Gorillaz - The fall Il l'a fait et rien que pour ça, c'est un génie. Damon Albarn l'un des musiciens/compositeurs polymorphes les plus inventifs des vingt dernières années a réussi l'impensable : trouver une utilité quelconque à l'iPad, le fumeux gadget inventé par la célèbre marque à la pomme et accessoirement coup marketing génialissime à la hauteur de la maestria de tonton Steve. Mais là n'est pas le sujet. The fall donc, est le premier album de l'histoire du disque à avoir été entièrement conçu, produit et mixé sur un iPad, depuis la chambre d'hôtel de Damon, alors en tournée avec Gorillaz. Composer et enregistrer un album en même temps que l'on défend le précédent sur scène et qu'on cogite aux dix projets parallèles suivants et qu'on réactive le groupe qui l'a rendu culte (Blur), une semaine normal pour le père Albarn. Et donc ? Ben rien, mais fallait que ce soit dit, d'autant que du coup, l'album présentement chroniqué n'a donc rien coûté. Enfin si, entre 4 et 500 euros sur l'Apple Store. Et sinon musicalement ?

On ne va pas se cacher, lorsque l'on commence l'album par son... commencement, à savoir "Phoner to Arizona", on se rend compte qu'au-delà de la simple idée amusante évoquée plus haut et de la notion de "buzz" qui l'accompagne, faire un album sur un iPad, ce n'est peut-être pas une si bonne inspiration que ça. Beats lancinants mais répétitifs, un ersatz de trame mélodique par-dessus, une petite variation de rythme au milieu et puis... bah rien, ça dure comme ça quelques 4'15'' et après 2'30, on s'emmerde ferme. Mais avec Damon Albarn ou Gorillaz, ou les deux, on peut toujours s'attendre à tout. Et après un titre inaugural clairement ennuyeux, l'anglais nous livre la première pépite de l'album "Revolving doors". Un modèle de tube électro-pop à la nonchalance enivrante, au groove narcotique et au feeling inimitable. Putain de talent. Surtout quand il enchaîne avec l'inspiré et dub/synthétique "HillBilly man". La classe et ça, c'était pour calmer les plus exigeants. Sauf que pour deux/trois excellents titres ("Shy-town"), on a droit à une flopée de pistes assez peu intéressantes artistiquement parlant, des morceaux aux bricolages électroniques certes sortant de la norme mais qui rappellent que la simple originalité ne fait pas tout ("Detroit", "Little pink plastic bag"). Bof.

Et même dans l'intimité de sa chambre d'hôtel, la tête pensante de Gorillaz pouvait quand faire mieux que le paresseux "The Joplin spider", ou ce "The parish of space dust" qui vire un peu au grand n'importe quoi. Electronique, bizarre et finalement déroutant. Même après quinze écoute. C'est toujours le même problème avec les génies de ce trempe, surtout quand ils sont aussi prolifiques. Mike Patton, Justin Broadrick, Merzbow et d'autres, ont toujours, régulièrement même, des éclairs de génie qui tiennent plus ou moins la durée d'un album ou de la discographie entière d'un projet, mais à trop en faire, finissent fatalement par se rater un jour ou l'autre. Sur ce The fall, Albarn qui a tout composé et enregistré seul (comprendre sans le concours de l'autre moitié du projet Jamie Hewlett), passe ainsi d'un titre complètement abscons ("The speak it mountains") à une petite merveille pop ténébreuse et envoûtante ("Amarillo"), de l'insipide "Aspen forest" à l'étrangeté fascinante de "California and the slipping of the sun", avant d'inviter le soulman Bobby Womack sur "Bobby in Phoenix" et de finir sur "Seattle yodel" dans un délire dont il a seul le secret et que lui seul comprend. A l'image de l'album et plus globalement de son oeuvre, traversée par des fulgurances brillantissimes mais également par des "trucs" assez curieux, insaisissables et surtout bien décevants (on se souvient encore de son trip égotique qu'est l'opéra Monkey : Journey to the west). Dommage et en même temps tant mieux. L'anticonformisme constant et la créativité débordante sont certainement à ce prix.

PS : Apple n'a évidemment pas sponsorisé cette chronique mais les dons de quelque forme que ce soit sont évidemment acceptés. La chronique "pay what you want", ou l'avenir du webzinat 2.0.