Lorsqu'on me propose de chroniquer le dernier double-album de Fucked Up, Dose your dreams (sorti le 5 octobre 2018), je ne rechigne pas à cet exercice tout en me rappelant aux bons souvenirs de la claque du seul et unique album que je possède d'eux, un genre de best-of intitulé Couple tracks sorti début 2010. Autrement dit, n'ayant pas suivi les aventures des Canadiens pendant presque dix ans, je me dis que ça peut être intéressant de sauter ce gap et d'avoir un nouveau regard sur cette formation menée par leur imposant frontman emblématique Damian Abraham.
Quand je reçois le disque de la part de Differ-ant, son visuel composé d'un smiley jaune essayant de trouver sa place entre les bâtiments déformés d'une cité urbaine me fout un début de migraine. Mauvais goût ? Peu importe, la musique prime, et si les visions un peu psychédéliques du sextette peuvent accompagner les 18 chansons proposées dans ce concept-album, je me dis que j'ai peut-être gagné ma journée à l'écouter pépère et sans a priori. Première œuvre des Canadiens sorti chez Merge Records, Dose your dreams relate l'histoire de David, le protagoniste de l'album David comes to life, sorti en 2011, devenu un vulgaire employé de bureau et qui est envoyé dans un voyage spirituel par une dénommée Joyce afin qu'il soit spectateur de sa propre vie et qu'il rencontre Lloyd, l'amant de Joyce, envoyé dans ce même trip des décennies auparavant. Une odyssée retranscrite en musique, donc.
Pour cela, Fucked Up a fait appel à un grand nombre de personnes dont Owen Pallett (Arcade Fire, The Hidden Cameras) pour les arrangements de cordes, et J Mascis de Dinosaur Jr au chant, pour les plus connus, tandis que la production a été confiée à quatre personnes comprenant notamment Matt Tavares Badbadnotgood et Graham Walsh (Holy Fuck). Le premier disque reprend grosso modo la base punk-hardcore aux relents pop avec ce chant gueulé si caractéristique de la bande. Pas d'énormes surprises au RDV, on se régale sur l'introductive "None of your business man" et son refrain salvateur précédemment inauguré par une douce intro chantée sur fond de piano et de violon. On saute à pieds joints sur les ondes de "Raise your voice Joyce", on se dandine sur la très pop enjouée "Normal people", on headbange sur le climax de "Talking pictures" et sur la tendue "House of keys", puis viennent les premiers OVNI dès la fin du premier disque.
La chanson éponyme marque un changement de cap, on découvre alors un chant soyeux parfois martelé avec des chœurs féminins sur un titre d'inspiration disco-new wave (si vous trouvez mieux comme définition, votre aide est la bienvenue). Le deuxième disque poursuit cette mixité sonore étonnante. Débuté par un brûlot punk ("Living in a simulation"), Dose your dreams va alors opérer un virage dangereux tantôt dream-pop ("How to die happy"), tantôt psyché-folk ("Two I's closed"), tantôt techno-indus-wtf ("Mechanical bull") avec quelques chansonnettes pas mémorables (dont "Came down wrong") et c'est là qu'on perd définitivement le fil et l'unité de cette œuvre. Qu'on regrette finalement que ce concept ne se soit pas arrêté dès le premier disque. Car en terme de conception, Fucked Up s'est planté, bien que la plupart de ses titres soient tout de même de bonne facture. Un relatif gros dommage sans intérêt.
Publié dans le Mag #37