Deuxième rencontre avec Frank Turner (cette fois-ci en Allemagne) et toujours un plaisir de rencontrer un musicien prolifique et passionné. Disposant de quinze minutes à la demande de l'attachée de presse, nous avons dépassé la demi-heure en sa compagnie. Aucun sujet n'a été mis de coté, et on a même pu régler nos comptes (en rapport avec le numéro 47 de notre mag) !
Enfin de retour en tournée ! J'imagine que le fait de dire que cela t'avait manqué est un euphémisme !
Oui, absolument ! Et c'est marrant parce que j'en parlais beaucoup depuis 2 ans, bien sûr, mais le fait d'être à nouveau en tournée pour de vrai, c'est la folie ! C'est émouvant, même, pour nous et aussi pour le public. Pour nous, après quelques jours, ce n'est plus "tout nouveau" mais chaque soir, il y a des tas de gens, comme tu disais, qui reviennent voir un spectacle pour la première fois. Et on le ressent sur scène, c'est une impression géniale. J'en discutais avec les gars de Pet Needs, qui font leur toute première tournée européenne, et ils s'étonnaient que les Allemands soient tous super joyeux et amicaux. J'ai répondu que c'était vrai, bien sûr, mais je pense qu'ils sont particulièrement joyeux et amicaux en ce moment, parce qu'ils sont contents d'être de retour. Donc oui, ça fait du bien d'être en tournée.
Te retrouver pendant une longue période à la maison a-t-il été compliqué ?
D'une certaine manière oui, enfin il y avait du bon et du moins bon. Je pense, que c'est vrai pour tout le monde. Au bout quelques mois, je me suis rendu compte que c'était la première fois que je restais aussi longtemps au même endroit depuis mes 7 ans. C'était bizarre. Du coup, ça m'a posé un problème d'identité parce que j'ai commencé à faire des tournées avant même d'être adulte. J'ai commencé à 16 ans, c'est ce qui me définit, je suis "le mec en tournée". Et soudain ce n'était plus le cas. Alors j'ai dû me trouver un autre rôle dans la vie, ce genre de chose. Avec ma femme, on s'en est bien sortis mais c'est une question intéressante parce qu'il y a beaucoup de couples qui n'ont pas survécu à ces deux ans où ils étaient obligés de passer beaucoup de temps ensemble. Nous, ça nous a renforcés mais je connais des gens pour qui ça a été le contraire. Mais oui, il y a eu des inconvénients. L'un des plus gros pour moi était de devoir déménager pour des raisons financières, essentiellement. J'ai dû quitter Londres alors que je pensais que ça n'arriverait jamais. Mais finalement c'était juste génial ! Je suis content d'avoir vécu à Londres pendant tout ce temps mais il était temps que ça se termine. Maintenant je vis au bord de la mer, je vois la mer depuis la fenêtre de ma chambre. Donc je ne suis pas à plaindre !
Pendant le "premier" confinement (de mi-mars à mi-mai 2020 en France), un de nos seuls échappatoires était le Indépendant Venue Love du jeudi soir ! Ces concerts étaient en quelque sorte notre bouée de sauvetage à défaut de pouvoir assister à des concerts. Était-ce vital pour toi de donner ces concerts bricolés et donc dans un esprit 100% DIY ?
L'une des nombreuses raisons pour lesquelles j'ai fait ça, c'est que c'était super facile ! On en a fait un avant que le confinement commence réellement en Angleterre, quand tout le monde commençait déjà à rester chez soi. On avait annulé la tournée. J'étais rentré à la maison avec ma femme et mon ami Micah qui était sur la tournée aussi. En fait, toute l'équipe de la tournée était chez moi comme il s'agissait de concerts acoustiques. Donc on s'est dit qu'on allait trouver un truc. Je ne suis pas particulièrement calé en technologie mais je me suis dit que je n'avais qu'à installer mon ordi portable et appuyer sur un bouton... et ça a marché. J'ai posté une annonce sur Facebook, etc. et il y avait environ 15 000 personnes qui ont regardé ce premier concert en ligne. J'ai trouvé ça super facile, en fait. Le premier nous a permis de collecter des fonds pour mon équipe et ça aussi, c'était super facile. Les dons représentaient une somme qui me semble incroyable !
As-tu une idée du montant des dons récoltés au final ?
Le premier concert nous a permis de récolter 44 000 livres. C'était tellement facile qu'en discutant avec un ami qui gère une salle de spectacle (où j'ai habité un certain temps ... sur un canapé dans l'entrée... Tre aussi habitait là en fait ... ça s'appelait le Nambucca*) et qui me disait qu'il avait des difficultés déjà avant le confinement, je lui ai proposé de faire un de ces concerts pour lui. J'avais prévu d'aller directement là-bas mais c'est là qu'ils ont annoncé le confinement, donc j'ai dû le faire à nouveau depuis chez moi. Et pour la collecte de fonds à proprement parler, j'ai aussi utilisé mon PayPal perso et j'ai collecté environ 12 000 livres. Donc j'ai fait un virement de 12 000 livres sur un compte externe et là, ma banque m'a appelé pour demander des explications : "Que se passe-t-il ??? Vous avez eu des mouvements pour environ 60 000 livres sur votre compte en deux semaines." Ils ont dû avoir une sorte d'alarme anticriminels ! A partir de là, ce sont les salles qui ont créé leurs propres cagnottes en ligne pour les dons. Du coup, je n'ai pas les chiffres définitifs des dons collectés pour tout le monde mais en tout, pour les salles, je ne compte pas celles pour l'équipe, on doit avoisiner les 300 000 livres. Donc c'est cool ! Après, ça n'a pas complètement sauvé tout le monde, il ne s'agissait pas de dire : "tiens, prends ça et ça va aller" mais pour la plupart, ça leur a permis de traverser quelques mois difficiles. Et après, d'autres personnes leur ont permis de tenir encore quelques mois supplémentaires. C'était juste une petite contribution mais je trouve ça assez cool. Et ça m'a aidé, moi aussi. Ça m'a permis de me sentir utile. On parlait d'identité tout à l'heure, je me disais que c'était ça que je devais faire à ce moment-là. Ça m'a permis de structurer mes semaines aussi, il fallait que je sois prêt pour le jeudi, notamment pour pouvoir jouer les albums en entier.
Comment tu te préparais, comment tu choisissais les sets ?
J'ai commencé par faire un album par semaine, ensuite j'ai fait des morceaux rares, des reprises des copains, des morceaux à la demande. Au bout d'un moment j'ai arrêté parce que je ne trouvais plus de chansons à jouer, parce que je n'en connaissais plus d'autres ! L'autre truc que je voudrais mentionner, et je ne dis pas ça pour faire ma langue de pute, mais au début je m'attendais à ce que beaucoup d'autres musiciens reprennent l'idée et fassent pareil. Mais hormis quelques honorables exceptions, peu de gens l'ont fait et je me suis un peu brouillé avec certains musiciens dont je ne citerai pas le nom. Je leur ai demandé mais ils n'en avaient pas envie. Je leur disais : "Mais tu es dix fois plus connu que moi, tu pourrais collecter dix fois plus d'argent ! Ça te prendrait une heure dans toute ta vie et tu pourrais sauver une salle où je t'ai vu jouer, putain !" Donc voilà, certains ont aidé, d'autres non, tant pis. Mais c'était une bonne manière d'employer mon temps, ça m'a beaucoup aidé et ça a visiblement plu à beaucoup de monde.
Pendant ces jeudis soirs, nous avons pu découvrir une super première partie, en l'occurrence Guise, que tu produis, au même titre que Pet Needs qui t'accompagne sur cette tournée. Tu as dorénavant ton propre studio. Envisages-tu de développer cette activité de producteur pour autrui ?
Oui ! C'est une question de temps, essentiellement mais jusqu'à.. quasiment maintenant, j'avais beaucoup de temps puisque je ne tournais plus, ni rien. Et l'une des conséquences du déménagement, c'est que j'ai pu m'aménager un studio, même s'il est très petit. Et je ne veux pas enregistrer mes propres morceaux dedans, c'est vraiment pour enregistrer les autres.
Ah ? Tu n'as pas enregistré de morceau à toi dedans ?
Pour le moment, non. Ça pourrait venir mais j'aurais besoin de quelqu'un d'autre, ne serait-ce que pour appuyer sur "Enregistrer" comme il est en deux pièces. Mais l'idée, c'est plus de travailler comme producteur, pour plusieurs raisons. Déjà pour avoir un moyen de gagner ma vie en dehors des tournées, après ce qui s'est passé pendant les deux dernières années. J'aurais bien aimé qu'il soit en place avant le confinement d'ailleurs, parce que pendant deux ans je n'avais plus de revenus du tout. Mais aussi parce que d'un point de vue créatif, c'est intéressant et stimulant pour moi. D'abord parce qu'en soi, c'est une créativité complètement différente. Tu n'écris pas les chansons, tu ne joues pas les chansons. Ton boulot, c'est de faire ressortir le meilleur de tous ceux qui sont dans la pièce, de faire des suggestions. J'ai bossé avec Pet Needs, qui sont de vieux amis, et c'était tellement cool de leur faire jouer leurs chansons, de leur dire des trucs comme "peut-être que vous devriez jouer le refrain deux fois, là" ou "on pourrait rajouter de la guitare dans cette section", etc. C'est un super boulot de collaboration. Et aussi, en général, je trouve que c'est une bonne source d'inspiration pour l'écriture de mes propres morceaux. En particulier quand je travaille avec de jeunes groupes. Parce que j'ai 40 ans et c'est typiquement le moment où les musiciens commencent à affirmer que le rock est mort parce qu'ils sont trop vieux, tout ça. Et en côtoyant des gens plus jeunes, tout excités, pleins d'énergie, ça déteint sur moi et c'est super cool. Par exemple, l'autre jour je travaillais avec un groupe de jeunes de 18 ans. C'était la première fois qu'ils allaient en studio. Ils viennent de sortir un disque monstrueux, d'ailleurs, mais là on enregistrait un single. Ils étaient trop cool, super enthousiastes et pleins d'énergie et moi j'étais comme un fou !
Donc ce n'est pas totalement désintéressé, tu te "nourris" d'eux aussi !
Oui, absolument ! Il y a un moment pour la plupart des gens qui font leurs débuts où ils sont mûrs, prêts à tomber de l'arbre et c'est génial d'être présent à ce moment-là.
Notre ami commun Forest Pooky, et ce n'est pas le seul, nous a fait part du fait que sans le confinement, il n'aurait pas réalisé certains projets, comme son disque de Cover stories sur lequel tu participes avec une version surprenante d'un titre de Springsteen... de ton côté, quels sont les projets artistiques que tu n'aurais peut-être pas menés s'il n'y avait pas eu le confinement ?
La première année (putain !!!) on a fait le split avec NOFX. On avait prévu de le faire dans tous les cas, mais on a avancé le projet et il est sorti à l'été 2020. Et aussi l'album Live at Newcastle. Pour ça aussi, on avait enregistré les concerts et on devait le sortir sans échéance particulière mais du coup on a décidé de le faire tout de suite. Mais mon plus gros projet, c'était d'apprendre le métier de producteur. Des arrangements, j'en faisais depuis longtemps mais j'avais besoin d'apprendre à utiliser un compresseur et un égaliseur, à positionner les micros correctement, etc. J'ai suivi des cours en ligne, j'ai lu des livres, j'ai regardé 200 heures de vidéos sur YouTube, etc. C'était ça, mon gros projet du confinement. J'ai eu aussi plusieurs projets parallèles qui sont toujours en cours, notamment avec Mingle Harde... c'est comme ça qu'on s'appelle maintenant.
Pourquoi vous avez décidé de changer de nom ?
Il y a pas mal de gens qui étaient contrariés à cause de notre ancien nom Möngöl Hörde. Je n'étais pas forcément d'accord avec leur point de vue mais en même temps, on n'a jamais eu l'intention de blesser qui que ce soit avec ce nom, premièrement, et deuxièmement je n'avais pas envie de me prendre la tête avec des gens en permanence. Donc on a choisi de se faciliter la vie. De toute façon, c'est plus marrant comme ça.
D'ailleurs on a tous cru à un poisson d'avril !
Et on a adoré ! On l'a annoncé le 1er avril exprès pour que les gens se demandent si c'était sérieux. Et c'est justement ce que beaucoup n'ont pas l'air de comprendre à propos de ce groupe : on n'est pas un groupe comique mais on ne se prend pas vraiment au sérieux non plus ! On est juste trois vieux punks qui s'amusent en faisant un bruit affreux. C'est ça, le principe de base. Notre premier disque contient une chanson sur Keith Richards qui va tuer Paul McCartney, donc clairement, ce n'est pas sérieux !
Et j'ai aussi cet autre projet qui va sortir cet été, je ne peux pas trop en parler. Oh et puis si, je vais quand même te dire un truc. Ça s'appelle Eating Before Swimming. On ne fera pas de concerts parce que c'est impossible de jouer ça en live. C'est un projet électro sur lequel je bosse avec un ami depuis 10 ans et on l'a terminé pendant le confinement aussi. Ça aussi ça va perturber les gens, c'est horrible ! (Rires)
Parlons du disque à présent. Ce disque est-il, au niveau des paroles, le plus personnel que tu ais écris ?
Je dirais ex-aequo avec Tape deck heart, qui est un disque très personnel aussi. Les sujets sont différents. Je dirais que pendant la première partie de ma carrière, j'écrivais de manière autobiographique, un peu comme une confession. Et pour les deux derniers disques, je n'ai pas fait ça du tout. Be more kind était plus orienté politique et la spécificité de No man's land, c'est qu'il ne parle pas de moi du tout. Donc c'était intéressant de revenir à ce style parce que par définition, si on écrit de manière autobiographique, au bout de 5 ans on a de nouvelles choses à raconter !
Mais il y a aussi des trucs plus anciens dans ce disque...
Oui, parce que je pense que même si ça craint de vieillir, la contrepartie c'est qu'on est plus à l'aise avec soi-même et pour moi, ça veut dire que je suis prêt à aborder des trucs plus profonds. L'exemple le plus évident, c'est que je n'étais pas prêt à parler de mon père et de mon enfance. Il y a 5, 10 ans ou plus je n'aurais jamais accepté de parler de ça. Même parler de la drogue, c'est un truc pour lequel je n'étais pas prêt jusqu'à une période assez récente. Donc je crois qu'il se produit une sorte de libération quand on vieillit. Je me suis dit "allez, je peux parler de ça maintenant" parce que je savais qu'ensuite il n'allait rien m'arriver de grave. En tout cas oui, c'est un album très personnel, bien sûr.
Pourquoi ce titre, FTHC ? Il aurait pu également s'appeler Positive songs for negative people ou même le contraire, non ?
(Rires) Excellent ! J'ai ce titre en tête depuis longtemps, en fait. Mais plus en mode : "un jour, je donnerai ce titre à un album". D'un point de vue musical, je pensais que ce serait celui-là ou jamais. Et sinon... je ne suis pas sûr de l'avoir déjà dit dans une interview, l'autre titre qu'on envisageait, c'était un vers de The Resurrectionists : "unsupervised, unhappy and uncool", je trouve que c'était une bonne idée. Mais tout le monde me disait : "ne fais pas le con, appelle-le FTHC !"
Et pourquoi ce changement de logo ?
Le changement de logo c'était juste pour cet album parce que je voulais qu'il soit différent. On a utilisé l'ancien logo sur tous les disques que j'ai sortis et je trouvais que ce serait cool d'avoir quelque chose de nouveau. J'adore la pochette de ce disque. Elle a une sorte d'ambiance "Art Nouveau" et aussi un petit côté Jamie Courtier, comme un drapeau punk rock. Enfin, j'ai utilisé l'expression Frank Turner Hardcore. Le logo d'origine était une sorte blague, c'est assez difficile d'avoir un logo quand on est un artiste solo. Donc il reprenait le vieux logo punk hardcore, NYxHC, etc. Donc j'ai surenchéri et je l'ai mis sur le tout premier flyer que j'ai créé pour un concert solo et c'est resté. Des tas de gens ne savent pas ce que ça veut dire et ça me fait halluciner parce que pour moi c'est plutôt évident ! Mais il y a plein de gens qui n'ont pas grandi en écoutant des vieux groupes de punk hardcore bizarres. Alors je leur dis que ça veut dire "haute couture" ou d'autres conneries, comme ça figure toujours sur des T-shirts. Mais oui, ça veut dire "hardcore" et d'ailleurs il y a quelques chansons hardcore sur le disque.
Alors attends, il faut que je m'y retrouve dans mes questions parce que tu as répondu avant que je les pose...
Ah mince, pardon. [en français] Désolé ! D'ailleurs je voulais m'excuser aussi parce qu'on devrait faire l'interview en français mais j'ai oublié tout mon français parce qu'il y 2 ans que je n'ai pas pratiqué ! C'est difficile parce que comme vous [le savez] après deux années sans parler en français, tous les mots [sont] juste là mais c'est difficile de les toucher.
[A Gui] C'est un T-shirt des Wildhearts que tu portes ? Génial ! Bon allez, on continue.
Maintenant que les Wildhearts ont malheureusement splitté... Je pense que ce n'est pas la dernière fois. ils se sont déjà séparés avant. En tant que fans des Wildhearts, on sait bien que ce groupe c'est les montagnes russes. J'adore, je les aime tous mais Ginger c'est un ami proche. Il a beaucoup de problèmes, c'est un putain de génie avec un cœur en or mais il a beaucoup de hauts et de bas dans sa vie. Enfin, je pense que ce n'est pas la fin des Wildhearts. Enfin, j'espère. J'ai trouvé que les quelques derniers disques étaient géniaux ! Renaissance men, il est trop bon.
Quel est ton groupe en activité préféré ? Et celui que tu aimerais emmener en tournée avec toi ?
Bonne question ! Je ne sais pas, c'est difficile de choisir. Pet Needs évidemment, je les adore, ils sont géniaux. Et sinon, dans ce que j'ai écouté dernièrement, c'est un groupe qui existe depuis longtemps mais ils viennent de sortir deux nouveaux disques : Pedro The Lion. Ils ont fait 4, peut-être 5 disques au début des années 2000, ensuite ils ont disparu pendant une dizaine d'années et ils viennent de faire deux nouveaux disques. En fait c'est surtout un mec qui s'appelle Dave Bazan. Sur les albums, c'est lui qui joue à peu près tout et il a un groupe pour le live. C'est vraiment mon auteur préféré au monde et ses nouveaux disques sont ce qu'il a fait de mieux. Je suis complètement obsédé, à tel point que ma femme m'interdit d'écouter Pedro The Lion à la maison. Elle en a trop marre ! Il doit y avoir 7 disques maintenant et quand j'ai assez écouté un disque, j'en mets un autre. Elle n'en peut plus ! Mais vous devriez écouter Pedro The Lion, en commençant par le début !
"Miranda", un des titres le plus personnel, est étrangement le morceau le plus léger musicalement : au moment de composer, la musique s'adapte-t-elle aux paroles, ou bien est-ce le contraire ?
En général, quand j'écris c'est comme si je me trouvais dans une décharge. Il y a une grosse pile d'idées de paroles d'un côté, une grosse pile d'idées de mélodies de l'autre et le travail de construction consiste à prendre un morceau d'un côté et un morceau de l'autre et d'essayer de les associer jusqu'à ce que ça corresponde. A ce moment-là, si on a une mélodie on va tourner autour de certains textes ou si on a un texte on va aller vers un type d'idées musicales. De temps en temps, il arrive que les deux viennent en même temps et je trouve toujours ça très puissant parce qu'ai l'impression que c'était le destin. Le riff principal de "Miranda", c'était juste un truc que je jouais aux balances pendant des années, je jouais ça tout le temps et à un moment, Matt a fini par me demander ce que c'était. Il croyait que c'était un truc de Sam Cooke ou quelque chose comme ça, un vieux truc genre Motown, tout ça. Je lui réponds que c'est juste un truc que je joue comme ça et il me dit qu'il trouve ça bien. Et finalement on a un peu co-écrit ce morceau parce qu'il a posé d'autres accords en dessous et ce n'était pas du tout ce à quoi je m'attendais, ça m'a étonné. Et c'est comme ça que cette chanson est née. Mais oui, en résumé, les paroles et la musique ont tendance à se trouver la plupart du temps.
En plus de tes textes, l'interview donné à The Independent, a-t-elle été une thérapie ?
Oui ! Enfin, il y a pas mal de choses dans ce que je fais qui s'apparentent à une thérapie publique ! (rires)
Exposer notamment tes anciens problèmes de drogue et les chanter aujourd'hui a-t-il été difficile ?
Ça peut l'être, oui. Parfois c'est difficile. En fait, je pense que l'une des raisons pour lesquelles cet album est sorti tel qu'il est, même s'il ne s'agit pas d'un album "du confinement" car ce n'est pas le sujet, c'est qu'il a été influencé par ça de plusieurs manières. Notamment parce que quand j'écris, je m'efforce de le faire sans penser à ce que les autres vont penser de ce que j'écris. Un peu comme quand on juge soi-même ce qu'on écrit. ça c'est nul, ça c'est chiant. L'important c'est d'être aussi brut que possible et le meilleur moyen d'y parvenir, c'est de s'isoler du monde et d'écrire ce qu'on pense vraiment, ce qu'on ressent, ce qu'on croit. C'était plus facile à faire pour cet album parce qu'on est restés enfermés à la maison pendant des lustres ! Donc j'avais le temps de réfléchir à ce que je voulais vraiment dire. Ensuite, vient ce moment bizarre, après avoir écrit tout ça, puis le studio avec le groupe, le producteur, etc. où ça se passe bien parce que ce sont des gens que je connais bien et que j'aime. On masterise, on mixe, la tension monde et là, quand le single sort je me dis : "mais qu'est-ce que j'ai fait ??? Tout le monde va l'entendre !!!" Mais au fil des années à écrire des chansons difficiles et personnelles, j'ai vu qu'elles parlaient à beaucoup de monde et j'en très reconnaissant. Ce que je voulais dire, c'est que j'essaye de ne pas penser à ça non plus en écrivant. Je ne veux pas écrire une chanson "pour aider les autres", ça sonnerait faux. Mais si une chanson m'aide pendant l'écriture et qu'elle aide aussi d'autres personnes quand elles l'entendent, c'est cool ! C'est quelque chose qui doit arriver par accident. C'est l'un des grands mystères de l'écriture, pour moi : les meilleures chansons n'arrivent pas parce qu'on le décide, on ne peut pas s'installer pour écrire en se disant "je vais écrire un tube", ça va être nul parce que la chanson de va pas "fonctionner". On fait de son mieux pour écrire une bonne chanson et ensuite on espère qu'elle touchera sa cible, un peu comme on lancerait des couteaux par-dessus son épaule.
Question à laquelle tu ne pourras pas échapper : pendant l'élaboration du numéro 47 de notre zine et à l'occasion des 40 ans du groupe, nous avons contacté 40 personnalités de la musique pour connaître leur morceau préféré de Bad Religion. The Adolescents, Davey Warsop de Suedehead, Blackie des Hard Ons ou le chanteur de Refused ont participé à ce petit jeu. Sans t'en vouloir, je n'ai pas eu de retour à quelques messages envoyés. Du coup, maintenant que nous sommes face à face, quel est ton morceau de Bad Religion préféré ?
Ah merde, je n'ai pas répondu ? En fait, ce n'est pas que je n'aime pas Bad Religion mais ce n'est pas mon groupe de punk préféré. Désolé ! Vous arriverez à me pardonner ? Je connais parce. ben, c'est un peu obligatoire (rires). J'aime bien Suffer, c'est un super album, en fait je trouve que The gray race est vraiment génial et je trouve aussi que Stranger than fiction est sous-estimé. La première chanson de Bad Religion que j'ai entendue était "21st century digital boy" parce qu'il est sorti quand j'ai commencé à écouter du punk rock et tout le monde me disait : "Tu dois écouter ça !" Et j'aimais bien cette chanson, et l'album aussi. Et j'ai aussi fait une reprise de "My poor friend me" pour une compilation, il y a plusieurs années. Quand on n'apprécie pas particulièrement un groupe, le fait d'apprendre une chanson pour la reprendre peut être vraiment cool parce qu'on doit vraiment la décortiquer pour la jouer et pour l'apprendre et du coup j'ai fini par l'aimer. Donc je vais dire ça, "My poor friend me" !
Merci à Frank, Tre et Anthea
*Le Nambucca a malheureusement fermé ses portes définitivement le 14 mai 2022.
Photos : JC Forestier