est incroyable et tous ceux à qui je le fais écouter me disent toujours que c'est le meilleur album sur lequel j'ai participé. J'ai donc joué dans ce groupe pendant quelques années, et c'était amusant parce qu'on tournait, on avait acheté un van et nous faisions la tournée des bars et des petits clubs, comme au bon vieux temps.
C'était excitant pour moi de refaire ça après les grosses tournées d'Everclear. C'était beaucoup plus amusant de jouer dans ces petits bars et de vendre des t-shirts après les concerts. Et puis quand cela s'est terminé, j'ai commencé à jouer de la batterie pour une artiste qui s'appelle Storm Large, qui chante avec Pink Martini. Donc j'ai joué dans son groupe solo et je suis avec elle depuis 12 ans. Et tout récemment, alors qu'on a eu beaucoup de temps libre à cause du COVID elle m'a appelé et m'a dit qu'elle avait trois mois de concerts de bookés en novembre, décembre et janvier ; je lui ai répondu : "Tu sais quoi ? Je ne pense pas que je vais reprendre la tournée". Il y a quelques semaines, j'ai pris la décision de ne plus être un "musicien itinérant", du moins pour le moment, car je fais cela depuis 30 ans. L'idée de refaire une tournée et de prendre l'avion tous les jours et de sauter dans des voitures de location, etc, c'est excitant pour les gens qui ne l'ont jamais fait, mais je l'ai fait pendant 30 ans, j'ai besoin de faire une pause.
A cause du COVID, les gens ont commencé à réévaluer ce qui est important pour eux, et la musique a été vraiment importante pour moi pendant très longtemps et elle l'est toujours. Mais les voyages qui vont de pair avec les tournées ne l'étaient plus. Ça ne me semble plus important maintenant, donc je continue à faire de la musique à la maison, mais l'idée de faire des tournées en ce moment est quelque chose que j'ai mis en attente. Désolé pour cette réponse vraiment longue...

Pas de souci, nous avions du temps à rattraper et cela nous ramène 20 ou 25 ans en arrière, et je pense que certains de nos lecteurs se rappellent cette époque.
J'ai lu quelque part que "si tu veux partir en Solo, tu as intérêt à avoir un bon Wookie". Donc quand tu as voulu faire ce disque, quel a été le parcours d'écriture et étais-tu préparé ? Parce que comme tu l'as dit, ce disque vraiment intime.

Quand nous avons déménagé à Omaha quand ma femme et mes enfants étaient partis à l'école ou l'université, j'étais seul à la maison dans la journée. La façon dont j'écris les chansons est un peu différente de la plupart des gens, en général, les gens s'assoient avec une guitare. Pendant des mois, des années, des semaines ou une heure, peu importe le temps qu'il faut, la plupart des auteurs écrivent une chanson entière à la guitare, la corrigent et l'améliorent. Et quand elle est terminée, ils la prennent et vont l'enregistrer.
Je compose et j'enregistre d'une manière vraiment différente. Je m'assieds dans mon studio, j'appuie sur le bouton "rec", je prends un instrument et je commence à jouer. Et parfois quelque chose de vraiment cool se produit, ou parfois non. Et puis je le range sur un disque dur et puis huit ans plus tard, je fouille dans mon disque dur et je me dis, "Oh, c'était vraiment cool". Quand j'ai commencé le disque, je n'avais pas de chansons écrites. Ce disque raconte l'histoire de mon départ en tournée et de mon retour à la maison. Ce qui s'est passé, c'est qu'au fur et à mesure que ces chansons se concrétisaient, que je les écrivais et les enregistrais, un jour, je me suis dit : "Si je les mets dans un certain ordre, elles racontent mon histoire", donc je n'ai pas cherché à écrire un disque personnel, je n'ai pas cherché à écrire un disque sur le fait de quitter un groupe rock à succès.
J'ai fait l'ordre du disque de cette manière car si vous mettez "Liberation" en titre introductif, tout d'un coup, les autres chansons se mettent en place, et une fois que cela arrive, alors les deux ou trois chansons qui ont été travaillées à ce moment-là sont également chronologiques et avec deux autres chansons je pourrais remplir les trous de l'histoire, mais je n'avais pas l'intention d'écrire un album vraiment personnel, c'est juste arrivé comme ça.
Et même au sein de la chanson, au milieu de "Liberation", il y a un break et elle change de vitesse. Et à partir de là, c'est comme si c'était le début de l'histoire. La raison pour laquelle "Liberation" est la chanson la plus rapide et la plus rock est qu'elle représente toutes les étapes de la fin de la d'Everclear au début puis, au milieu de la chanson, elle est coupée et il s'agit d'essayer de rentrer à la maison et de retrouver une vie normale.
Quand je parle de vie normale, je suis rentré à la maison avec une femme et des très jeunes enfants. Ma femme me disait de ramasser mes sous-vêtements sur le sol car aucune femme de ménage n'allait venir les ramasser ni la serviette sur le sol que j'avais laissée dans la salle de bain. C'était un grand ajustement pour essayer de revenir du monde pourri gâté d'un groupe de rock, même si je n'ai jamais aimé l'aspect rock star. Pour tout vous dire, quand Art et Craig allaient faire la fête je restais à l'hôtel. Ma femme est une artiste et elle m'a ouvert sur le monde de l'art. Donc si nous étions dans une ville avec un bon musée, j'allais au musée. J'aime aussi la gravure sur bois. J'étais vraiment à fond dans cette technique et donc on pouvait être à l'hôtel Four Seasons, mais mon sol était jonché de copeaux venant de gravures sur bois. Je fais des collages comme des journaux d'art où j'ai juste des coupures et des photos ; tout cela était avant les iPhones donc je collais également des photos Polaroïd et j'en ai des piles et des piles, et parfois je peignais dessus. J'ai tenté ainsi de me préserver de cette vie de "rock star". Et Craig a géré ça un peu mieux que moi la fin d'Everclear, mais j'étais plus intéressé à créer et à garnir mes livrets qu'à jouer à la rock star. Donc, en rentrant à la maison, je n'ai pas essayé de m'adapter à l'absence de fêtes ou de boissons. En mon absence, ma femme gérait toutes les responsabilités. Et à mon retour, je devais trouver comment m'intégrer dans cette structure familiale parce que je partais habituellement pendant neuf ou dix mois et que je n'y avais plus vraiment de place.
Pour moi, c'était comme si j'avais dû aller en thérapie. J'ai dû faire un tas de trucs différents pour me réadapter à la vie normale et donc ce disque est très personnel et je ne m'attends pas à ce que les gens le comprennent mais si c'est le cas, je suis heureux.
Il fallait expulser quelque chose de moi, comme un surplus de cholestérol dans mes veines. J'avais besoin que ce disque sorte pour pouvoir m'ouvrir à d'autres expériences. Et j'en suis vraiment, vraiment fier.

Greg Eklund Ces chansons sont très sincères et l'album semble nous faire rentrer dans ton intimité.
Une fois l'album terminé, je l'ai fait écouter à ma femme, j'avais besoin de m'assurer qu'elle l'accepterait parce que c'est vraiment personnel, et elle a dit : "Wow !". Parce qu'elle m'a donné la permission de le faire parce que c'est un travail honnête et je n'avais jamais écrit comme cela par le passé. Je voulais m'assurer qu'elle était en accord avec la totalité du disque. Si vous l'écoutez et que vous pensez que c'est juste mon histoire, alors vous perdez une partie de la signification du disque. Les grandes chansons sont toujours celles où tu entends quelque chose et dans lesquelles tu te reconnais. Et donc c'est ce que j'espère ; que les gens vont écouter et se reconnaitre dans certaines de ces paroles.

Je me rappelle une chronique de So much for the afterglow qui disait que le titre éponyme avait certainement une des plus belles intro a capella depuis les Beach Boys et je trouve cela intéressant que j'ai trouvé un petit côté Brian Wilson dans ce disque.
Je n'ai pas été directement influencé par Brian Wilson. Bien sûr ce sont les Beach Boys, donc tout le monde les connait tout comme les Beatles mais je n'ai jamais été un grand fan des Beach Boys. Pour te dire la vérité, je n'écoute pas vraiment beaucoup de musique. La plupart du temps, je n'écoute que les morceaux sur lesquels je travaille pour les améliorer.
Quand j'ai un rythme de batterie cool ou un riff sympa, alors je l'écoute pendant deux semaines quand je conduis mon fils à l'école. Mon fils a entendu dix mille fois l'album dans la voiture et un jour, il m'a dit : "Papa, tu as baissé le son du tambourin dans cette chanson. Il était plus fort dans la version précédente" et j'ai dit, "Tu as raison, tu as totalement raison" et j'étais fier qu'il ait eu cette oreille et cette écoute.
J'ai tendance à m'accrocher à un album et à l'écouter en boucle, puis à écouter d'autres disques de manière périphérique. Il y a un groupe écossais que personne ne semble connaitre, parce qu'à chaque fois que j'en parle, les gens me font répéter leurs noms, ils s'appellent Meursault. Nous avons joué avec Storm Large pendant un mois dans une production théâtrale à Edimbourg, en Ecosse. J'ai acheté leur premier disque à sa sortie. Je n'avais jamais entendu parler d'eux avant et une fois que je les ai écoutés, ils sont devenus une obsession.
Je ne sais pas très bien jouer de la guitare ni du piano. Ma plus grande influence, c'est moi-même, parce que je suis limité par mon manque de capacités. Par exemple, je peux écouter les Beatles et me dire "Wow, c'est génial". Mais quand j'essaie de jouer une chanson des Beatles ou de reprendre ce qu'ils font et de le faire avec mes morceaux, cela ne marche pas parce que c'est beaucoup plus avancé que ce que je suis capable de faire. J'ai lu une citation de Duke Ellington qui disait "votre son est défini par ce que vous ne pouvez pas jouer". Oui, si tu peux tout jouer, alors tu peux tout faire, mais si tu ne peux pas tout jouer, alors tu vas créer avec les paramètres qui sont les tiens.
Quand nous avons commencé à répéter avec un groupe pour faire quelques concerts et la release party, je leur ai dit "je suis vraiment désolé, les gars, parce que les chansons sont très, très, très simples. Il n'y a que trois accords" mais j'ajoute que les musiciens qui jouent avec moi sont de grands musiciens. Je fais ma musique plus comme une œuvre d'art, simple, mais une œuvre d'art. Quand j'aime des artistes, souvent les trois premiers disques sont ceux que je préfère. Par exemple, une fois qu'Elvis Costello a compris comment jouer tous les accords à la guitare, ça ne l'a plus fait. C'est devenu moins intéressant pour moi voire un peu ennuyeux. C'est la même chose avec les Pixies ou avec n'importe quel groupe. Les premiers disques sont souvent les meilleurs. Et c'est parce qu'ils apprenaient juste à jouer de leurs instruments ou à définir leur son. Et il y avait une faim, et Everclear a perdu cette faim avec ses deux derniers albums. J'essaie juste de travailler selon mes paramètres. Et pour moi, c'est une question d'expression, que ce soit simple ou difficile, ou que je mette le son de mes films de famille dans une chanson c'est aussi une façon de m'exprimer. Si ma femme et mes enfants sont dans la chanson, pour moi, il s'agit d'une création personnelle. Donc tant que je continue à faire ainsi et tant que ça sonne bien pour moi, je suis heureux.
Que ces chansons plaisent ou non aux gens m'importe moins que d'avoir mon fils qui lève le pouce sur une de mes chansons alors qu'il l'a écouté 1 000 fois. J'enregistre déjà un nouveau disque et j'avais de nouvelles chansons et je suis monté dans la voiture l'autre jour et j'ai dit "j'ai de nouvelles chansons". Il m'a demandé s'il pouvait les écouter en rajoutant "tant que ce n'est plus Muffled tears on l'a trop écouté". Il reconnait aussi les titres d'Everclear quand on fait les courses en me disant "tiens tu joues sur celle-là". Il y a une sorte de fierté même s'il ne trouve pas toujours que je suis cool. Je pense que c'est aussi comme ça que tu dois définir le succès, le regard de tes proches. J'ai été vraiment chanceux parce qu'au cours des 30 dernières années, quand Everclear s'est arrêté pour moi, j'ai fait The Oohla's puis j'ai rejoint Storm Large et je suis avec elle depuis 12 ans. Tous mes autres amis musiciens qui étaient là à l'époque d'Everclear en vieillissant se sont mariés et ont eu des enfants, ils ont fini par quitter le monde de la musique et trouver un vrai travail. Pour moi quand un projet musical se terminait, il y avait toujours quelque chose d'autre. Donc je suis le plus chanceux des mecs du monde. Mais je pense aussi qu'une fois que tu as abandonné l'idée d'essayer de gagner de l'argent avec la musique, c'est vraiment libérateur. Et c'est ce que j'ai fait avec ce disque. J'ai sorti 300 vinyles et je suis convaincu que je vais déplacer ces boîtes de vinyles à chaque fois que je vais déménager car je ne vendrai pas tout. J'ai eu beaucoup de chance d'en arriver là et maintenant, à 51 ans, je regarde autour de moi et j'envisage de faire d'autres choses, comme de réaliser un documentaire. Je n'ai jamais fait de documentaire de ma vie mais je me lance. C'est comme si je jouais de la musique, sans connaitre les accords.

La définition même de "Learning by doing".
Tout à fait c'est le genre d'éthique punk rock. Et puis, bien sûr, au départ j'ai découvert que je faisais tout de travers.
J'ai tourné le tout sur une caméra GoPro, mais je ne suis pas un cinéaste, et j'ai trouvé un sujet qui m'a tellement ému que j'en réalise un film. Et je n'ai pas quinze mille caméras, je n'ai pas d'équipes de production de films. Donc l'histoire, c'est moi qui me promène en interviewant des gens.

Tu as en partie répondu à la prochaine question en parlant des répétitions mais ce disque est-il voué à être présenté en au public en live ou le projet va rester dans les cartons sur une étagère ?
Et il y a un an, un an et demi, j'ai monté ce groupe ici à Minneapolis, le batteur, a joué avec Elliott Smith et Ed Ward ; le guitariste a son propre groupe qui est très connu ici et qui s'appelle Porcupine. Comme c'étaient des amis, je leur ai passé le disque et je leur ai demandé s'ils se sentaient de le jouer en live. Et ils l'ont écouté et on dit oui pour le projet. Mais ce sont tous des pères de famille et donc nous n'avons pas de tournée de prévue aux Etats Unis, juste quelques concerts.

Egoïstement je pensais à une tournée européenne passant par la France par exemple...
Si quelqu'un me donne de l'argent pour aller jouer en Europe, je peux probablement payer ces gars pour aller en Europe mais en plus le contexte sanitaire n'aide pas les choses.
Mais le truc avec le groupe, c'est que nous avons répété une fois et pour notre première répétition, j'ai trouvé l'alchimie entre nous géniale et nous devions nous retrouver la semaine suivante. Malheureusement, c'était juste au moment où le COVID est apparu. Et puis à la quatrième répétition, notre gouverneur a confiné notre état. Puis pendant l'été, il y a eu le vaccin et nous pensions pouvoir répéter à nouveau mais le variant Delta est arrivé.
J'ai donc sorti le disque sans aucun soutien et je vous remercie de m'avoir contacté pour l'interview parce que c'est la première interview internationale et je n'ai même pas de petite maison de disques, ni d'attaché de presse.
J'adorerais refaire une tournée européenne, retourner en Angleterre et surtout aller à Paris avec ma femme. Nous sommes partis en vacances en Europe il y a quelques années, mais les deux ou trois jours où nous devions être à Paris elle a attrapé la grippe. J'en entends encore parler... elle voulait tellement visiter Paris. Cela a été fun de rester à la maison de composer mais j'ai hâte de retourner en Europe. Le déclic qui m'a fait jouer de la batterie est quand j'avais huit ans alors que nous étions en Angleterre avec ma famille car mon père était dans l'armée nous avons beaucoup voyagé en fonction de ses différentes affectations. La raison pour laquelle je joue de la batterie c'est parce que j'ai vu Adam and the Ants au top of the pop, il avait des peintures de guerre et était habillé en pirate. A l'époque, il avait deux batteurs qui jouaient des rythmes africains du Burundi. Et moi, en tant qu'enfant, je n'avais jamais vu ça avant. J'ai attrapé les aiguilles à tricoter de ma mère qui étaient sur le canapé et j'ai commencé à jouer avec en faisant de la poussière partout dans le salon. Et c'est ainsi que j'ai commencé jouer de la batterie, et des années plus tard, j'ai pu le rencontrer parce qu'il était signé sur le même label que moi...

Cela fait près d'une heure que nous échangeons, je crois que nous avons abordé pas mal de sujet mais je termine toujours par la question suivante : quelle est la question que je n'ai pas posée et à laquelle tu souhaitais répondre ?
A l'époque d'Everclear, nous avons fait tellement d'interviews et de conférence de presse et c'étaient souvent les mêmes questions. La seule que l'on ne m'a jamais posée est "qu'est-ce que les gens seraient surpris de d'apprendre sur toi ?" ou "quelle musique les gens seraient étonnés de savoir que tu écoutes ?" Mais personne ne m'a jamais demandé ça. La réponse est donc que je suis un immense fan d'ABBA. J'adore ce groupe, et c'est drôle de parler de cela car ABBA a sorti un nouveau disque récemment.
Quand je vivais en Angleterre, j'ai presque chanté sur scène avec eux quand j'étais enfant. Je suis allé dans une école anglaise, j'étais dans la chorale mais je m'ennuyais alors j'ai arrêté. Et puis une semaine plus tard, ABBA a joué deux semaines consécutives à la Wembley Arena. Nous vivions à Wembley Park, près du grand stade. Et ABBA voulait que des écoliers viennent sur scène pour chanter avec eux. Et ils ont choisi la chorale de mon école et la professeure de chorale ne voulait pas me laisser revenir dans la chorale. Elle m'a dit : "Désolé, tu as abandonné, c'est trop tard". Et donc pendant deux semaines, tous les soirs, tous mes amis sont allés à la Wembley Arena pour chanter avec ABBA à guichets fermés. Pour un fan d'ABBA j'en suis encore dépité.

Merci pour cette interview.
Merci à vous.