Pour ce deuxième volet des disques oubliés, j'ai choisi l'un de mes albums préférés de l'année 2017. Un disque d'un groupe qui a sorti une nouvelle galette cette année, en plus. Vous allez me dire spontanément : "Mais tu ne veux pas parler du dernier, plutôt ?". J'aurais aimé, mais le label Born Bad Records ne fait pas de promo, ou alors pas avec tous les médias. C'est regrettable et pour compenser ça de manière simple et efficace, je me suis dit que j'allais inaugurer l'arrivée de Forever Pavot sur nos pages avec son œuvre que je trouve de loin la plus réussie à ce jour : La pantoufle. Sorti en novembre 2017, cet album est le deuxième de cette formation de musique pop à la fois baroque et psychédélique fondée et menée d'une main de maître par l'ex-Arun Tazieff, Émile Sornin.
Pensé comme un film, narratif par moments, La pantoufle aborde autant l'enfance, la romance comme le polar avec une touche sonore surannée qui nous renvoie directement dans les 60's (pop baroque) et les 70's (le psychédélisme). Des titres solides pour appuyer des récits plus ou moins animés d'actions, parfois cocasses (comme cette recherche de pantoufle dans "La pantoufle est dans le puit"), donnant ainsi son grain de sel à cette production musicale particulièrement belle et étonnante. Entouré d'une équipe de musiciens dont certains sont connus de nos services (Benjamin Glibert d'Aquaserge et Fabrice Gilbert, chanteur de Frustration, autre groupe phare de Born Bad Records), Émile Sornin s'est réellement sorti de sa zone de confort pour concevoir ce bijou. Contrairement à Rapsode, son premier LP sorti trois ans plus tôt, les compositions et la recherche de nouvelles sonorités pour habiller ses propos dans La pantoufle ont été bien plus poussées, sans pour autant faire du hors-piste dans son style de prédilection. Sur cette galette, l'instrumentation et les arrangements ont une place de premier choix, sans parler du langage qui vire cette fois-ci totalement en français, avec un peu de patois charentais à la clé (le titre "La soupe à la grolle" évoque une recette culinaire charentaise à base de grolle ("corbeau" en charentais) qu'on préparait pendant la guerre).
On ressent chez Émile cette quête absolue de faire renaître un genre ancré dans le temps, celui des bandes sonores de films français de l'époque de François de Roubaix ou celles, par exemple, des films de Georges Lautner, avec l'aide d'instruments rétros tels que l'orgue, le synthé monophonique ou plus étonnant, l'épinette, un clavier de la famille des clavecins. Il s'agit véritablement d'un album marqué par l'obsession de son géniteur à rendre hommage à ces décennies au sein desquelles la créativité n'avait que peu de limite (pop, jazz, électronique, rock progressif, baroque, funk, improvisations...), mais également aux souvenirs personnels. Comme un devoir de mémoire. Et le résultat porte ses fruits avec des titres accrocheurs, joués avec une bluffante maîtrise, et qui posent intelligemment chaque couleur de cette œuvre cohérente et désormais inoubliable pour beaucoup de passionnés. J'ai volontairement évité de rentrer trop dans les détails, préférant ainsi vous donner l'envie de vous immerger dans l'univers surprenant d'Émile Sornin, vous ne serez pas déçu.
Publié dans le Mag #57